MARIA CATALINA
La belle-mère corse de Victor Hugo
Antoine-Dominique MONTI - Roch MULTEDO
"toi tu peux emplir ta tombe de résurrections...
tu dirais en mourant: vous me réveillerez en dix-neuf
cent vingt... vous me réveillerez en dix-neuf
quatre-vingts...".
LES TABLES PARLANTES,
Jersey, le 29 septembre 1854.
Au tout début du XIXe siècle, la Corse
désemparée n'est pas jugée capable d'une administration
régulière. Les deux départements, celui du Golo,
chef-lieu Bastia, et celui du Liamone, chef-lieu Ajaccio, subissent
en commun la dictature d'un envoyé extraordinaire du Premier
Consul.
En 1801, l'île est hors Constitution: préfets et chefs
militaires obéissent au conseiller d'Etat Miot investi de pouvoirs
sans limites.
A ce gouvernement succède un autre régime d'exception.
Le 12 janvier 1803, un arrêté règle les attributions
du général Morand, commandant la 23e région militaire,
et lui donne tous les pouvoirs juridictionnels (1).
(1) "Etude historique sur l'administration de la justice en Corse depuis les temps anciens jusqu'à nos jours", discours prononcé par M. le Premier Président CALMETES à l'audience solennelle d'inauguration du nouveau Palais de Justice de Bastia, le 12 mai 1858, 2e éd., Bastia, imp. Fabiani, 1859.
Avec Miot et Morand, c'est un régime de terreur
qui s'installe en Corse. Les deux hommes exécutent avec rigueur
les ordres du Premier Consul... et en rajoutent. La censure est instaurée.
Les tribunaux criminels sont supprimés. Une juridiction d'exception,
dont les Corses sont exclus, juge sans recours. Elle punit indifféremment
de la peine de mort les assassinats consommés et les crimes de
la pensée. Les troupes de ligne, les corps de gendarmerie et
les colonnes mobiles de gardes nationales parcourent le pays pour des
expéditions punitives, brûlent les maisons, pratiquent
les exécutions sommaires et emportent des otages. Si l'on ajoute,
en 1802, le spectre de la famine et, en 1804, celui de la peste que
peuvent introduire les bateaux venant de Livourne, sans compter les
brigandages, on a de la Corse de ce début de siècle un
sombre tableau qu'éclairent à peine des avantages fiscaux,
quelques plans de gros travaux et de vagues mesures d'amnistie.
Si Bonaparte avait exigé pour ses compatriotes une police sévère
et qui fut en réalité "abusive", comme il la
qualifiera lui même en 1809, c'est que les Corses n'étaient
pas définitivement acquis à la France et, moins encore,
au gouvernement consulaire. D'ailleurs, le parti anglais restait puissant.
Malgré le traité d'Amiens, la paix est fragile. L'escadre
anglaise surveille la Méditerranée et Nelson fait de longs
séjours à la Maddalena. C'est à partir de cet îlot,
situé au nord de la Sardaigne, que les émigrés
recrutent des Corses pour l'armée anglaise et font du renseignement
(2). La situation reste préoccupante pour le gouvernement français.
(2) Ersilio MICHEL: "Progetti di riconquista britannica dell'isola", in Archivio Storico di Corsica, VII-1, gennaio-marzo 1932.
Aussi, à la fin de 1802, une partie de la 20e demi-brigade, stationnée à Marseille, reçoit l'ordre de se préparer à renforcer la défense de la Corse et celle de l'île d'Elbe récemment annexée à la France. Le commandement du 1er bataillon est confié à Léopold-Joseph-Sigisbert Hugo, un homme qui s'était illustré à l'armée du Rhin et y avait gagné l'amitié du général Moreau ce qui, à l'époque, n'était pas une référence (3).
(3) Pour l'ensemble de cette étude nous avons beaucoup utilisé les Mémoires du général Hugo, 3 volumes, in 8°, Ladvocat éd., Blois 1823, et les Oeuvres complètes de Victor Hugo, magnifique édition chronologique en 20 volumes publiée sous la direction de Jean MASSIN par le Club Français du Livre. Sauf mention spéciale, les lettres citées sont tirées de ce dernier ouvrage qui nous a été complaisamment prêté par M. Jean-Baptiste Bellagamba.
Léopold Hugo débarque à Bastia le
18 janvier 1803. Il a 29 ans. Il est accompagné de ses trois
enfants: Abel, quatre ans, Eugène, deux ans, Victor, pas tout
à fait onze mois, et de leur gouvernante, Claudine.
Mme Hugo (née Sophie Trébuchet) n'est pas là.
Son mari l'avait envoyée à Paris auprès de Joseph
Bonaparte pour être disculpé d'une accusation calomnieuse.
Partie de Marseille le 28 novembre, elle rejoindra son mari onze mois
après.
Les longueurs et les difficultés du voyage, les visites nombreuses
aux personnages influents qui gravitaient autour du Premier Consul
ne suffisent pas à expliquer qu'une mère reste si longtemps
séparée de ses enfants.
Certes, nous savons que Sophie n'aimait pas faire les arrières
du front pour assurer le repos du guerrier. Le ménage avait
vécu heureux tant que Léopold eut la charge sédentaire
de rapporteur près le Conseil de Guerre de la 17e division
de Paris. Les nécessités de la guerre avaient mis fin
à une lune de miel de deux ans. Lorsque Léopold était
parti pour les champs de bataille de la Souabe, il avait installé
sa femme à Nancy, où il était né, pour
avoir la joie de la retrouver de temps en temps. Et Sophie, qui ne
s'y plaisait pas, qui ne s'entendait guère avec sa belle-mère
chez qui elle habitait, avait menacé de regagner Nantes, sa
ville natale, où elle espérait retrouver, selon sa propre
expression, "la tranquillité et peut-être le bonheur".
C'est probablement avec les mêmes raisons que, cette fois,
Sophie s'attarde à Paris. Mais, surtout, elle retrouve celui
à qui elle avait demandé d'être le parrain de
Victor: le général Victor-Claude-Alexandre Fanneau de
Lahorie (4).
(4) Victor-Marie Hugo devait ses prénoms à ceux qui auraient dû le porter sur les fonds baptismaux: le général Lahorie et la baronne Délélée. Le baptème n'eut pas lieu, ce qui provoqua des difficultés lors du mariage avec Adèle Foucher.
Pour Sophie, Lahorie a concrétisé son idéal politique et ses aspirations amoureuses. Elle aimait en lui l'homme de courage, d'énergie, de perfection et d'ambition, en même temps qu'elle l'approuvait d'avoir embrassé le parti de Moreau, le rival de Bonaparte soutenu par les royalistes. Il semble acquis que c'est au cours de ce séjour prolongé à Paris qu'elle devint l'amante du général si, toutefois, elle n'avait été jusque là que son admiratrice (5).
(5) Cf Louis GUIMBAUD: "La mère de Victor Hugo", lib. Plon, Paris 1930.
Quoiqu'il en soit, l'inclination réciproque qui
avait conduit Sophie Trébuchet (25 ans et demi), et Léopold
Hugo (24 ans) à unir leurs destinées par un mariage civil,
célébré à Paris le 15 novembre 1797, sera
brisée. Très tôt chez elle; plus tard chez lui.
Ils n'étaient pas faits l'un pour l'autre.
Léopold Hugo (6) c'est autre chose que ce "héros
au sourire si doux" immortalisé par un fils génial.
(6) Cf surtout Louis BARTHOU: "Le général Hugo", Hachette 1926.
C'est d'abord un être de chair compacte et de sang
bouillonnant avec, peut être, la "probité candide"
de Booz, comme lui "bon maître et fidèle parent",
comme lui "généreux quoiqu'il fut économe".
Au physique: 1,70 m, le poil châtain, les yeux bruns, un visage
long et coloré, un nez gros, des lèvres charnues, un
cou puissant.
Dans un corps sain, infatigable, une énergie généralement
contenue par une âme raisonnable et, surtout, une bonté
naturelle qui se manifeste par des attitudes naïves et une franchise
ingénue. Pour les hommes, un copain exigeant; pour les femmes
et les enfants, un ami indulgent.
Léopold s'était engagé dans la profession militaire
par vocation et c'était très bien ainsi car c'est dans
l'action guerrière que son énergie a trouvé son
meilleur exutoire. Hélas! les militaires avaient aussi des
temps de repos et cette énergie explosait en colères
terribles ou débridait sa sensualité.
Léopold faisait l'amour comme il faisait la guerre: à
la hussarde, et il semble que son épouse, du moins telle que
nous avons appris à la connaître, ait été
incapable d'épuiser sa force virile.
D'après le "Victor Hugo raconté par un témoin
de sa vie" (7), dans un portrait qui n'est pas tout à
fait exact, Sophie était "petite, mignonne, des mains
et des pieds d'enfant; elle avait quelques traces de petite vérole,
mais qui disparaissaient dans l'extrême finesse de sa physionomie
et de son regard intelligent".
(7) L'ouvrage a été écrit par Adèle Hugo avec des éléments essentiellement fournis par son mari, parfois même sous sa dictée. Il a été édité à Paris en 1863 par Lacroix. Nous utilisons le texte contenu dans le MASSIN.
Cette petite chose était pourtant bourrée
de détermination et de fierté. Entêtée, inflexible,
implacable: ce sont les qualificatifs qui reviennent sous la plume de
ses biographes. Chez lui, l'énergie était propriété
physique; chez elle, vertu morale.
Comme le Marquis de Champmercier des "Misérables",
Sophie était ultra-royaliste et ultra-voltairienne. Orpheline
de mère, elle avait été éduquée
par une vieille tante incrédule et sceptique qui lui avait
fait aimer la lecture et le théâtre mais l'avait fermée
à jamais aux spéculations métaphysiques et à
la poésie.
Léopold a aimé passionnément cette femme, même
s'il lui arrivait d'épancher ailleurs un trop-plein d'amour.
Elle n'a pas su - ou n'a pas voulu - le garder. Une autre femme saura
s'attacher cette force de la nature que Sophie a dédaignée.
Sophie étant à Paris, l'autre a pris place dans le coeur
du mari.
C'était donc en 1803. Bastia était une petite ville d'environ 8000 habitants. Une faible partie de la population habite la citadelle. C'est là que les Hugo s'installent, dans un appartement du premier étage de la maison Progher (8), l'actuel presbytère.
(8) Le 13 août 1950, à l'occasion du XIXe congrès des écrivains de France, on apposa, sur la façade, une plaque de marbre qui rappelait que "cette vieille demeure abrita Victor Hugo tout enfant". Elle était rehaussée du portrait du poète en médaillon sculpté par Jean Pekle. Quelques années après, la plaque se décolla et fut brisée en tombant. Elle fut récupérée par un ecclésiastique qui se soucia fort peu de la faire remettre en place. Des hommes s'en émurent, la presse s'en mêla (v. Nice-Matin du 14 mai 1967), rien n'y fit. Certains hommes d'église ont la rancune tenace et n'oublient pas que Victor Hugo avait été le chef de la gauche démocratique.
La maison borde, à l'est, une petite place que
limite, au nord, la cathédrale Sainte Marie.
De l'aveu même de Léopold, la vie à Bastia était
agréable. Le vin est excellent, peu cher et plein de feu, raconte-t-il
dans ses "Mémoires". Le pain est bon. Le poisson
est aussi excellent que le vin. Les aliments en général
n'y sont ni plus chers, ni moins bons qu'ailleurs.
"Au milieu des plaisirs honnêtes de tout genre, on cherchait
encore des délassements dans la culture des belles-lettres;
quelques personnes se livraient à l'étude de la nature,
qu'une société d'émulation favorisait... On avait
formé à Bastia un théâtre de société
qui facilement eut rivalisé avec les meilleurs troupes de nos
départements. On dansait souvent, on s'amusait partout, et
les fêtes se succédaient".
La société d'émulation dont parle Léopold,
s'appelait en réalité: Société d'Instruction
(9).
(9) Cf "Les Sociétés savantes en Corse", par le chanoine LETTERON, in Bulletin de la Société des Sciences, fasc. 367-369, imp. Santi, Bastia 1916.
Elle avait été créée le 29
mai 1803 par le Préfet Pietri et inaugurée solennellement
le 9 juin en présence des conseillers généraux,
du général commandant la subdivision, de l'état-major
de la place, des officiers de la garnison, des membres des différents
tribunaux et d'un nombreux concours de citoyens. Léopold avait
été fait membre correspondant. Il s'intéressait
particulièrement aux sciences de la nature et rédigea
les "Moyens de détruire dans ses larves le ver rongeur de
l'olivier en Corse".
Parmi les "plaisirs honnêtes" dont parle Léopold,
il faut mentionner les trois jours de festivités de Carnaval
et la célébration de l'Annonciation (25 mars) et de
la Sainte-Croix (3 avril). La confrérie de la Sainte-Croix
réglait aussi bien les cérémonies religieuses
que les divertissements. Elle faisait imprimer les invitations, les
programmes et des sonnets sur tissu de soie. Pour mettre l'ambiance,
elle embauchait des musiciens, faisait tonner le canon et offrait
des rafraîchissements et des "canistrelli".
Pendant que Léopold apprécie la vie bastiaise,
que deviennent les enfants? Les lettres de Léopold à Sophie
nous apprennent qu'ils se portent assez bien (18 mars) et même
bien (20 mai). Les aînés grandissent sans donner de soucis.
Ils sont doux et sensibles. Victor est "bien portant mais faible"
car les dents le tracassent. S'il a des vers, on lui administre "l'erba
greca", un vermifuge puissant à base d'algues connu en pharmacie
sous le nom de "mousse de Corse" et dont les Corses "font
grand cas".
Plus encore que par les dents ou par les vers, Victor est tourmenté
par l'absence de sa mère. Un passage de la lettre que Léopold
adresse le 18 mars à Sophie est significatif: "Les enfants
te font mille caresses, le dernier t'appelle toujours. Si le pauvre
petit ne te reconnais pas, au moins se rapprochera t-il aisément
de toi, car il semble toujours qu'il a perdu quelque chose".
Il n'entre pas dans le cadre de cette étude de rechercher les
répercussions de l'absence de Sophie sur le caractère
et sur l'oeuvre du poète qui a tant chanté la MERE et
l'ENFANT. Signalons seulement que Victor Hugo feindra d'ignorer cette
période vécue en Corse sans sa mère. "Nous
autres, enfants nés sous le Consulat, nous avons tous grandis
sur les genoux de nos mères, nos pères étaient
au camp" écrira t-il en 1819 dans le "Journal d'un
Jeune Jacobite" et, bien plus tard, dans le "Victor Hugo
raconté par un témoin de sa vie", rédigé
à Guernesey par son épouse, sous son contrôle,
il est dit que "la famille resta entière jusqu'à
la fin de l'An XIII, allant et venant d'une île à l'autre,
tantôt à Porto Ferrajo, tantôt à Bastia.
Tous ces déplacements fatiguaient beaucoup les enfants, et
principalement le petit Victor, toujours languissant, ce qui lui donnait
une tristesse rare pour son âge; on le trouvait dans tous les
coins, pleurant silencieusement sans qu'on sût pourquoi".
C'est peu et c'est faux.
A Bastia, Léopold avait donné "une promeneuse"
à Victor. "Ce pauvre enfant ne pouvait la sentir dans
les premiers jours; il était triste et on aurait dit qu'il
se plaignait d'être envoyé avec une femme qui ne parlait
pas notre langue. Il s'y habitue". De cette femme nous n'en savons
rien et il serait sans doute vain de prétendre qu'elle a aidé
à la création de la Guanhumara des "Burgraves".
Ce qui est sûr, c'est que Victor lui disait: "gattiva"
(tu es méchante) et qu'à l'âge des premières
dents et des premiers mots son oreille a enregistré simultanément
la langue française et la langue corse.
L'absence de Sophie, qui certes a perturbé Victor,
rendait aussi Léopold malheureux. Apparemment, il aimait beaucoup
sa femme. De Marseille, à la veille de partir pour la Corse,
il l'implorait "d'abréger son veuvage". De Bastia,
le 20 mai, à la veille de rejoindre l'île d'Elbe, il lui
demandait de partir aussitôt.
Hélas! Sophie n'est pas pressée de rentrer et, même,
elle ne donne pas souvent de ses nouvelles. Le 12 avril, Léopold
écrivait: "Je n'ai reçu aucune nouvelle de toi
depuis ta lettre du 30 pluviôse (19 février), il y a
aujourd'hui 52 jours".
Il est vrai que les nouvelles mettaient une vingtaine de jours pour
arriver de Paris et il n'y avait de service postal entre le continent
et la Corse que tous les sept jours. Le 13 mai, le courrier n'apporte
pas de lettre de Sophie et Léopold est "livré aux
plus sombres inquiétudes", et il ajoute: "Ne pense
pas que je soye en proie à la jalousie; je te respecte trop
pour en avoir, quoique j'aime avec idolâtrie". Voilà
une dénégation qui vaut une affirmation. Et pourtant
Léopold n'avait, à l'époque, aucune raison de
soupçonner sa femme.
Des raisons d'être jalouse, Sophie aurait dû en avoir.
Elle aurait dû se douter que la sensualité de son mari
était exacerbée; mais les lettres de Léopold
étaient si rassurantes! "Je te serai fidèle jusqu'à
la mort", écrivait-il le 13 février. Et le 18 mars:
"Tu te convaincras à ton retour combien je t'ai prouvé
d'attachement, puisque ma tendresse pour toi est le sujet sur lequel
conversent les gens de bien. Sois tranquille sur ma fidélité.
Outre qu'il y a ici de grands risques à courtiser les femmes,
puisque outre les dangers des maladies nous avons les coups de stylets
à craindre, j'ai ton souvenir trop présent et ton image
trop chère pour te donner des chagrins dont la représaille
me ferait mourir de douleur". Enfin, une dernière affirmation
de ce genre, en date du 12 avril: "Je ne cherche point à
t'être infidèle, je vis pour toi seule".
Les deux autres lettres connues (13 et 20 mai) sont muettes sur ce
point. Léopold aurait-il fauté? Aurait-il déjà
rencontré celle qui sera sa compagne pendant 25 ans? Ce n'est
pas impossible.
Le 20 mai, la 20e demi-brigade est complètement évacuée
sur l'île d'Elbe. Léopold reste à Bastia pour
quelque temps. Est-ce pour y attendre sa femme qui lui a annoncé
son intention de revenir? Peut-être.
La famille Hugo a dû rejoindre l'île d'Elbe
au mois de juin. C'est là que Léopold aurait rencontré
la femme dont il fera sa maîtresse, puis son épouse. L'information,
la seule que nous possédons, nous est donnée par Sophie
dans une requête de 1814 adressée au Tribunal de première
instance de Thionville dans le but d'obtenir la séparation de
corps et une pension de 3000 francs.
Il est dit que "pendant l'absence de Mme Hugo, le régiment
de son mari reçu l'ordre de se rendre à l'île
d'Elbe. Là le Général Hugo fit la connaissance
avec une fille Thomas (Cécile) qui ne possédait rien
au monde, et dont le père venait d'être chassé
pour malversations de l'hôpital de Porto Ferrajo où il
était employé comme économe ou comme infirmier
(10). Et bientôt l'influence et l'obsession de cette malheureuse
firent oublier au général ses devoirs de père
et d'époux".
(10) D'après l'acte de mariage de Maria Catalina avec le général Hugo (Chabris 1821), Nicolas Thomas serait mort en Corse le 1er novembre 1803. L'état civil de Cervioni et celui de Bastia ne portent pas de trace de ce décès.
La "fille Thomas", que Léopold a toujours
appelée Cécile, s'appelait en réalité Marie-Catherine,
ou mieux, comme on la nommait dans son enfance: MARIA CATALINA.
Elle était née à Cervioni le 5 novembre 1783.
Elle avait donc dix ans de moins que Léopold qui était
né à Nançy le 15 novembre 1773.
Cervioni est un gros village situé à 40 km au sud de
Bastia. Accroché aux premiers contreforts de la montagne schisteuse
de la Corse orientale, il a la mer Tyrrhénienne presque à
ses pieds et l'horizon barré par les îles de l'archipel
toscan: Capraia, Elbe, Pianosa, Monte Cristo. Lorsque naissait Maria
Catalina, Cervioni était encore le siège de l'évêché
d'Aléria et de la juridiction royale de même nom. Deux
Bastiais de la famille Saettoni, probablement frères, s'y étaient
établis tout de suite après la conquête française
de la Corse:
- Jean (1733-19 juin 1799), cordonnier en 1772, aubergiste en 1775,
puis boucher à partir de 1781 alors que sa femme Marie-Jeanne,
née Baboni, continuait à gérer l'auberge.
- Jean-Baptiste, boucher, qui mourra à Cervioni le 17 juillet
1792, marié à Catherine Vasalla décédée
bien avant 1784.
Jean-Baptiste avait deux enfants: Jean, dit Ghjuvanninu pour le distinguer
de son oncle, et Anne-Marie, dite Lina, née vers 1764, probablement
à Bastia. A 19 ans, Lina fréquente Nicolas Thomas, coiffeur
faisant fonction d'huissier, qui lui fait un enfant: Maria Catalina.
Nicolas Thomas était né le 2 février 1756, à
Ligny-en-Barrois, de Joseph Thomas et de Madeleine Chopin. Nous ignorons
les raisons qui l'ont fait s'établir à Cervioni. Le
14 avril 1784, il épouse la mère de son enfant. Maria
Catalina est baptisée le même jour. Le parrain est Vincenso
Santalucia, de Bastia, la marraine Marie-Claude Josse, la femme du
receveur des Postes de Cervioni (11).
(11) Arch. municipales de Cervioni.
Lina meurt le 23 octobre 1784, donc six mois après
la célébration du mariage. Maria Catalina a onze mois
et dix jours. Au moins jusqu'en 1794, la petite orpheline et son père
continuent à vivre à Cervioni où les Saettoni se
sont rapidement multipliés.
Nicolas Thomas, dont le nom est généralement corsisé
en Tommasi, apparaît à l'état civil en 1785, 1790,
1791, comme parrain ou témoin de mariage. Le 19 février
1794, il sert de parrain à Philippe Palin dont la mère,
Rosina, est la fille de Jean Saettoni et dont le père, le sergent
Philippe Palin, est de Gondrecourt, donc du pays de Bar comme lui.
Nicolas Thomas était-il encore à Cervioni en 1803 ?
C'est fort peu probable, mais ce n'est pas impossible, de même
qu'il n'est pas impossible que Léopold Hugo soit venu à
Cervioni qui a toujours été ville de garnison (12).
(12) En sept. 1804, la 8e compagnie de la 20e demi-brigade est stationnée à Cervioni. Nous verrons que le régiment de Léopold est de retour en Corse depuis le printemps.
Plus probable est la présence de Nicolas Thomas
à Bastia en 1803. Dans ce cas, Léopold n'aurait pas manqué
de le rencontrer par l'intermédiaire de Cervionais que le chef
de bataillon Hugo a obligatoirement fréquentés comme Antoine-Philippe
Casalta, général de Brigade, Darius Casalta et Philippe-Jean
Suzzoni, de la Société d'Instruction, ou simplement parce
qu'ils étaient lorrains tous les deux.
Léopold Hugo a donc pu faire la connaissance de Maria Catalina
à Cervioni ou à Bastia, mais ce ne sont là que
supputations et nous nous en tiendrons à la version donnée
par Sophie, même si sa requête au tribunal de Thionville
contient des inexactitudes et des contrevérités.
Si l'on s'en tient aux termes d'une lettre qu'il envoie
à Sophie le 18 juillet 1803, à cette date Léopold
n'a pas encore de relations amoureuses avec Maria Catalina: "Mon
amour pour ma femme me fait éprouver plus de plaisir à
penser à elle qu'à rechercher des connaissances qui lui
donneraient du chagrin".
A la mi-octobre, Sophie retrouve Léopold à l'île
d'Elbe. "Etant parvenue, après neuf mois de séjour
dans la capitale, à arranger la malheureuse affaire qui l'y
avait appelée, elle s'empressa (sic) de le rejoindre",
dit-elle dans la requête au tribunal de Thionville. En fait,
Sophie n'avait rien arrangé puisque Léopold désirait
une mutation de régiment et qu'il était encore à
la 20e demi-brigade. D'ailleurs, comment aurait-elle pu obtenir une
faveur en fréquentant Lahorie mis en non-activité depuis
1801 par suite de ses rapports avec Moreau et, par conséquent,
bien plus suspect que ne pouvait l'être Léopold?
Continuons à emprunter à la requête de 1814 la
relation du séjour de Sophie à l'île d'Elbe: "Le
général eut l'air de la recevoir avec affection, mais,
peu de jours après son arrivée, il insista auprès
d'elle pour qu'elle repartit avec ses enfants, lui donnant pour raison
qu'il fallait les mettre en sécurité, la forteresse
où il se trouvait étant menacée par les Anglais...
Il lui disait de plus qu'il fallait qu'elle retournât à
Paris solliciter de l'emploi pour lui, car il était sûr
d'être réformé et de quitter son régiment...
Mme Hugo fut vaincue par toutes ses raisons et se décida à
repartir, ne se doutant guère que son mari désirait
son absence afin de vivre plus en liberté avec sa maîtresse".
Ce n'est pas l'avis de Léopold qui, dans une requête
en divorce faite en Espagne, écrit: "Les réflexions
les plus douces et les plus persuasives demeurèrent vaines
en présence du caractère inflexible de mon épouse.
Elle me priva de toute union conjugale, me sépara de mes enfants
qu'elle emmena à Paris; parti d'autant plus dangereux que les
Anglais occupaient la route" (13).
(13) GUIMBAUD: "La mère de VH", op. cit, p. 137.
Sophie quitta son mari un mois après son arrivée,
emmenant les enfants, promettant, semble-t-il, de revenir trois mois
après. Elle partit de son plein gré, sans doute pressée
de retrouver son amant. La correspondance de Léopold apporte
la preuve que ce départ a été voulu par Sophie,
par elle seule. Le 8 mars 1804: "Rappelle-toi quelquefois que rien
ne peut me consoler de ton absence; que j'ai un ver rongeur qui me mine,
le désir de te posséder; que je suis dans l'âge
où les passions ont le plus de vivacité et que ce n'est
pas sans murmurer contre toi que je sens les besoins de te serrer contre
mon coeur". Le 30 avril, alors que Sophie avait manifesté
peut-être un vague désir de revenir: "Ne reviens que
pour rester". Le 18 juin: "Ton dernier départ m'a fait
tant de mal, il était si fort contre mon gré que j'en
suis encore étonné, et qu'il faut souvent, très
souvent même, que je t'excuse dans mon coeur... Voilà déjà
huit mois que dure cette absence de trois mois". Deux ans plus
tard, alors que Sophie fait état de son intention de rejoindre
son mari à Naples, Léopold lui reprochera son départ
précipité de l'île d'Elbe et dira ne l'accepter
qu'avec "une toute autre résolution que de repartir au bout
d'un mois". Et pourtant, Léopold avait couvert les coups
de tête de Sophie. Le 1er mars 1804, il avait écrit à
son beau-frère Trébuchet: "Je me suis déterminé
à lui donner cette résidence (Paris) en considérant
tous les événements auxquels elle aurait pu être
exposée en cas de siège".
La lettre du 23 avril prouve aussi que Léopold n'avait chargé
sa femme d'aucune sollicitation: "Ne voit personne; ne cherche
point de protecteur". Sophie a donc tort d'écrire: "Mme
Hugo, arrivée à Paris, s'occupa de suite des sollicitations
pour son mari, mais peu de temps après, les protecteurs de
son mari ayant été proscrits, elle se vit arrêtée
dans ses démarches". De quels protecteurs s'agit t-il?
Lahorie trempait dans la conspiration Moreau-Pichegru-Cadoudal dont
le procès s'ouvrira le 25 mai 1804. Ceux qui avaient la volonté
d'aider le chef de bataillon Hugo n'étaient pas en disgrâce:
Joseph Bonaparte, le sénateur Defermon, Clarke,...
Dans la requête, Sophie dit qu'elle avait décidé
de revenir à l'île d'Elbe, mais qu'elle en avait été
empêchée par Léopold d'abord, qui lui avait annoncé
sa venue à Paris pour le couronnement de l'empereur, par la
peste ensuite, qui s'était déclarée à
Livourne. "Mme Hugo ne pouvant exposer ses trois enfants aux
dangers de la guerre, fut obligée d'attendre le moment favorable
pour se réunir à son mari, tandis que la malheureuse
qui cause tous ses malheurs le suivait partout en lui faisant regarder
comme preuve de son dévouement ce qui n'était pour elle
qu'un moyen d'existence, puisque, sans l'argent du général,
elle était réduite à travailler pour vivre et
qu'elle savait bien qu'il n'y avait que sa présence et son
obsession continuelle qui pouvait prolonger la faiblesse d'un père
de famille, vertueux au fond, mais égaré par les artifices
de cette misérable".
Après le départ de Sophie, Léopold
reste encore cinq mois et demi à l'île d'Elbe. En vertu
de l'arrêté des Consuls du 24 septembre 1803 sur l'organisation
de l'armée, la 91e demi-brigade est jointe à la 20e pour
constituer le 20e régiment d'infanterie de ligne. Léopold
Hugo se voit confier le commandement du 4e bataillon et reçoit
l'ordre de revenir en Corse. Le 1er mai 1804, il quitte Porto Ferajo
pour Bastia. Si les vents sont bons, la traversée dure de 12
à 15 heures. La veille du départ, il en informe son épouse
dont la dernière lettre était écrite en termes
plus tendres que les précédentes: "Les assurances
de ton amour, dit-il, les espérances de te prendre enfin sans
crainte de nouvelles séparations, me redonnent pour toi un degré
de plus de tendresse; je ne te cache pas que j'avais besoin de cette
bonne lettre du 18 germinal".
Dans la bateau qui le ramène à Bastia, nous pouvons
supposer que Léopold a fait une place à Maria Catalina.
Que représente-t-elle pour lui à cette époque?
Peut-être une fille agréable et dévouée
qui lui donne sa jeunesse et son amour et lui évite de multiplier
les aventures galantes. Il lui porte un amour léger sans être
frivole, un de ces amours dont on sait qu'ils ne vont pas durer, que
l'on arrête un jour avec chagrin mais sans drames. Il est persuadé
qu'il va retrouver son épouse et ses enfants et aspire à
une vie familiale paisible, sinon exaltante comme aux premiers jours.
A Bastia, Léopold renonce à écrire régulièrement
à Sophie comme il le faisait avant. La première lettre
est probablement celle du 18 juin, en réponse à deux
lettres de sa femme qu'il vient de recevoir. Il assure son épouse
que ces lettres lui ont procuré le plus grand plaisir, mais
avoue que ses sentiments "ne sont plus aussi vifs que dans le
principe... quoiqu'ils le soient encore beaucoup". Pour la première
fois, ce n'est pas la passion qui dicte sa lettre, mais la raison.
Il envisage même une séparation définitive.
Dans cette lettre, Léopold met sa femme en garde sur les conséquences
d'une absence prolongée: "Penses-tu qu'à mon âge
et comme tu me connais, il soit prudent de me laisser abandonné
à moi-même?", et il ajoute: "Il est vrai qu'ici
tu as le stylet pour garant de ma fidélité, et que tu
dois penser qu'avec la plus grande envie de caresser une femme, on
doit s'abstenir dans la crainte de perdre la vie dans ses bras mêmes".
Ici nous sommes en droit de penser que les propos de Léopold
manquent de sincérité. Si nous admettons, comme Sophie
nous l'a appris, que la "fille Thomas" est la maîtresse
de son mari depuis le séjour à l'île d'Elbe, l'évocation
du stylet a même quelque chose d'inconvenant. Maria Catalina
est libre. Sans père ni mère, loin de ses proches parents
qui sont à Cervioni, elle a toute latitude pour s'afficher
avec son amant et le suivre partout. Pour nous, Maria Catalina s'était
installée dans le lit de Léopold et celui-ci avait eu
la chance ou l'habileté de se choisir une femme suffisamment
indépendante pour ne pas jeter le déshonneur sur une
famille.
Le second séjour de Léopold en Corse, à
Bastia surtout mais aussi à Ajaccio, durera près d'un
an et demi, excepté un court voyage à Plaisance pour une
mission dont nous ne savons rien.
A cette époque, l'île est isolée du continent:
"les Anglais d'un côté, la peste de l'autre".
De temps en temps, un courrier assure la liaison avec la côté
italienne, mais la guerre interdit la libre navigation et les militaires
ne reçoivent pas toujours leur solde. Léopold est obligé
d'emprunter 500 francs à son quartier-maître, chose qui
ne lui était jamais arrivée.
Le 23 avril 1804, alors qu'il savait qu'il devait retourner en Corse,
Léopold écrivait de l'île d'Elbe: "Je vais
dans un pays où l'on paie peu, mais où l'on vit à
meilleur compte qu'ici". Or les choses venaient de changer rapidement.
Par suite des difficultés de la guerre, la vie a augmenté,
"tout est d'une cherté horrible". Le voyage d'Ajaccio
à Bastia est plus coûteux que celui de Marseille à
Lyon. A Ajaccio, "tout est d'un prix excessif" : une aune
de drap bleu se vend 70 francs, une cravate revient à six francs,
"et elle est fort ordinaire".
Comme officier, Léopold est tenu à des frais de tenue
et de "représentation". A Bastia, il fréquente
les salons du général de division Colli "dont l'épouse
embellit beaucoup la maison". A Ajaccio, il visite souvent la
famille Bonaparte. Il a peut-être aussi des fréquentations
dont, naturellement, il ne fait pas état dans sa correspondance.
Il s'agit de la franc-maçonnerie. Léopold Hugo aurait
été initié à l'île d'Elbe et aurait
été membre de la loge "La Concorde" O. de
Bastia.
Pendant ce temps, que devient Maria Catalina? Certainement, il ne
pouvait l'exhiber dans les manifestations mondaines. Elle devait attendre
son retour, le soir, dans le grand appartement qu'il avait loué
avec l'espoir d'y installer toute sa famille et d'y recevoir les officiers
de son régiment. Nous ignorons s'il s'agit encore de celui
de la maison Progher où il avait logé ses enfants lors
du premier séjour.
Quoiqu'il en soit, la liaison de Léopold Hugo avec Maria catalina
ne pouvait être ignorée, en particulier de ses chefs,
mais le fait était commun dans les milieux militaires et ne
pouvait nuire à sa carrière. D'ailleurs le général
Morand lui veut tout le bien possible, écrit pour lui à
Joseph Bonaparte, demande pour lui, au ministre de la guerre, une
place d'adjudant-major et une gratification de 1500 francs.
Léopold était en effet un serviteur exemplaire. Malgré
ses réels sentiments de profonde humanité, il avait
dû faire partie de l'appareil répressif instauré
par Morand. Il avait conscience du danger que cela représentait
et, plus encore que le stylet des maris bafoués, il avait peur
de la vendetta corse, "ayant été membre et rapporteur
d'une commission militaire qui a condamné cinq embaucheurs
du pays à la peine capitale".
La seconde période corse de Léopold Hugo
sera déterminante pour sa vie sentimentale. Le désaccord
avec Sophie va se préciser en même temps que se fortifie
son attachement pour Maria Catalina.
Les premiers temps, Léopold ne croit pas à une rupture
définitive avec sa femme. Il n'y croit pas et ne le désire
pas. Il pense que tout va s'arranger. En effet, à son arrivée
à Paris, Sophie a manifesté l'intention de revenir et
assuré son mari de son amour. Lui est tout heureux de recevoir
des nouvelles de son épouse, trop rares il est vrai, et offre
des cadeaux: un collier et aussi son portrait fait à Bastia par
Mme Garre, la cousine de l'inspecteur aux revues, une artiste qui a
tant de talent que seul Isabey peut "pour la ressemblance rivaliser
avec elle".
Cependant, l'avenir du ménage ne dépend pas que de lui.
Il appartient aussi à Sophie de fournir un effort pour faire
oublier un certain passé et conforter des sentiments qui se dégradent.
Pour Léopold, le souvenir des retrouvailles à l'île
d'Elbe est amer. Il espérait une nouvelle lune de miel, il n'a
trouvé que "froideurs" et "rebuts". Sophie
a répondu à la passion bouillonnante de son mari par des
"refus irréfléchis" et un départ précipité:
"Je n'ai vu dans ton départ qu'une volonté ferme
de me fuir, d'éviter des caresses qui t'étaient importunes,
de te soustraire à des scènes de ménage que ta
tête bretonne rendaient beaucoup trop longues".
Le 11 juin 1805, Léopold, qui a "enfin" reçu
des nouvelles de Sophie, écrit une lettre dont le pathétique
est d'une intensité jamais atteinte jusque là.
"Ma bonne amie, écrit-il, viens me consoler". De quoi?
Du regret, sinon du remords, d'avoir trompé sa femme? Ce n'est
pas si sûr. On peut envisager une fâcherie avec Maria Catalina.
Léopold semble en effet désemparé au point de faire
l'aveu de son infidélité. Après avoir évoqué
le souvenir de ses enfants et de leur mère, "cause de regrets
bien cuisants" mais aussi "source continuelle de larmes douces
et de jouissances pures", il ajoute: "On peut bien, à
mon âge et avec un tempérament malheureusement trop ardent,
avoir pu s'oublier quelquefois". Bien sûr la faute en incombe
à Sophie qui a abandonné son époux, mais "les
conséquences de pareilles actions ne sont rien quand un mari
conserve un coeur tendrement attaché et surtout quand il n'est
pas forcé de les renouveler souvent et longtemps de suite. Toi
qui me connais mieux qu'une autre, pourquoi n'as-tu pas laissé
le remède près de moi?".
Nous nous interrogeons sur l'événement, ou la disposition
d'esprit ou de coeur, qui a dicté cette lettre. C'est un appel
émouvant à Sophie pour qu'elle reprenne la vie commune.
"Vois moins dans cette lettre franche un aveu de fautes que la
nécessité d'en empêcher la continuation par ta présence.
Sois sûre que je serais incapable de tout acte qui me dégraderait
à mes propres yeux, que je ne cherche de femmes (noter le pluriel)
que par besoin, mais que mon coeur est tout à toi et ma tendresse
inviolable pour mes bons enfants. Rassure-toi, rassure-les sur tes larmes
et viens en verser avec eux de plaisir et de joie dans les bras d'un
époux qui t'aime et à qui tu cesseras dès lors
de pouvoir reprocher rien... Baise Abel, baise Eugène, baise
Victor pour leur papa; ne pleure plus et aime-moi, car je le mérite
toujours".
Lorsqu'on a appris à connaître Sophie, on se représente
mal les pleurs dont elle a fait état dans sa lettre, ces pleurs
qui ont bouleversé Léopold, et la suite de la correspondance
va prouver qu'elle veut davantage qu'on s'apitoie sur l'état
de sa bourse que sur celui de son coeur.
Quelle sera la réaction de Sophie au message du
11 juin 1805 dont Barthou a dit qu' "aucune lettre de Léopold
Hugo n'est plus profondément humaine"?
Elle a dû recevoir le courrier de son mari une vingtaine de
jours après. Elle répond le 9 juillet, donc presque
aussitôt. Nous ne connaissons pas le texte de sa lettre - hélas!
- mais la réponse de Léopold, datée des premiers
jours de septembre à Ajaccio, laisse deviner son contenu.
"Après un très long silence de votre part, je
reçois votre lettre de reproches". Notez d'abord le vouvoiement.
C'est la première fois qu'il apparaît sous la plume de
Léopold. Nous pouvons considérer qu'il marque la rupture
définitive entre les époux.
Quant aux "reproches", quels sont-ils? On pourrait croire
qu'il s'agit des récriminations de la femme trompée,
de l'épouse outragée. Nullement, ou si peu. Sophie est
indignée de la situation matérielle qui lui est faite:
son mari ne lui envoie pas l'argent nécessaire à l'entretien
de la famille.
Léopold Hugo répond sèchement: "J'ai fait
pour vous ce que j'ai pu, et vraiment je n'ai pu faire davantage.
Vous penserez de mes sentiments pour vous et mes enfants tout ce qu'il
vous plaira; je n'ai diminué mon attachement ni pour eux ni
pour vous. Je me félicite heureusement que si j'ai été
assez malheureux jusqu'à présent pour ne pouvoir distraire
depuis votre départ qu'une somme de 1205 francs... mes dettes
payées actuellement vont me permettre de faire davantage que
je ne fais, si on me laisse l'hiver à Ajaccio. Faites les réflexions
qui vous plaira, accusez-moi, dites-moi des sottises si vous voulez,
il n'en faudra pas moins payer..." et il énumère
des dépenses personnelles qu'il ne peut éviter. Jusqu'à
présent il a hésité à faire une délégation
de solde limitée au minimum exigé par la loi; il compte
s'y résoudre tôt ou tard.
"Vos réflexions sont plus fondées que vos reproches.
Il y a vingt de mes lettres dans lesquelles je vous ai représenté
que deux ménages nous ruinaient. Vous m'avez donné des
raisons que vous croyez bonnes et jamais je ne vous parlerai de revenir
près de moi, voulant vous laisser pour toujours maîtresse
de rester où vous êtes ou de revenir quand il vous plaira.
"Quant à tous ces mots de désespoir que l'avenir
vous fait insérer dans votre lettre, vous ne pouvez pas tous
me les attribuer. Rappelez-vous que, quand je dus vous épouser,
vous me fîtes espérer qu'il vous revenait quelque chose
de votre père. Il n'en a rien été; si cela n'a
point été de votre faute, tous les reproches ne peuvent
non plus tomber sur moi. J'ai pu à différentes fois
placer en terre quelques petites sommes et vous n'avez voulu, tantôt
parce que vous n'aimiez pas mon pays, tantôt parce que vous
espériez du vôtre, et tout a été dépensé.
" Je vous répète que je ne suis point homme à
abandonner ma famille, mais je ne puis faire plus que ce que je vous
promets.
"Je vous embrasse".
Publiant cette lettre, Barthou conclut: "Quand on embrasse avec
cette froideur l'amour est mort dans les coeurs".
Vers le 20 septembre, Léopold quitte Ajaccio.
"Nous reçûmes dans cette ville, sur la fin de l'an
XIII - raconte-t-il dans ses "Mémoires" -, l'ordre
de nous embarquer pour Gênes, et là celui de nous rendre
à marches forcées sur l'Adige, pour faire partie de l'armée
d'Italie, au 8e corps de la grande armée, aux ordres de M. le
Maréchal Masséna". Napoléon, qui avait commencé
la marche sur Vienne, avait en effet donné mission à Masséna
de retenir l'archiduc Charles sur le théâtre secondaire
d'Italie.
La 20e régiment, auquel appartenait Léopold Hugo, avait
été incorporé à la division Duhesme qui
avait pris position entre le lac de Garde et l'Adige. Le 29 octobre,
les troupes passent le pont de Verone et se trouvent face aux armées
autrichiennes. Le 30, à la tête du 4e bataillon, Léopold
s'illustre à la bataille de Caldiero. Les troupes françaises
commencent alors une marche facile vers l'est. Elles passent la Brenta
à Bassano, le Tagliamento à Valvasone et, le 17 novembre,
l'Isonzo à Gradisca et Gorizia.
A l'époque, Gorizia, au nord de Trieste, est une charmante
petite ville du Frioul, ce petit pays qui tente de conserver son identité
malgré l'enserrement des cultures italienne, allemande et slave.
Située sur la rive gauche de l'Isonzo, elle affirmera plus
tard sa vocation touristique et sera appelée la "Nice
autrichienne".
Au nord de Gorizia, dans la même boucle de l'Isonzo, se trouve
le village de Salcano.
Après la première guerre mondiale, Gorizia, propriété
des Hasbourg, sera rattachée à l'Italie. Après
la seconde, Salcano, faubourg de Gorizia, sera donné à
la Yougoslavie.
Maria Catalina avait quitté la Corse avec Léopold Hugo
et traversé l'Italie à la suite de son amant. Nous pouvons
affirmer, sans grand risque d'erreur, qu'au mois de novembre 1805
elle s'était installée à Salcano.
Dans la requête au tribunal de Thionville, Sophie dit qu'en
1808, en Espagne, Maria Catalina "eut l'audace de prendre le
nom et titre de comtesse de Salcano". Cette usurpation de titre
nobiliaire date certainement de l'époque de l'occupation des
provinces illyriennes par l'armée de Masséna. A partir
de cette époque, Maria Catalina signera: comtesse de Salcano,
jusqu'au jour où elle pourra se dire, en toute légalité,
comtesse Hugo.
Nous ignorons dans quelles circonstances la roturière se fit
comtesse. L'idée vint peut-être de son amant qui a toujours
désiré un blason et l'a d'ailleurs obtenu. Lorsque les
généraux attendaient de Napoléon la distribution
des duchés, le chef de bataillon Hugo a pu espérer prendre
la relève des comtes de Gorizia dont la lignée était
éteinte depuis trois siècles.
En Italie, Léopold reçoit des nouvelles
de sa famille. Il répond à Sophie le 29 novembre de Balsano,
le 28 décembre de Gorizia. Le tutoiement a repris et il utilise
même le "chère Sophie" des premières années.
Ce soldat à la plume facile donne des détails sur ses
actions militaires, traite de politique européenne, de guerre
et de paix, mais l'amour est désormais absent de ses lettres.
La correspondance entre les époux a surtout pour but de régler
les questions d'argent. Sophie veut savoir quelle somme mensuelle lui
sera allouée. Léopold lui enverra 150 francs et en gardera
135. Il lui promet aussi la totalité de la gratification d'entrée
en campagne de 600 francs qu'il devrait percevoir. A ce compte-là,
on pourrait se demander comment Léopold Hugo peut acheter deux
chevaux et leur équipage, payer ses domestiques, s'entretenir
et entretenir sa maîtresse, si l'on était sûr que
toutes les rentrées d'argent sont avouées.
Après Austerlitz, une partie de l'armée d'Italie, commandée
par Masséna, est donnée à Joseph Bonaparte pour
faire la conquête du royaume de Naples et des Deux-Siciles.
De Trévise, Léopold envoie 301 francs à Sophie
pour deux mensualités en retard. Le 13 janvier 1806, il est
à Padoue. Un mois plus tard, après avoir traversé
les Etats de l'Eglise, l'armée pénètre en Campanie.
Le 12 février, au bivouac, Léopold reçoit une
lettre de Sophie datée du 31 décembre à laquelle
est joint un billet d'Abel, qui a maintenant sept ans, sans doute
pour souhaiter la bonne année à son père. Celui-ci
répond le lendemain de Vaizano. Il est toujours question d'argent:
"un de tes châteaux en Espagne, ma chère amie, est
celui de tes économies".
Le 14 février, les troupes françaises pénètrent
dans Naples. Le régiment de Léopold fera partie de la
garnison de la ville. Le 30 mars, Napoléon place son frère
sur le trône du royaume.
Dans la correspondance de Léopold Hugo, aucun indice ne révèle
la présence de Maria Catalina. "Moi je m'ennuie! Je n'ai
ici ni livres, ni sociétés. Me coucher de bonne heure
et m'ennuyer dans mon lit, voilà le sort où ma solitude
me réduit" (10 avril). C'est faux. Maria Catalina est
à Naples; elle ne quitte plus son amant.
Pourquoi Léopold éprouve-t-il le besoin d'un mensonge
inutile? Sans doute pour préserver l'avenir car il n'écarte
pas encore l'idée d'une réconciliation et d'une vie
commune avec son épouse, d'autant plus que l'avenir des enfants
est en jeu. Sans doute aussi, son attachement pour Maria Catalina
n'est pas encore irréversible. Il est seulement en train de
se consolider, par la force de l'habitude d'une part, d'autre part
par l'amour patient et dévoué de la jeune Corse. Rien
ne permet d'affirmer que les amants étaient alors réciproquement
passionnés, mais le ciel était sans nuages.
Léopold écrit à Sophie que les chefs se voient
très peu, que leurs logements sont tous éloignés
les uns des autres. Nous sommes persuadés que dans le sien,
une femme l'attend lorsqu'il rentre le soir. Ce qui ne signifie pas
qu'elle vit claquemurée, même si elle n'assiste pas aux
inévitables réceptions qui se pratiquent dans une ville
de garnison. En ville, elle ne peut manquer de rencontrer de nombreux
compatriotes, surtout les militaires de la Légion Corse et,
en particulier, des Cervionais qu'elle a dû connaître
pendant son enfance: le chef de bataillon Darius Casalta, le capitaine
Simon-Pierre Santolini qui mourra devant Gaète, son frère
François que Joseph Bonaparte fera gouverneur d'Altamura, le
capitaine Ange-Joseph-Louis Suzzoni, et d'autres.
D'ailleurs, dans cette ville de Naples, devait encore flotter le
souvenir des nombreux Corses qui s'y réfugiaient à l'époque
où ils luttaient pour leur indépendance, de celui surtout
qui devint le chef de la nation: Pascal Paoli. Et, dans les bas-quartiers,
on chantait peut-être encore cet hymne religieux à la
gloire de la mère de Jésus, le Dio vi Salvi Regina,
dont les Corses avaient fait leur hymne national.
Il semble que, dès l'installation de Léopold à
Naples, Sophie ait manifesté l'intention de rejoindre son mari.
Celui-ci lui écrivait, le 27 mars 1806: "Je ne songe nullement
à te faire venir, et bien certainement tu dois en sentir la
raison. Tu m'as fait perdre le désir de ta réunion à
moi avant que je n'ai un emploi stable, ou avant qu'une paix générale
bien cimentée ne me le permette".
A cet "emploi stable", Léopold y pense en effet
malgré sa vigueur physique, toujours la même. Et d'abord,
il envisage de quitter l'armée impériale pour le service
du roi Joseph. Un grade dans la gendarmerie napolitaine, ou le commandement
d'armes d'une place du royaume, permettrait à sa famille de
venir en Italie. Il en fait part à sa femme, mais hésite
à en formuler la demande. Maria Catalina n'est sans doute pour
rien dans son indécision. Est-elle assez intelligente pour
savoir que le temps travaille pour elle, ou se contente-t-elle d'être
la maîtresse résignée qui reste dans l'ombre?
On ne sait.
A Naples, Léopold connaît les nouvelles de Paris par
les journaux qui arrivent régulièrement une vingtaine
de jours, souvent moins, après leur parution. Sophie écrit
très peu: "il m'est impossible de deviner les causes qui
me font rester ici plus d'un mois sans recevoir de tes nouvelles"
(9 juin); "tu as été 54 jours sans m'écrire"
(9 août); "donne-moi donc de tes nouvelles ou dis-moi avec
franchise que tu ne veux plus m'en donner: je saurai alors quel parti
prendre" (19 août).
Début août, Léopold s'est résolu à
demander un bataillon dans la garde du roi. On lui oppose un refus.
Le 9 septembre, il écrit à sa femme: "Les motifs
qu'on m'en a donné ne m'attaquent pas personnellement. Je ne
suis écarté que par mes liaisons avec G.L. Cependant
on me veut du bien, on a de l'estime pour moi et le temps à
venir pourra me le prouver; il fallait donc m'opposer des liaisons
avec un homme qui ne m'a point écrit depuis plus de quatre
ans, qui ne m'a parlé dans ses lettres que de mes intérêts
particuliers". G.L. c'est le général Lahorie. Le
service de renseignements de l'armée est certainement informé
des rapports qu'il a avec Sophie. La police de Fouché sait
qu'il avait été hébergé clandestinement
par elle et même qu'elle l'avait rejoint dans sa propriété
près de Vernon.
Le 28 septembre 1806, Léopold Hugo passe au service de Naples
dans le 2e régiment d'infanterie légère, puis
dans le 1er régiment qui est l'ancien Royal corse et qui, le
8 janvier 1807, prendra le titre de Royal corse de Naples. Ce corps,
"composé d'hommes levés dans les départements
du Liamone et du Golo, était connu dans l'armée pour
son extrême valeur, mais n'avait pas une réputation brillante
sous le rapport de la tenue, de la discipline et de l'instruction
théorique". Léopold réussit à se
faire aimer de ces hommes. Décidément, ses rapports
avec les Corses sont toujours marqués par le succès!
C'est l'époque où Léopold Hugo entre dans l'Histoire
en réussissant la capture du fameux chef de partisans, Fra
Diavolo. Il en est récompensé, le 30 novembre, par le
grade de major et le commandement définitif de la province
d'Avellino.
Le 9 janvier 1807, au cours d'un bref passage à
Naples, Léopold écrit à Sophie et lui fait part
de quelques projets. Il veut demander pour Abel une place à l'école
militaire; peut-être en obtiendra-t-il une aussi pour Eugène.
Il veut même placer son frère Francis dans la gendarmerie
napolitaine et y réussit: la nomination, avec le grade de sous-lieutenant,
est datée du 18 avril.
Curieusement, cette lettre du 9 janvier est la seule connue, semble-t-il,
pour toute l'année 1807 pendant laquelle Léopold, à
Avellino, vit maritalement avec Maria Catalina, et Sophie, à
Paris, se consacre à l'éducation de ses enfants ne rencontrant
qu'exceptionnellement Lahorie réfugié en Normandie.
A la fin du mois de décembre, Sophie décide de rejoindre
son mari sans y être invitée (14).
(14) GUIMBAUD: "La mère de VH", op. cit., p. 176.
Cette décision, elle l'a prise toute seule quoiqu'en
dise le "Victor Hugo raconté...": "Le premier
soin du gouverneur (d'Avellino) fut d'écrire à sa femme
de venir le rejoindre. Il y avait plus de deux ans qu'il était
séparé d'elle. Maintenant que l'Italie était pacifiée,
il allait pouvoir être mari et père".
Paris, passage du Cenis dans la neige, la Lombardie, Rome. Victor
Hugo, qui a six ans, évoquera bien plus tard pour Georges Sand
"cette éblouissante et formidable campagne de Rome que
j'ai vue enfant, et qui m'est restée dans l'esprit et dans
la prunelle, comme si j'avais vu du soleil mêlé à
de la mort".
A Rome, Sophie prévient Léopold de sa prochaine arrivée
avec les enfants. Il ira les recevoir et les installer à Naples,
trouvant des prétextes pour ne pas les emmener tout de suite
à Avellino où se trouve Maria Catalina. Ce devait être
au mois de février 1808, à peu près à
l'époque de la nomination de Léopold au grade de colonel
(23 février).
A défaut d'autres sources, empruntons au "Victor Hugo
raconté..." l'arrivée à Naples et à
Avellino:
"Mme Hugo se reposa quelques jours à Naples. Elle avait
beaucoup plus souffert du voyage qu'elle n'en avait joui. Assez insensible
à la nature, elle ne s'était émue tout le temps
que de deux choses: l'incertitude des gîtes et la certitude
des puces. Les enfants ne virent pas grand chose de la ville, parce
que leur mère, peu curieuse, restait dans sa chambre toute
la journée et attendait que le soleil fût tombé
pour les mener en calèche sur le bord de la mer.
"Ils atteignirent enfin Avellino, où leur père,
impatient et ravi, s'était mis en grand uniforme pour les recevoir.
Après les embrassements, on visita la maison. C'était
un palais de marbre tout crevassé par le temps et par les tremblements
de terre. Mais la chaleur du climat dispensait d'une clôture
bien hermétique. On y avait toute la place désirable
pour jouer, c'était tout ce qu'il fallait. Les lézardes
faisaient des cachettes dans l'épaisseur des murs. Hors du
palais, un ravin profond tout ombragé de noisetiers compléta
le bonheur des enfants. Dès le premier jour, ils y passèrent
leur vie, se laissant rouler sur la pente ou grimpant aux arbres".
Sophie et les enfants n'ont pas dû rester bien
longtemps à Avellino. Léopold était souvent en
campagne... le palais était délabré... Sophie était
malade... toutes bonnes raisons pour que la famille retourne à
Naples. Mais il en était une autre, péremptoire: les époux
ne pouvaient plus vivre côte à côte sans disputes.
Ils se retrouvaient dans la même situation qu'à l'île
d'Elbe. Une lettre du 7 mai, de Léopold à Sophie, l'indique
nettement. Après lui avoir annoncé qu'il portait sa pension
à 3000 francs et s'être inquiété de sa santé,
il évoque calmement les "fatales circonstances" qui
ont provoqué une nouvelle séparation et conseille:
"Elève les enfants dans le respect qu'ils nous doivent,
avec l'éducation qui leur convient... Rattachons-nous à
eux puisque nous nous sommes prouvé les difficultés
de nous rattacher l'un à l'autre. Si nos divisions ont altéré
pour eux l'espoir d'un bien-être à venir, il faut qu'ils
le retrouvent dans leur éducation et dans mes services".
Trois jours avant, Léopold avait informé sa mère
du départ de Sophie: "Elle est venue ici pleine de fausses
idées et est partie de même. J'en suis encore à
deviner ce qui l'a portée à venir et à repartir
si promptement. Sans les enfants je vous réponds que je ne
supporterais pas longtemps les noeuds qui m'attachent à elle".
Plus encore que sur les "fausses idées" de Sophie,
il faut s'interroger sur les "fatales circonstances" qui,
une fois de plus, rejetaient les époux loin l'un de l'autre.
On peut penser que Sophie a connu l'existence de Maria Catalina aux
côtés de son mari, et même que les deux femmes
se sont rencontrées. Et pourtant, cela n'apparaît pas
nettement dans la requête au tribunal de Thionville:
"Mme Hugo ne dévoilera point à la justice les
mauvais traitements qu'elle eût à essuyer, toujours par
les conseils de cette créature, ne pouvant invoquer l'appui
des tribunaux pour des lois qui ne régissaient pas son état
civil. Mme Hugo fut forcée de céder à son mari
et de retourner en France attendre des circonstances plus favorables
pour se faire rendre justice, en espérant encore du temps et
de la raison que le général Hugo ne sacrifierait pas
ce qu'il avait de plus cher à une passion honteuse par l'objet
qui l'inspirait et qui pouvait causer sa ruine".
Le 22 décembre 1808, Sophie passait contrat avec un "vetturino"
pour la transporter avec les enfants de Naples à Milan. Bravant
une seconde fois l'hiver, ils faisaient le voyage de retour. Le 7
février, ils étaient à Paris. Quelqu'un attendait
l'épouse du général Hugo: le général
Lahorie.
Lorsque Sophie partait pour Paris, Léopold avait quitté le royaume de Naples depuis près de six mois. Nous mettrons ce départ tardif sur le compte de la maladie de Mme Hugo et, plus encore, sur l'espoir de percevoir une partie de la gratification que le roi Joseph avait accordée à ses officiers. Dans la correspondance de Léopold, il est même question d'une vente dont nous ne savons rien (15).
(15) Abel Hugo écrira plus tard une nouvelle intitulée "La Vengeance" où intervient un marquis d'Avellino. On ne peut rien en déduire quant au séjour de la famille Hugo à Naples.
Le départ du colonel Hugo était lié
à la politique européenne de Napoléon, lequel venait
de transférer son frère du trône de Naples à
celui d'Espagne. Dans ses "Mémoires", Léopold
raconte que Joseph Bonaparte lui laissa le choix entre le service du
nouveau souverain avec l'assurance de conserver ses emplois à
l'armée et à la Cour (après avoir été
fait chevalier, puis commandeur de l'Ordre Royal des Deux-Siciles, il
venait d'obtenir la dignité de maréchal du Palais) et
une nouvelle carrière dans un Etat à la mesure de ses
ambitions: "quelque brillante que fut alors ma position, je n'oubliai
point que je la lui devais: quelques espérances dont on daignât
me flatter encore, quelques offres de fortune même que l'on me
fit au moment du départ, je n'hésitai pas un instant à
tout abandonner pour me rapprocher du prince auguste auquel je devais
ma carrière".
La décision prise par Léopold est certainement dictée
par sa constante fidélité au roi Joseph, mais d'autres
considérations ont pu peser sur son choix. Sans compter l'espérance
de nouvelles promotions, il était sans doute heureux de s'éloigner
de Sophie. En effet, entre les époux, le fossé se faisait
abîme.
Léopold entre au service de l'Espagne à compter du
1er juillet 1808. "Il partit de Naples, raconte Sophie, emmenant
avec lui cette fille déguisée en homme (16), qui sûrement
avait déjà le projet de jouer le rôle brillant
qu'elle a joué depuis en Espagne.
(16) "Suivi du seul hussard qu'il aimait entre tous" dira Victor Hugo. La chose est courante à l'époque. A la fin de 1809, Masséna entrera en Espagne emmenant dans ses bagages une fille habillée en officier.
Les affaires de ce pays ne lui permettant pas d'y entrer avec le général, elle s'arrêta à Aix-en-Provence et c'est de là qu'elle partit quelque temps après pour rejoindre le général qui venait d'être nommé gouverneur d'Avila... elle s'installa dans la maison du général, vécut publiquement avec lui, commanda dans sa maison comme aurait pu le faire la légitime épouse".
En Espagne, Léopold Hugo est de toutes les campagnes
jusqu'en 1813 lorsque, l'armée française étant
refoulée par Wellington, Joseph Bonaparte perd son trône
au profit du roi Ferdinand qui retrouve le sien.
Il est successivement ou simultanément colonel du Royal-Etranger,
gouverneur de la province d'Avila, majordome du Palais, maréchal
de camp (20 août 1809), gouverneur de la province de Guadalajara,
sous-inspecteur général de tous les corps formés
et à former (27 septembre 1809), chef d'état-major du
gouvernement de Madrid (1er oct. 1811), commandant de la place de
Madrid (3 mars 1812), aide de camp de Joseph Napoléon (24 juin
1813). Avant la fin de 1809, il est commandeur de l'Ordre royal d'Espagne
et, en septembre 1810, le roi Joseph vient le voir dans son gouvernement
de Guadalajara et lui donne le choix entre les comtés de Siguenza,
Cifuentes ou Cogollado avec une dotation d'un million de réaux.
La préférence de Léopold allait au premier. Sophie,
née Trébuchet "de la Renaudière", pourra
se dire comtesse de Siguenza, mais aussi Maria Catalina qui aura parfois
l'audace de signer: "Catherine de Hugo, comtesse de Siguenza,
née de Salcano".
La situation matérielle de Léopold est en rapport avec
ses grades et titres. Cette fois il a de l'argent et en donne largement
à l'insatiable Sophie qui en demande toujours plus.
Sophie aurait reçu 84.000 francs pendant le séjour
de son mari en Espagne. Cette somme n'était pas destinée
au seul entretien de la famille. Léopold désirait la
propriété d'un domaine en France et charge sa femme
d'en négocier l'achat. Dans ce but, il signe des lettres de
change importantes. Sophie dépensera l'argent sans faire la
moindre acquisition.
Le roi Joseph, mis au courant des intentions de Léopold, en
fut irrité car il voulait que ses officiers investissent et
se fixent dans le royaume. Le général Hugo s'exécuta
et entra en pourparlers pour acheter la Dehesa d'Avila et le domaine
San Pedro de las Duenas à Ségovie. Le 2 août 1810,
il écrit à Sophie: "J'ai soumissionné en
Espagne un bien de 20.000 livres de rente". Il s'agissait du
domaine de Ségovie. Or, il semble que Léopold n'en soit
pas resté propriétaire. Le seul achat que nous connaissons
est celui du couvent et terres attenantes des extrinitaîres
déchaussés, situé à Madrid. Cet achat
n'a pas été fait uniquement en son nom. Maria Catalina
était copropriétaire dans des proportions que nous ignorons.
Cette information nous est donnée, en même temps qu'une
autre évoquée pour la première fois, par une
lettre du général Hugo à son fils Victor, en
date du 13 mars 1822. Dans cette lettre, il est question de la propriété
de Madrid "achetée après la rupture par les tribunaux
espagnols des liens qui m'attachaient à ta mère, et
sur laquelle mon épouse actuelle n'a que des droits proportionnés
à son apport".
Aussi bien la vente que le jugement des tribunaux n'auront aucune
valeur après 1813.
En ce qui concerne les relations entre les époux
Hugo au tout début de la période espagnole, elles sont
ce qu'elles étaient à la fin de la période napolitaine.
Rapidement, elles vont se détériorer encore plus.
Le 18 octobre 1808, Léopold répond à une lettre
de Sophie, une Sophie toujours obsédée par les questions
d'argent. Les enfants ne doivent pas se ressentir, dit-il, "de
la rupture que nous avons établie entre nous. Il faudra qu'ils
ignorent cette rupture et être assez prudents pour ne pas les
en rendre participants par des éclats injurieux contre l'un
ou l'autre. Nous nous sommes prouvés que nous ne pouvions pas
vivre ensemble, mais l'intérêt de nos enfants l'ayant
emporté sur la nécessité d'un acte public de
séparation, tu devras les élever dans un égal
respect pour moi comme pour toi".
Nous aurions aimé connaître la réponse de Sophie
(17) afin d'expliquer la courte lettre du prolixe Léopold,
en date du 9 novembre:
(17) La disparition des lettres de Sophie est très regrettable. Nous sommes conscients d'être parfois plus sévères avec elle qu'elle ne le mérite.
"Je vous adresse, Madame, une reconnaissance de
500 francs. C'est pour le moment, au milieu des brillants avantages
que vous me supposez, tout ce dont je puis disposer; je suis fâché
de ne pouvoir faire davantage.
"Je ne puis faire que cette courte réponse à votre
longue lettre. Ne m'achetez rien et portez-vous selon vos désirs.
"Accusez-moi réception des 500 francs".
Quant on pense au ton modéré généralement
utilisé par le mari, à son souci de toujours tout expliquer,
on suppose que la lettre de Sophie devait être terrible. D'après
la lettre suivante de Léopold, elle devait être toute
en "jérémiades", "injures", "ennuyeuses
raisons".
Cette fois, il semble que la rupture soit définitive. Léopold
a changé de ton: il se montre agacé, il se fait agressif.
"Je ne vous proteste pas d'attachement, parce que je suis loin
de croire au vôtre" (22 déc.) "Vous pouvez
m'écrire tous les quinze jours, si vous en avez le temps; je
répondrai à vos lettres. Portez-vous bien" (27
mars 1809). "J'ai doublé la somme que par écrit
vous aviez exigée de moi et vous pensez m'obliger à
l'augmenter par vos menaces; vous vous trompez" (9 mai). Cette
lettre se termine sur un ton plus modéré: Léopold
est intensément ému; il n'a pas reçu de lettres
des enfants pour le premier janvier.
A son retour de Naples, début 1809, Sophie s'installe
rue de Clichy, puis rue Saint-Jacques et, au mois de juin, dans l'ancien
couvent des Feuillantines dont Victor parlera tant et tant de fois dans
son oeuvre. Peu de temps après, peut-être même tout
de suite, elle y cache Lahorie qu'elle loge au fond du jardin, dans
la sacristie d'un reste de chapelle. Il y restera jusqu'au 30 décembre
1810, jour de son arrestation par la police de Savary.
Lahorie étant mis au secret, Sophie Hugo va partir pour l'Espagne.
Comment en est-elle arrivée à prendre cette décision?
Si l'on en croît la requête au tribunal de Thionville,
elle l'a prise toute seule, ayant appris que son mari vivait publiquement
avec la fausse comtesse de Salcano et voulant faire cesser la situation
honteuse dans laquelle elle se trouvait: "Mme Hugo ayant été
informée de ce scandale, partit pour Madrid avec ses trois
enfants, espérant que son arrivée pourrait faire cesser
tous ces désordres. Son mari avait été fait général
depuis quelque temps (18) et se trouvait alors à Guadalaxara
près de Madrid, toujours avec la soi-disant comtesse dans sa
maison".
(18) Léopold était maréchal de camp, grade correspondant à celui de général de brigade, depuis le 20 août 1809.
Le "Victor Hugo raconté..." donne une
autre explication du départ pour Madrid.
Disons d'abord que Léopold avait usé de son crédit
pour faire venir ses frères cadets en Espagne: Louis, capitaine
au 55e régiment d'Infanterie, et Francis que nous avons déjà
rencontré à Naples, sous-lieutenant dans la gendarmerie.
En Espagne, Francis avait gagné les galons de lieutenant, puis
de capitaine, Louis ceux de major, puis de colonel.
Le colonel Hugo vint à Paris, chargé de mission par
son frère auprès de l'empereur. Il passa aux Feuillantines.
Son arrivée fit sensation sur les enfants qui "virent
entrer, vivement et joyeusement, avec des broderies sur tout l'habit
et un grand sabre brillant qui lui traînait aux jambes, un homme
grand et élégant qui ressemblait à leur père
et qui venait du pays du soleil".
D'après le "Victor Hugo raconté...", le colonel
était chargé d'une seconde mission par Léopold:
"il s'agissait de décider Mme Hugo à venir retrouver
le général en Espagne. Après trois ans de séparation,
le mari désirait ravoir sa femme et le père ses enfants".
Et puis, lit-on, il y avait une autre raison: la volonté du
roi Joseph de voir ses officiers s'établir dans le royaume.
Convoqué à ce sujet, Léopold aurait répondu
"qu'il allait dès le lendemain acheter le premier domaine
venu et qu'il y ferait venir sa famille".
Bien entendu, Léopold ne désirait pas la présence
de sa femme et n'avait chargé son frère d'aucune mission
auprès d'elle. Par contre, il est probable que Louis ait conseillé
sa belle-soeur de rejoindre son mari. Il avait au moins deux raisons
de le faire: d'abord il n'aimait pas Maria Catalina, ensuite ses convictions
religieuses n'admettaient pas les libertés que son frère
prenait avec les règles de la religion catholique.
Quant aux volontés du roi d'Espagne, nous en avons déjà
fait état. Il les manifestera lui même en délégant
à Sophie un autre officier: le marquis du Saillant, un neveu
de Mirabeau. Celui-ci est à Paris en février. Peu après
il convoye la famille Hugo sur les routes peu sûres qui mènent
à Madrid.
Sophie Hugo et ses trois enfants quittent Paris le 10
mars 1811. Le 16 juin ils arrivent à Madrid. La famille est logée
au palais Masserano déserté par ses propriétaires.
Léopold n'est pas là et ses enfants seront privés
de leur père pendant encore six semaines.
Lorsqu'il apprend la venue de sa femme, le général
Hugo entre en fureur. Il se précipite chez le "procureur"
et lui fait rédiger une requête en divorce. A tous les
griefs qu'il avait l'habitude de formuler contre sa femme, il ajoute
l'injure à l'autorité maritale: Sophie avait quitté
le domicile conjugal sans son autorisation et, toujours sans le consulter,
elle avait retiré l'énorme somme de 12.000 francs pour
couvrir les frais du voyage. Le document est immédiatement
soumis au président du Tribunal de première instance
de Guadalajara qui en approuve les conclusions. Le jugement est signifié
à Sophie le 10 juillet. Le lendemain, général
Lafon-Blaniac, gouverneur de Madrid, informe Mme Hugo que le procureur
est venu pour retirer les enfants à leur mère et les
mettre dans une maison d'éducation: "Je ne puis vous taire
que M. de Hugo, prévoyant les difficultés de votre part,
a invoqué l'autorité des lois et qu'elles ont parlé
en faveur de ses désirs. Je suis dans l'obligation de contribuer,
s'il est nécessaire, à leur exécution" (19).
(19) GUIMBAUD: "La mère de VH", op. cit., pp 201-203.
Il semble que l'exécution du jugement ait été
retardée de quelques jours. Le roi Joseph, qui était allée
à Paris assister au baptème du roi de Rome, arrive à
Madrid le jeudi 18 juillet. Ce jour là, ou le lendemain, Léopold
se rend au palais de Masserano. Les dispositions concernant les enfants
sont appliquées: Abel entre chez les Pages du Roi, Eugène
et Victor sont enfermés au collège des nobles tenu par
des moines.
Dans cette "prison", Sophie vient les voir chargée
de fruits et de confitures, mais il n'y a pas d'autres sorties que
les promenades en commun. Pourtant, une fois le père vint les
chercher pour la journée. Ils furent les hôtes de Maria
Catalina qui habitait avec son amant dans une jolie maison toute fleurie
de l'ancien Madrid. Elle les promena dans sa voiture sur le Prado,
"au grand scandale de tous les honnêtes gens", dit
Mme Hugo dans un brouillon de requête au roi Joseph.
Celui-ci, soucieux de l'étiquette et harcelé par Sophie,
s'entêtait à vouloir réconcilier les époux.
Il semble même qu'il y soit un instant parvenu si l'on en juge
par la lettre de Léopold à Sophie, en date du 5 août:
"Je n'ai fait que courir depuis ce matin et j'aurais été
te voir si je ne devais me trouver de bonne heure à la Casa
del Campo... Le Roi est informé que nous sommes contents: je
l'ai vu et je lui ai parlé. Ce soir, après le dîner
de Sa Majesté, j'irai te voir... Adieu, mon amie, crois à
mon attachement".
Le rapprochement des conjoints aurait pu être définitif.
Or, quelques temps après, quelqu'un se charge de mettre le
général au courant des relations de sa femme avec Lahorie.
La désunion est alors irrémédiable et les injonctions
du roi, comme celle du 30 janvier 1812, n'y changeront rien: "Je
ne dois pas vous cacher, écrivait Joseph à Léopold,
que ma volonté est que vous ne donniez pas ici un exemple scandaleux
en ne vivant pas avec Mme Hugo... Quel que soit le regret que j'aurais
de vous voir éloigné de moi, je ne dois pas vous cacher
que je préfère ce parti au spectacle qu'offre votre
famille depuis trois mois".
Nous avons essayé de rétablir les faits
tels qu'ils se sont déroulés. Voyons maintenant la version
de Sophie dans sa requête de 1814:
A son arrivée dans la capitale espagnole, "Mme Hugo écrivit
à son mari les lettres les plus amicales, ne lui parla point
de sa conduite, eut même l'air d'ignorer. Elle prétexta
une indisposition qui pourrait la retenir un mois à Madrid
afin de donner le temps au général d'éloigner
cette fille de sa maison, mais cette misérable aventurière
fit des scènes, menaça de se poignarder et força
le général de lever le masque. Il eut la faiblesse de
faire écrire par un de ses amis à sa femme, à
la mère de ses trois enfants, qu'il ne voulait plus vivre avec
elle, qu'il vivait depuis quatre ans en ménage avec Mme de
Salcano et qu'il ne s'en séparerait jamais, que si elle invoquait
quelque autorité pour le forcer à se conduire autrement,
il disparaîtrait et que jamais elle n'entendrait parler de lui.
Mme Hugo, atterrée par cette douloureuse lettre, hésitait
à demander protection et à faire connaître les
torts de son mari que, depuis quatre ans, malgré tout ce qu'elle
souffrait, elle avait religieusement cachés même à
ses amies les plus intimes; il lui semblait affreux d'accuser le père
de ses enfants. Mais le général se dévoila lui-même,
comme il l'a fait dernièrement ici; les scènes les plus
scandaleuses faites à sa femme instruisirent bientôt
tout Madrid. Mme Hugo, forcée de se défendre, convainquît
bientôt tous les honnêtes gens qu'elle était la
victime la plus opprimée et la plus patiente, qu'il n'y avait
que l'exaltation de l'amour maternel porté au plus haut degré
qui avait pu lui faire renfermer dans son sein, sans se plaindre,
tant d'angoisses, tant d'injures non méritées; mais
là, comme à Naples, aucune loi protectrice ne pouvait
prêter son appui à Mme Hugo et rappeler le général
à ses devoirs. La seule voie de la persuasion restait aux amis
intimes du général, aux personnes considérables
par leur rang et leur dignité, qui l'employèrent inutilement.
Une fois seulement, on cru avoir réussi. Le général
se trouvait depuis trois jours loin de cette femme et de son funeste
ascendant; il revint franchement à sa femme, avoua ses torts,
promit de vivre à l'avenir en bon époux et bon père
et de renvoyer la cause de tous les malheurs de sa femme. Malheureusement
un événement militaire l'obligea de quitter subitement
Madrid. Il retrouva cette malheureuse et ses horribles conseils. Alors
Mme Hugo fut forcée, après avoir souffert les traitements
les plus inouïs, de revenir en France, avec la promesse de Joseph
Bonaparte que, dans l'espace de dix-huit mois, deux ans au plus, il
trouverait le moyen de séparer le général de
cette femme et de le ramener à ses devoirs. Son Excellence
le comte de La Forêt, alors ambassadeur de France en Espagne,
actuellement ministre des Affaires étrangères à
Paris, voulut bien transmettre à Mme Hugo cette promesse de
Joseph Bonaparte, et quoique le général prétendit,
comme il le fait aujourd'hui, que sa femme avait à lui des
fonds considérables qu'il lui avait envoyés pour acheter
une terre en France, cette prétention fut jugée si dénuée
de fondement que son traitement de Cour, qui était de 12.000
francs par an, fut alloué à Mme Hugo pour vivre pendant
son séjour en France".
Quelles que soient les inévitables entorses faites
à la vérité et les omissions plus ou moins volontaires
contenues dans le texte de Sophie, nous avons la confirmation que Léopold
a voulu revenir à sa famille. S'il ne l'a pas fait définitivement,
c'est peut-être parce qu'il a appris qu'il était coiffé
par Lahorie. Seule une nouvelle si inattendue et si douloureuse pouvait
l'empêcher de se plier aux ordres de l'homme pour lequel il avait
la plus grande admiration, le plus grand dévouement, l'homme
à qui il devait sa carrière: Joseph Bonaparte.
Pendant cet intermède, que devient Maria Catalina?
Sophie laisse entrevoir des scènes déchirantes, des
menaces de suicide. Or il semble que Maria Catalina riposte par un
coup de tête: elle épouse le lieutenant d'état-major
Antoine-Anaclet Almeg, un espagnol au service du roi Joseph.
Mme Hugo, généralement bien informée, ne croit
pas à ce mariage. Il s'agirait d'un subterfuge de la "fille
Thomas", une façon de se donner de la respectabilité.
Dans la requête de 1814, nous lisons que, aussi bien à
Paris qu'à Thionville, Maria Catalina "s'est annoncée...
comme dame Almeg, épouse d'un colonel aide de camp du général,
qui avait eu le malheur d'être grièvement blessé
et fait prisonnier à la bataille de Vitoria et cet homme, dont
elle a eu l'audace de se dire la femme, (qui avait été
attaché à l'état-major du général
en Espagne en qualité de lieutenant et l'avait quitté
à Burgos par suite de mécontentements survenus entre
lui et le général) n'a point été fait
prisonnier et existe actuellement en France dans la plus affreuse
misère, puisqu'il a été forcé un hiver
de vendre jusqu'à son épaulette pour vivre; ce qui pourra
se prouver facilement à la justice si cette fille s'obstine
à soutenir un roman qui pourrait la rendre passible des peines
prononcées par la loi contre les faussaires. Déjà
on assure qu'elle se vante d'avoir un passe-port obtenu à Paris
sous le nom d'Almeg, et qu'elle vient de passer bail du château
d'Hus sous le même nom; je ne puis croire à une audace
qui la mettrait dans le cas d'être poursuivie par le ministère
public".
On pourrait croire Sophie et penser que le soi-disant mariage n'était,
pour Maria Catalina et son amant, qu'un paravent, une protection contre
les exigences de la mondanité. Cette fable, inventée
dans des circonstances particulières, aurait été
oubliée par la suite. Or Maria Catalina a traîné
le nom d'Almeg jusqu'à la mort.
Dans l'acte de son mariage avec le général Hugo (1821),
elle est dite Marie-Catherine Thomas y Saétoni, comtesse de
Salcano, veuve d'Anaclet d'Almay, vivant propriétaire, décédé
à La Havane le 16 août 1817. Ce décès a
été attesté par une lettre de M. O.Sault, ancien
ministre d'Espagne, datée du 15 août 1819.
Le mariage de 1821 est d'ailleurs annoncé par Léopold
à ses amis par un faire-part imprimé dont le texte est
le suivant: "Monsieur le général Léopold
Hugo a l'honneur de vous faire part qu'il vient de régulariser
les liens purement religieux qui l'unissaient à Mme Veuve d'Almé,
comtesse de Salcano".
Enfin, dans l'acte de son décès (1858), Maria Catalina
est "veuve en secondes noces" du comte Hugo.
Il est donc difficile de nier la réalité de ce mariage
que nous sommes tentés de placer en 1811, au moment où
Léopold, sur ordre de Joseph Bonaparte, a abandonné
sa maîtresse pour sa femme légitime. Bien entendu, ce
n'est qu'une supposition et la découverte de nouveaux documents
permettrait d'établir la vérité sur cet événement
de la vie de Maria Catalina qui, pour l'instant, reste mystérieux.
Pour appuyer la thèse du mariage réel, nous dirons que si les seules contingences du moment avaient nécessité la fiction d'une union légitime, Maria Catalina se serait donné un mari imaginaire. Or Antoine Almeg a bien existé. Deux documents, découverts au Service Historique de l'Armée (20), en apportent la preuve. Il s'agit d'une demande d'intégration à l'armée impériale (2 décembre 1813) et de la réponse négative du Bureau des Troupes à cheval (10 décembre 1813).
(20) Vincennes, class. Officiers, 1791-1847. Cf APPENDICES 1 et 2. Nous devons la découverte de ces documents à l'obligeance de M. Auguste Brunetti qui a bien voulu faire, pour nous, des recherches sur place.
Almeg avait été sept ans au service de
l'ancienne dynastie espagnole, puis était passé aux ordres
de Sa M.C. Joseph Napoléon et affecté à différents
services de l'état-major de la province de Madrid en qualité
de lieutenant.
On croit deviner qu'il quitte l'Espagne peu après l'été
1811, pendant lequel nous sommes tentés de situer son mariage
avec Maria Catalina. Après avoir servi quatorze mois dans l'ancien
royaume d'Etrurie, érigé en grand-duché de Toscane
par Napoléon au bénéfice de sa soeur Elisa, Almeg,
avec son régiment, est versé dans la division Molitor
qui opère dans le nord de l'Allemagne.
Il échoue finalement au dépôt de Sainte-Foy,
en Gironde, où, six jours avant le traité de Valençay,
qui redonne la couronne d'Espagne à Ferdinand, il sollicite,
auprès du ministre de la guerre, un emploi "dans un régiment
de Cavalerie français ou italien". La réponse est
rapide: les emplois vacants sont réservés aux militaires
qui avaient participé aux dernières campagnes.
Dans la lettre d'Almeg, un passage retient particulièrement
notre attention; nous nous garderons de le commenter: pour confirmer
ses services espagnols, le lieutenant Almeg en appelle au témoignage
de Léopold Hugo qui avait été son supérieur
comme chef d'état-major de la province de Madrid.
Pour en terminer avec l'évocation du lieutenant
Antoine-Anaclet Almeg, signalons que son nom apparaît curieusement
dans un livre écrit par le général Hugo: "Journal
Historique du Blocus de Thionville en 1814, et de Thionville, Sterck,
et Rodemack en 1815", édité à Blois en 1819,
chez Verdier.
L'ouvrage, qui ne porte pas de nom d'auteur, est soi-disant rédigé
"sur des rapports et mémoires communiqués par M.
A.-An. Alm. (sic), ancien officier d'état-major du Gouvernement
de Madrid".
On se demande pourquoi le général Hugo n'a pas voulu
signer son excellent travail. Ecrivain convenable, bon technicien
en matière militaire, honnête homme, qu'avait-il à
craindre?
Il aurait pu, comme il l'a fait pour d'autres oeuvres, se donner
un pseudonyme. Or, il a voulu, à tout prix, que son ouvrage
porte le nom d'une personne vivante à l'époque des événements
racontés.
Il s'adressa d'abord à son frère Louis. La réponse,
datée du 23 mars 1818, est courte et sèche: "Comme
mes moyens et mes connaissances militaires ne me permettent pas d'écrire,
je ne me soucie guère que tes mémoires sur les deux
sièges de Thionville soient imprimés à mon nom,
par la raison que je craindrais qu'on vienne à savoir qu'ils
ne sont pas de moi. Je vais en faire la proposition à Francis"
(21).
(21) Arch. dép. de Loir-et-Cher, Blois, dossier Hugo.
Nous ne savons pas si le cadet des frères Hugo a été contacté, mais comme nous sommes à l'époque où le général Hugo a dû apprendre la mort d'Almeg, il a immortalisé le nom de celui envers qui il avait peut-être une dette de reconnaissance.
Revenons à Madrid, au début de 1812. Sophie
vit seule dans le vaste et luxueuse demeure des Masserano. Elle voit
très peu ses enfants et n'a plus aucun espoir de détacher
son mari de la "fille Thomas". Depuis son arrivée,
son mari lui avait donné 4750 francs. Elle aurait dû recevoir
une somme équivalente, versée petit à petit par
une main mystérieuse. Le 31 décembre, le commandant de
la gendarmerie impériale lui avait écrit pour s'assurer
si la seconde somme avait bien été remise. Cet argent
provenait, dit-il, d'une "personne qui n'aimerait pas que vous
fussiez dans le besoin". On s'accorde à admettre que cette
personne c'est Lahorie. Depuis le milieu de 1811, il avait été
transféré de Vincennes à La Force, libéré
du secret et autorisé à recevoir des visites.
Le 3 mars, Sophie quitte Madrid, emmenant Eugène et Victor.
En avril, ils sont de retour aux Feuillantines.
A l'époque, Lahorie a l'espoir de retrouver la liberté...
une liberté qui pourrait être dans l'exil aux Etats-Unis.
Sophie a peur de perdre son ami. Elle entre dans la conspiration Malet
et l'y entraîne.
Le 23 octobre, alors que la retraite de Russie est commencée,
Malet délivre Lahorie pour en faire le ministre de la police.
Les conjurés sont maîtres de Paris... pour quelques heures.
Le 28 ils sont condamnés à mort. Mme Hugo apprit le
jugement sans un mot, sans une larme, mais, raconte Adèle Foucher
qui était présente, "ses genoux tremblaient".
Le lendemain les conspirateurs sont fusillés dans la plaine
de Grenelle et inhumés au cimetière de Vaugirard. Derrière
les grilles du cimetière, une femme assistait à l'inhumation:
Sophie Hugo menait le deuil de Lahorie "jusqu'à la fosse
commune" (22).
(22) GUIMBAUD: "La mère de VH", op. cit., p. 263. Cf également la nouvelle écrite par Abel Hugo: "Le cimetière de V ".
Pendant ce temps, Léopold est à Madrid,
chef d'état-major du général Jourdan, puis commandant
de la place. La royauté de Joseph Bonaparte tire à sa
fin. Les armées françaises ne peuvent plus contenir les
troupes de Wellington et les partisans espagnols. Au mois de juin 1813,
elles battent en retraite et, à Vitoria, livrent une dernière
bataille dans la confusion. L'Espagne est libérée.
Le roi Joseph venait de perdre son trône. Plus malheureux,
ses officiers perdaient leur grades, leurs titres, les biens acquis
en Espagne. Ils n'avaient le choix qu'entre la retraite ou la réintégration
dans l'armée française avec le grade d'avant le service
d'Espagne et de Naples. A Vitoria, Léopold avait même
perdu ses papiers et l'argent qu'il n'avait pas dépensé.
Sur le chemin du retour, Léopold, Maria Catalina, Abel, s'arrêtent
à Pau. L'ancien page du roi est mis interne au lycée.
Les amants s'installent à Lembeye, à 30 km de Pau.
A Paris, Sophie questionne les officiers qui viennent des Pyrénées
pour avoir des nouvelles de son fils et, aussi, pour ne pas perdre
la trace du porte-monnaie de Léopold.
Abel, lui, n'écrit pas souvent à sa mère. Dans
une lettre du 24 septembre 1813, elle lui en fait le reproche. C'est
une lettre bourrée de commisération pour son mari, de
dédain pour sa rivale et, bien entendu, des sempiternels soucis
d'argent.
"Je ne te gronderai pas, mon cher Abel, de ne m'avoir pas donné
plus tôt de tes nouvelles, parce que je pense que c'est plutôt
légèreté, défaut de réflexion sur
les inquiétudes que je pouvais avoir, que défaut d'attachement
de ta part... que cela ne t'arrive plus. J'ai eu de tes nouvelles
indirectement par le général Motte, mais aujourd'hui
qu'il doit avoir quitté Paris, personne ne m'en donnerait si
tu n'écrivais pas. Je ne pense pas que ton père puisse
te le défendre, mais si cela était, ce serait une circonstance
d'une conduite répréhensible sous bien d'autres rapports,
et ton devoir alors serait de ne pas obéir, pas plus que tes
frères ne devraient le faire, si j'oubliais assez les droits
sacrés de la nature pour leur défendre d'écrire
à leur père. Si cette défense t'a été
faite, pour éviter les tracasseries, des discussions que les
passions qui aveuglent ton père élèveraient entre
nous, écris-moi à son insu".
Cette incitation est inexplicable. Nous ne pouvons nous imaginer
Léopold interdisant à ce jeune homme de quinze ans d'écrire
à sa mère. D'ailleurs ne vient-il pas de le faire. Nous
aurions bien aimé connaître cette lettre d'Abel pour
savoir ce qu'il dit de Maria Catalina. Excepté sur le chemin
qui menait à Pau, il ne devait guère l'avoir rencontrée.
Léopold avait certainement la délicatesse de ne pas
lui imposer sa présence, mais on devine le chagrin du fils
qui savait son père en compagnie d'une autre femme que sa mère.
Il avait dû en faire part à Sophie.
"Je vois mon pauvre ami, écrivait celle-ci, que tu as
beaucoup à souffrir avec cette femme. J'ai pleuré souvent
sur ton sort, sur celui de ton malheureux père qui, s'il nous
fait beaucoup de mal, s'en est fait et s'en fait encore à lui-même...".
Et Sophie en arrive aux questions d'argent: "Quelle belle destinée
ton père a gâtée! Tous les avantages qu'il pouvait
retirer de son service en Espagne sont perdus pour sa famille et pour
lui-même. Il revient de là avec des dettes, car je crois
bien qu'il n'a pas achevé de payer la maison qu'il avait acheté
à cette femme. Et comment les payera-t-il aujourd'hui... Et
comment vivra t-il, et nous aussi... Si tu sais quelque chose relativement
au paiement de cette maison, mande-le moi dans ta première
lettre, car je suis bien inquiète à ce sujet. Il est
affreux de voir un père de famille se dépouiller ainsi
que tous les siens pour une femme semblable".
Le lettre continue sur ce ton et Sophie la termine en demandant à
Abel d'espionner son père et de lui en faire le rapport: "Dis-moi...
si ton père part et l'endroit où il ira. Taches de le
voir au reçu de ma lettre et me marque ce qu'il compte faire,
si tu peux le savoir. Est-il retiré à Lembeye ou y est-il
employé comme militaire? Réponds-moi promptement sur
tout ce que je te demande...".
Le 11 septembre 1813, Léopold Hugo entre au service
de l'Empereur avec le petit grade de major et est employé au
quartier général de l'armée. Il rejoint celle-ci
en Allemagne alors qu'elle reflue vers la France.
Passant par Paris, il y laisse Maria Catalina. Sophie nous dit qu'elle
y vécut six mois sous le nom d'Almeg. Il ramène Abel
à sa mère et rencontre probablement ses deux autres
fils qui sont encore aux Feuillantines. Pour peu de temps: afin de
prolonger la rue d'Ulm, la ville va s'approprier le fameux jardin,
et, le 31 décembre, la famille Hugo va habiter la rue du Cherche-Midi.
Le 9 janvier 1814, le major Hugo se voit confier le commandement
de la place de Thionville. Pendant 98 jours, il résiste aux
assauts des Prussiens, Russes et Hessois et ne rend la place que lorsqu'il
a la notification officielle de l'abdication de l'Empereur, bien après
le 6 avril. Il est autorisé à ne pas quitter la ville.
Dès que les communications sont rétablies, Maria Catalina
accourt. Elle "s'installa encore dans la maison du général,
raconte Sophie, cohabita et vécut publiquement avec lui; elle
commanda en maîtresse souveraine; enfin elle usurpa la place
d'une véritable épouse".
A Paris, Sophie était toute à la joie de la restauration
des Bourbons. Habillée de blanc, chaussée de vert, les
couleurs à la mode du nouveau régime, cette femme de
42 ans ne manque pas une fête publique. Pour récompenser
le royalisme obstiné de la mère, les enfants reçoivent
la décoration de l'ordre du Lys.
A la mi-mai, après ces belles journées d'enthousiasme,
Mme Hugo prend la route de Thionville, décidée à
chasser Maria Catalina du lit et de la maison de Léopold. Pour
soutenir son entreprise, elle emmène son fils Abel avec elle.
Pauvre garçon qui va vivre, pendant près d'un mois,
des journées dramatiques! En voici le récit fait par
Sophie:
"L'exposante... s'est rendue dans cette ville pour vivre avec
son mari; elle espérait y être traitée maritalement
et obtenir la protection et l'assistance que la loi prescrit aux époux;
elle a été reçue avec dédain et mépris,
mise à coucher dans l'antichambre, tandis que la fille occupait
la chambre à coucher de l'appartement et se renfermait toutes
les nuits sous clé avec le général dans cette
partie du logement. Mme Hugo fut assujettie les premiers jours à
manger à la même table que la fille Thomas et forcée
sous peine de mauvais traitements de lui faire accueil. Mme Hugo se
plaignit avec ménagement, elle exposa avec modération
le danger auquel s'exposait son mari de vivre avec une concubine dans
la maison conjugale, qu'il oubliait sa dignité, que c'était
un attentat aux moeurs, et qu'il se rendait passible des peines prononcées
par l'art. 339 du Code Pénal.
"Les démarches de l'exposante devinrent infructueuses
et la médiation des amis du général inutile.
Le sort de Mme Hugo devint chaque jour plus déplorable. Son
mari ne quitta plus la chambre où couchait cette fille, et
s'y enfermait souvent sous clé seul ou avec elle plusieurs
heures de la journée, au grand scandale de toute la maison,
et lorsque quelques affaires pressantes rendaient la présence
du général nécessaire, après avoir essayé
d'ouvrir, on l'appelait, et comme souvent il ne répondait pas,
alors on lui disait à travers la porte qui le demandait et
pourquoi; et s'il jugeait que cela en valût la peine, un instant
après il sortait. Cette scène scandaleuse s'est renouvelée
plusieurs fois avant l'arrivée de Mme Hugo et depuis, notamment
le 1er juin dernier. Au reste il mangeait dans cette chambre et y
faisait manger ceux qu'il invitait à sa table. Son épouse
fut congédiée, obligée avec son fils de manger
à une table particulière, servie par les domestiques
qui ne recevaient d'ordre que de cette fille Thomas et à qui
elle avait déclaré qu'elle était seule maîtresse
dans la maison et qu'ils ne devaient point obéir à Mme
Hugo qui, ayant un jour demandé qu'on fit son lit, reçut
pour réponse qu'on ne pouvait le faire sans la permission de
Mme Almeg.
"L'exposante épargnera à la justice le détail
des injures graves, des sévices et mauvais traitements qu'elle
a éprouvé depuis qu'elle est arrivée en cette
ville. L'intérêt qu'elle porte à son mari, celui
de ses enfants, l'empêchent de présenter le tableau de
tous ses malheurs, auxquels son mari a mis le comble en l'abandonnant
avec son fils sans pourvoir en aucune manière à ses
besoins dans le logement qu'il a quitté en lui faisant les
menaces les plus violentes si elle essayait de le suivre, et cela
pour aller vivre au château d'Hus avec sa concubine, qui est
censée avoir loué le château; la justice connaîtra
facilement la fraude, puisque cette malheureuse ne possède
rien au monde. Il est bien affligeant pour Mme Hugo d'être dans
la nécessité d'invoquer l'autorité des lois pour
obliger le général à recevoir son épouse,
à la traiter maritalement et à congédier l'être
vil et abject avec lequel il se plaît à vivre en concubinage.
L'ordre social le veut impérativement, le maintien des bonnes
moeurs l'exige, la loi l'ordonne puisqu'elle prononce des peines contre
le mari qui entretient une concubine".
En conséquence, Sophie Hugo demandait au tribunal que son
mari soit condamné à la recevoir dans la maison conjugale,
que la femme Almeg soit chassée et que, en attendant le jugement,
elle perçoive une pension alimentaire.
Cette demande est datée du 4 juin 1814; le 11, Léopold
contre-attaquait par une demande en divorce.
Pour agir en son nom dans la capitale dans le cadre de
son action pour la dissolution du mariage, Léopold Hugo donne
procuration à sa demi-soeur Marguerite, qu'il appelle familièrement
Goton, veuve du sous-lieutenant Martin-Chopine, tué en Espagne.
C'est un choix maladroit car elle et Sophie se haïssaient réciproquement
depuis qu'elles avaient habité ensemble à Nancy.
Le 17 juin 1814, la veuve Martin fait apposer les scellés
sur le logement de Sophie et fait conduire les enfants chez elle.
Pierre Foucher, ami de la famille Hugo et futur beau-père de
Victor, accourt et assiste à ce qu'il appelle un "éclat
fâcheux". Le lendemain, il écrit à Léopold
pour le supplier de renoncer à tout procès. Le major
Hugo lui répond qu'il veut bien se résigner à
un nouveau sacrifice en transformant son action en divorce en une
simple demande de séparation de corps et de bien, mais il veut
avoir des assurances pour l'avenir.
Le 23 juin, Sophie est de retour à Paris. Le surlendemain,
elle adresse une requête au tribunal de la Seine afin de retrouver
son domicile parisien et ses enfants. Elle obtient satisfaction dès
le 5 juillet.
A Thionville, Léopold est tenu informé des événements
par sa soeur. La Goton, qui n'est peut-être pas si méchante
qu'on l'a prétendue, conseille même une réconciliation.
Celle-ci est impensable à l'époque. Avec Mme Trébuchet,
comme l'appelle son mari, ce démon, comme il la qualifie, tout
accord est désormais impossible. Il lui reproche de n'en faire
qu'à sa tête et de faire des scènes partout lorsqu'on
la contrarie. Sans compter ses demandes incessantes en matière
financière. "Cette femme est insatiable d'argent",
écrit-il à Goton le 14 juillet. "Quant au conseil
de vivre avec elle, tu sais bien que cela est impossible: je ne l'ai
jamais tant abhorrée".
Cette détestation doit surtout dater du jour où il
a appris l'intimité des relations de sa femme avec le général
Lahorie. Mais celui dont la liaison avec Maria Catalina est patente
depuis longtemps peut-il en faire état? Et pourtant, dans sa
demande de divorce, il a articulé le délit d'adultère.
Bien entendu, Sophie s'en défendra. Elle le fera d'ailleurs
gauchement en allégant que son ami était un "respectable
vieillard".
Ce "respectable vieillard" était mort à 46
ans. A Thionville, Léopold Hugo n'en a pas encore 41 et il
se morfond dans l'inactivité. Le comte Dupont, ministre de
la guerre, l'a félicité pour sa belle conduite pendant
le siège, mais ne lui a offert aucun poste. Le 9 septembre,
il est mis en demi-solde. Il rejoint alors Paris avec Maria Catalina
et, par prudence, le couple loue deux appartements, l'un 12 rue Pot-de-Fer
au nom de Mme Almeg, l'autre 35 rue des Postes au nom du général
comte Hugo.
Le 26 janvier 1815, une ordonnance de référé
place les enfants Hugo sous l'autorité paternelle et donne à
Léopold le choix du domicile et la propriété des
meubles de l'appartement occupé par Sophie.
Le 10 février, fort de ce jugement, Léopold Hugo arrache
les enfants à leur mère et fait conduire Eugène
et Victor à la pension Cordier et Decotte.
Dans une requête au président du tribunal civil de la
Seine (23), Sophie raconte que sous le prétexte de retirer
le coucher et le linge nécessaire à ses enfants, le
sieur Hugo enleva tout le linge à l'usage de l'exposante, dix
chemises, vingt-quatre paires de bas, dix-neuf mouchoirs de batiste,
toute l'argenterie, une lorgnette de spectacle en vermeil, et il alla
déposer le tout dans les mains de sa concubine, la dame Almeg".
(23) GUIMBAUD: "La mère de VH", op. cit., pp 279-281.
Le 13 février, Léopold revient chez Sophie
pour lui ordonner de vider l'appartement de tout ce qu'il contient et
de se rendre au domicile conjugal. La rencontre des époux, la
dernière, fut dramatique. La scène horrible est racontée
par Sophie au président du tribunal. Léopold commence
par informer son épouse qu'elle vivra seule, sans ses enfants,
sans domestiques, sans voir personne. Comme elle demandait le sort qui
lui était réservé, "il répondit qu'elle
le saurait plus tard, mais qu'elle se mît en tête qu'il
ne lui devait que du pain, de l'eau et le couvert; et, sans la plus
légère provocation, il poussa l'outrage jusqu'à
cracher trois fois au visage de l'exposante, en lui disant que c'était
pour prouver à tout le monde l'estime qu'il avait pour elle;
comme un furieux, il se jeta sur l'exposante, la saisit à la
gorge, se répandit contre elle en invectives des plus grossières
et des plus outrageantes,... l'accusa d'avoir mené une vie débordée
pendant son absence".
La version de Sophie est certainement proche de la réalité.
Nous savons son mari capable de colères terribles. Ce que nous
ignorons, c'est l'attitude de Sophie qui a provoqué cette fureur.
Dans sa requête, Sophie en appelle au témoignage des
voisins et le tribunal lui rendra son domicile et ses meubles.
Le 31 mars, appelé à quitter Paris, Léopold
place Eugène et Victor sous l'unique responsabilité
de la veuve Martin: "Je te confie le soin de mes jeunes enfants
et sous aucun prétexte je n'entends qu'ils soient remis à
leur mère ni sous sa surveillance. C'est à toi seule
que je les confie et c'est à toi que M. Cordier doit en répondre".
Il donne à sa soeur de l'argent pour le petit entretien et,
pour la pension et les dépenses importantes, il place des fonds
chez l'avocat Katzenberg désigné comme curateur.
Le 21 novembre 1814, le roi avait redonné à
Léopold Hugo son grade de maréchal de camp tout en le
maintenant en non-activité. Il l'avait également fait
chevalier de Saint-Louis et, un peu plus tard, chevalier de la Légion
d'Honneur.
Pendant les Cent jours, le ministre de la guerre lui confie de nouveau
la défense de Thionville. C'était le 31 mars 1815. Il
a ordre de partir aussitôt et nous avons cité la lettre
écrite à sa soeur, n'ayant pas le temps de lui faire
une visite.
Le ministre lui avait dit que les autorités, la garnison et
les habitants le réclamaient. Et c'était vrai. Le 4
mars, un ami lui avait écrit de Thionville: "Puissions-nous
fêter ensemble et avec vous l'anniversaire de notre délivrance,
avec plaisir nous boirions à votre bonheur, à un bon
commandement près de nous, et à la fin de vos tracasseries
de ménage". Le scandale provoqué par la venue de
Sophie, le concubinage notoire avec Maria Catalina, n'avaient altéré
en rien l'estime et la sympathie que ses collègues et la population
avaient pour Léopold Hugo.
Nous ne savons pas ce que devint Maria Catalina pendant le deuxième
séjour de son amant à Thionville, mais nous pouvons
supposer qu'elle l'y a rejoint comme la première fois et qu'elle
a partagé avec lui les inconvénients d'un second siège.
La conduite du commandant supérieur de la place fut aussi
exemplaire que la première fois. Assiégé par
les Russes et les Prussiens, il résistait encore quatre mois
après l'entrée de Louis XVIII à Paris. Sa résistance
aux alliés n'était pas opposition au régime:
il l'avait montré en faisant flotter le drapeau fleurdelisé.
Il faut croire que le blocus de la ville était peu sévère
puisqu'il lui arrivait de recevoir des lettres de la veuve Martin
et des deux pensionnaires de la maison Cordier. Le 16 octobre, il
écrivait à sa soeur: "Je t'avoue que j'ai été
révolté de leur style et de leur exigence envers toi.
Ils semblent ces messieurs, qu'ils se déshonoreraient en te
donnant le titre de tante et en t'écrivant avec attachement
et avec respect. C'est à leur maudite mère qu'il faut
attribuer la conduite des enfants. Aussi je ne leur en donne pas toute
la faute".
Le 13 novembre 1815, Léopold Hugo quitte Thionville. Le 28, il est placé en demi-solde. Cette fois il a peu d'espoir de reprendre du service et n'a plus de raisons d'habiter Paris. Il décide donc de s'installer en province en un lieu assez discret et suffisamment agréable pour y vivre heureux avec sa maîtresse, même si sa résidence est surveillée par l'autorité militaire. Son choix se porte sur Blois, mais il semble qu'il ne se rende pas directement en cette ville, celle-ci étant occupée par les Prussiens pendant qu'un régiment de cosaques campe aux alentours. Il se pourrait que les amants se soient d'abord arrêtés à Vendôme (24), à une vingtaine de kilomètres , mais ce qui est sûr c'est qu'en 1816 ils s'installent définitivement à Blois, prenant en location le prieuré de Saint-Lazare.
(24) Dans un article de presse (Arch. de Loir-et-Cher)
intitulé "Quatre générations d'écrivains",
découpé sans indication du journal et de la date, celle-ci
pouvant peut-être se situer vers 1890, on lit:
"On sait qu'après la chute du premier Empire, le général
Hugo père, vivait isolé à Vendôme. Très
pauvre, réduit à la demi-solde, ce débris des grandeurs
déchues, s'efforçait de gagner un peu d'argent en écrivant
des romans à la façon d'Anne Radeliffe, qu'il publiait
sous le nom de Sigisbert, l'un de ses deux prénoms. Un ami de
la famille disait devant nous:
"- C'est moi qui, étant déjà en vogue sous
le règne de Louis XVIII, ai conduit le général
au Palais-Royal, chez Pigoreau, qui est devenu son éditeur".
Le domaine de Saint-Lazare, de près de dix hectares, tirait son nom d'une léproserie fondée en l'honneur du Saint-Esprit, au temps des premières croisades (25).
(25) L. de LA SAUSSAYE: "Blois et ses environs", 4e éd., Blois et Paris 1867.
Il avait appartenu à la Congrégation des
chanoines réguliers de France, vulgairement appelés Génovésains,
avant de devenir propriété nationale à la Révolution
et d'être vendu à des particuliers en 1791.
Saint-Lazare était situé près de la barrière,
sur la grande route qui conduisait de Blois à Châteaudun.
Il était composé d'une grande maison de maître,
d'un logement de closier et de jardinier, de bâtiments d'exploitation,
d'un pressoir garni de tous ses ustensiles, d'une cour, d'une basse-cour,
de jardins, promenades, charmilles, bosquets, vignes et terres labourables,
le tout en un seul clos entouré de murs (26).
(26) Arch. de Loir-et-Cher, Blois, F 1682, acte de vente du 1.5.1822.
En 1816, Léopold Hugo a décidé de mettre un terme à sa vie errante et se sent lié à Maria Catalina pour la vie. Afin de prémunir sa compagne contre les aléas d'une situation irrégulière, il achète en son nom, le 10 février, une maison située au 73 de la rue du Foix, dans le quartier de même nom, le plus ancien des quatre bourgs qui constituèrent la ville de Blois, à l'abri des forteresses qui protégeaient la voie antique qui passait la Loire à cet endroit.
Le départ de Léopold de Paris ressemble
à une fuite. Il a quitté la capitale sans voir ses enfants
et la Goton a refusé de leur dire où il était.
Ce n'est que le 30 mars qu'elle leur apprend qu'il est à Blois,
sans consentir à leur donner son adresse. Toute correspondance
doit se faire par son intermédiaire.
A Paris, Abel Hugo gagne déjà de quoi suffire à
ses besoins et vit avec sa mère. Eugène et Victor sont
toujours sous la férule de MM. Cordier et Decotte et sous le
contrôle de l'implacable veuve Martin. Celle-ci applique les
consignes du père avec rigueur... et plus encore.
Léopold envoie 100 francs par mois à sa femme (qu'il
réduira un certain temps à 80 francs), 100 francs à
M. Cordier pour Eugène et Victor, plus 50 francs pour leur
entretien, augmentés de 6 francs pour les menues dépenses.
Abel reçoit l'argent destiné à la mère.
Eugène et Victor continuent de subir l'entremise tatillonne
de Marguerite Martin.
En 1816 et 1817, les relations entre Léopold et Abel sont
bonnes. Sans plus. Elles ont surtout pour but de régler la
conduite entre un père et ses enfants éloignés,
entre un mari et sa femme qui se détestent. Parfois ils s'entretiennent
de leurs productions littéraires.
Au mois de juillet 1817, se produit, à la pension Cordier,
un incident qui va détériorer ces relations: Eugène
et Victor ont une altercation violente avec M. De Cotte. Informé
par sa soeur, peut-être même mal informé, Léopold
blâme sans réserve la conduite de ses enfants: "Je
les considère comme perdus s'ils restent sous la cruelle influence
de leur mère. Leur conduite avec toi n'est qu'une conduite
habituelle, mais celle qu'il ont tenue envers M. de Cotte est une
chose tout à fait épouvantable!". En même
temps il écrit à M. Cordier une lettre sévère
sur l'attitude des deux polissons et fait état de l'influence
néfaste de la mère.
Ayant eu connaissance de cette dernière lettre, Abel tâche
de rétablir les faits et s'étonne du "mécontentement
furieux" de Léopold envers deux enfants dont les résultats
scolaires sont brillants et les premiers essais littéraires
plus que prometteurs.
La lettre du 26 août d'Abel à son père se termine
par l'évocation de l'emprise malfaisante de Maria Catalina:
"O mon père, voilà des enfants que tu poursuis
avec tant de fureur, des enfants pour qui le plus grand honneur serait
de te voir heureux, des enfants qui, loin de chercher à déshonorer
ton nom, voudraient te faire hommage de leurs couronnes. Non, mon
père, je te connais, tu as écrit cette fatale lettre,
mais ton coeur ne l'a pas dictée. Tu aimes encore tes enfants;
un mauvais génie, un démon de l'enfer, auquel tu devrais
plutôt attribuer tes malheurs qu'à notre respectable
mère, un démon qui sans cesse attaché à
tes pas fascine tes yeux et ne te montre que des signes de haine où
tu trouverais des preuves d'amour si tu osais t'approcher de coeurs
qui te chérissent, un être familiarisé avec la
calomnie et le mensonge a empoisonné à tes yeux l'action
de mes frères. Tu as oublié tes enfants pour ne voir
que des êtres fantastiques, méchants et haineux qu'on
t'a présentés et tu as cédé à la
colère qu'on t'inspirait. Un jour viendra que tu nous connaîtras
mieux, tu verras dans tout son jour hideux l'infernale créature
dont je veux te parler, l'heure de notre vengeance sera arrivée,
nous retrouverons notre père, et l'artisan de malheur tremblera
à son tour".
Profondément blessé, Léopold ne répond
pas à cette lettre, ne répondra pas aux suivantes. Il
a pour sa compagne un attachement profond, une estime qui n'admet
pas les salissures. "Je n'écris plus à Abel, confesse-t-il
à sa soeur; une lettre impertinente qu'il m'a écrite
m'a obligé de rompre tout commerce avec lui. Je n'écris
jamais que peu de lignes à ses frères parce que tous,
ainsi que lui, sont sourdement du parti de leur mère".
Comment Abel pouvait-il comprendre les sentiments de son père
pour Maria Catalina? Comment pouvait-il supposer des qualités
à cette femme? Il la connaissait si peu. Ses propos ne sont
que le reflet des propos de Sophie. Il les a écrit en toute
bonne foi, croyant exprimer une banale réalité. La preuve
est en dans la lettre suivante:
1er octobre: "Tu n'as pas encore répondu à ma
lettre... Est-ce par oubli ou serais-tu fâché avec moi?
Ai-je dit autre chose que la vérité? Et peut-elle te
blesser? Nous savons, mes frères et moi, que tu n'es pas la
cause de notre malheureuse position, et s'il est quelqu'un qui puisse
nous en accuser, nous ne connaissons que trop bien la personne".
Ces dernières lignes peuvent être jugées impertinentes;
nous retiendrons seulement qu'Abel n'a pas tout à fait 19 ans.
En 1817, les époux Hugo s'affairent pour obtenir du tribunal, le plus rapidement possible, un jugement en séparation. Léopold abandonne certaines accusations pour activer le procès. Sophie intercède pour que le jugement lui soit favorable. Elle fait valoir la "mauvaise conduite" du père et "le danger qu'il y aurait à lui laisser la direction de trois jeunes gens qui entrant dans l'âge des passions ont besoin dans ce moment critique de bons conseils et surtout de bons exemples, choses qu'ils ne trouveraient point auprès de leur père qui vit toujours publiquement à Blois en concubinage avec la femme Almecq". C'est un argument qui peut se défendre et dont le tribunal tiendra compte. Par contre, on pourrait être surpris de l'attitude de Sophie lorsqu'elle estime que ses enfants poursuivent des études inutiles et qu' "il est bien temps qu'ils travaillent à se faire des états étant sans fortune et n'ayant rien à attendre de leur père, qui possesseur d'une fortune assez considérable a tout placé sous le nom de sa concubine (27).
(27) Brouillon de lettre de Sophie à un magistrat, in MASSIN, I, 1081.
Finalement, le 3 février 1818, le tribunal rend
officielle la séparation des époux. Les enfants sont confiés
à la mère; le père doit à l'épouse
et aux enfants une pension annuelle de 3000 francs.
Ce jugement ne satisfait pas les parties, tout au moins si nous en
jugeons d'après une lettre de Léopold à sa soeur:
"Il faut maintenant que je m'occupe de régler la communauté,
car, par le bête de contrat qu'on m'a fait signer, il revient
à ma gueuse la moitié de la propriété
de Madrid; ainsi, comme commune en biens elle aura la moitié
de tout, et comme mineure, puisque les lois considèrent ainsi
les femmes mariées, elle gardera les 84.000 francs qu'elle
a reçus, et dont on ne peut exiger d'elle aucun compte. Elle
a réclamé la surveillance de ses enfants et l'a obtenue
par le motif que je ne réside pas à Paris... Le jugement
est certainement bien défavorable pour moi, et cela devait
être puisque dans la crainte de la garder, je n'ai pas voulu
qu'on me défendît. Malgré cela elle enrage; quelqu'un
qui l'a vue dit qu'elle fulmine contre le tribunal, contre moi, contre
tout le monde. Ses fils ne m'ont rien écrit...".
"Ses" fils, contrairement aux parents sont satisfaits.
Ils sont heureux du dénouement qui les affranchit des contraintes
paternelles. Victor s'empresse de faire part de son bonheur à
son ami Félix Biscarrat, un jeune maître d'études
de la pension Cordier. Et Biscarrat se réjouit des conclusions
de ce qu'il considère comme le procès de Sophie, Abel,
Eugène et Victor contre Léopold Hugo: "Votre bonheur
est le mien. Chacun de vous va se livrer aux occupations auxquelles
son goût et ses talents l'appellent et lui présage un
plein de succès... Vous avez gagné vos procès.
Vous n'auriez jamais dû craindre de les perdre si la bonne cause
prévalait toujours. Pour moi, je ne pouvais douter du succès.
J'avais trop entendu rendre justice à madame votre mère:
votre respect et votre tendresse pour elle sont des arguments plus
forts que toutes les preuves de la bonté de sa cause...".
Le 1er janvier, Léopold écrit à
ses enfants. Ce qui ne signifie pas une intention d'accroître
une correspondance qui s'était faite rare. Surtout avec Abel.
Deux lettres de celui-ci restent sans réponse. Le 6 mai 1818,
il en fait la remarque à son père: "J'aime mieux
penser qu'elles n'ont pas été mises sous tes yeux que
de garder la désolante idée que tu ne répondes
pas à tout". Il accuse donc implicitement Maria Catalina
d'escamoter ses lettres. C'est encore une maladresse comme au mois d'août
de l'année précédente. D'ailleurs il insiste: "L'attachement
que tes enfants ont pour toi et ta note incluse dans ton dernier envoi
pour ma mère me confirment dans l'opinion que tu ne les a pas
reçues". Malgré cela, et grâce à l'insistance
d'Abel, les relations entre le père et le fils se rétabliront
petit à petit.
Celles de Léopold avec ses fils cadets sont plus faciles.
D'ailleurs, ils ont encore besoin de lui. Eugène et Victor
terminent leurs études secondaires sans avoir l'intention de
faire Polytechnique comme le père l'aurait voulu. Avant de
quitter la pension Cordier, ils lui demandent de s'orienter vers des
études de Droit. Léopold donne son accord et accepte
même de leur verser une pension, ce qui n'était pas prévu
dans le jugement du 3 février.
Le 8 septembre, ils quittent la pension Cordier et vont loger chez
leur mère. Celle-ci est malade des suites d'une fluxion de
poitrine. Eugène, prédisposé à la démence,
a des périodes de prostration. En 1821, l'état de santé
de Sophie empire. Le 27 juin, après huit jours d'agonie, elle
meurt. Le lendemain au soir, après l'enterrement, Victor écrit
à son père pour lui annoncer la nouvelle. C'est une
lettre poignante et Léopold n'a pas pu ne pas être sensible
aux qualités de coeur de son plus jeune fils: "Nous ne
doutons pas, mon cher papa, que tu ne la pleures et la regrettes avec
nous, pour nous et pour toi. Il ne nous appartient pas, il ne nous
a jamais appartenu de mêler notre jugement dans les déplorables
différents qui t'ont séparé d'elle, mais maintenant
qu'il ne reste plus d'elle que sa mémoire, pure et sans tache,
tout le reste n'est-il pas effacé?... Viens si tu peux, ou
veuille nous mander tes intentions".
Nous verrons que Léopold ne viendra pas aussitôt, de
même qu'il ne s'empresse pas de donner la nouvelle à
ses frères. Cette attitude donnera l'occasion au colonel Louis
Hugo d'avoir des mots injustes pour son frère aîné
et d'exprimer, une fois de plus, son animosité envers Maria
Catalina. Le 15 août, il écrit à sa soeur: "Il
est bien étonnant, ma bonne amie, que le général
n'ait pas seulement fait part de la mort de sa femme à ses
frères. Cette insouciance prouve combien il nous est peu attaché.
Je suis porté à croire qu'il n'est pas malade et que
la maladie dont il te parle n'est qu'un prétexte pour ne pas
faire le voyage de Paris attendu que, depuis longtemps, il a pris
le parti de ne rien faire que d'après les conseils de la misérable
créature qui a fait le malheur de sa famille".
Comme le suppose Louis Hugo, la maladie de son frère
était un prétexte. En réalité, il était
fort occupé à préparer son mariage avec Maria Catalina,
décidée à ne pas attendre. Après dix-huit
années de dévouement et de soumission, elle imposait sa
volonté et son amant remettait à plus tard de se rendre
auprès de ses fils douloureusement affectés par la mort
de leur mère. Il est vrai que les enfants Hugo réclamaient
sa venue pour payer les dettes occasionnées par la maladie et
la mort de Sophie et ces "tristes détails", comme Victor
les désigne, pouvaient attendre.
Les formalités du mariage furent réglées en
dix semaines: les publications sont faites à Chabris, les 22
et 29 juillet, et à Nancy, les 29 juillet et 5 août;
le ministre secrétaire d'Etat à la guerre donne son
autorisation le 28 août; le 6 septembre 1821, la "fille
Thomas" devient la femme du général Hugo. Le mariage
est célébré à Chabris, canton de Saint-Christophe,
arrondissement d'Issoudun, département de l'Indre, par devant
Louis marquis de Béthune-Sully, maire (28).
(28) Arch. municipales de Chabris.
Le fait que le mariage soit célébré à Chabris s'explique par la très grande amitié qui existait entre le général Hugo et le marquis de Béthune, de la famille du célèbre ministre d'Henri IV (29). Les deux hommes s'étaient connus vers 1792 à l'armée du Rhin alors que le premier était marqueur à l'Etat-major général et le second, de dix-sept ans son aîné, chef de brigade puis adjudant général au même Etat-major.
(29) Cf la "Revue du Berry", mai 1902.
Le marquis habitait le château de Beauregard. Aujourd'hui, dans cette petite commune de l'Indre, près de la limite sud du Loir-et-Cher, on a perdu son souvenir et, à plus forte raison, celui du général Hugo et de Madame qui rendaient souvent visite à leur ami. Une rue de Beauregard et une avenue Victor Hugo mènent jusqu'à l'ancienne propriété des Béthune, partagée en trois lots et vendue (30).
(30) D'après Mme E.C. Renoncé, lettre du 5 nov. 1977.
Après la mort de sa première femme et son
remariage, Léopold Hugo entre dans une nouvelle période
de sa vie, toute d'apaisement, de calme, de plénitude. Nous en
avons une preuve dans le redoublement de son activité littéraire.
Il écrit beaucoup. Et c'est par le biais de la littérature
que ses relations avec ses enfants, avec Victor surtout, vont s'améliorer,
s'intensifier.
Victor communique certaines de ses oeuvres à son père
qui s'extasie sur des vers "vraiment admirables" tout en
faisant état des réalités de la vie quotidienne
et de la nécessité de poursuivre des études solides.
De son côté, Léopold envoie ses écrits
à son fils: les oeuvres imprimées d'abord (le "Journal
historique de Thionville...", un "Mémoire sur les
moyens de suppléer à la traite des nègres par
des individus libres...", mais aussi certains de ses manuscrits,
en particulier des ouvrages militaires auxquels il attache quelque
importance. "Je t'envoie enfin, écrit-il le 16 février
1822, quelques échantillons de mes délassements... J'ai
beaucoup d'opuscules de ce genre. Mes nouvelles en prose, mes comédies
du même genre, sont trop médiocres pour voir le jour,
mais s'il y avait des idées qui pussent te servir, tu peux
te les approprier hardiment. Quant à mes contes en vers, je
rimaille; cela me désennuie, et mon but est rempli".
Dans la correspondance de Léopold qui nous a été
conservée, on cherche en vain l'annonce à ses fils de
son remariage avec Maria Catalina. Il est possible qu'il ait profité
des voeux de nouvel an, fin 1821, ou début 1822, pour leur
faire deviner sa situation nouvelle. Cependant, rien ne permet de
l'affirmer. Par contre, il est certain qu'il a utilisé la manière
indirecte pour mettre ses frères au courant de ses secondes
noces.
Le 17 janvier 1822, Louis Hugo écrit à sa soeur Marguerite
Martin: "L'approche de la nouvelle année m'ayant déterminé
à écrire au général, je viens de recevoir
sa réponse... Je ne sais s'il t'a fait part de la détermination
qu'il a prise, mais il paraît, d'après ce qu'il me mande,
que Mme de S. vient d'obtenir définitivement sa main. Si la
chose est vraie, il faut bien en prendre son parti et faire contre
mauvaise fortune bon coeur. L'ascendant qu'elle avait pris sur lui
devait nous préparer depuis l'année dernière
à apprendre d'un moment à l'autre cette nouvelle".
Louis Hugo, nous le savons, n'aimait pas Maria Catalina. Il avait
eu aussi quelques différents avec Léopold au sujet de
la succession des parents de Nancy. Néanmoins, le même
jour qu'à Goton, il écrit à son frère
pour des voeux de bonheur: "La détermination que tu as
prise depuis la mort de la mère de tes enfants ne me surprend
pas, mon ami; je m'attendais à cela d'autant plus de raison
que je connaissais ton attachement pour ta femme actuelle et que j'étais
persuadé que tu profiterais de l'événement arrivé
l'année dernière pour resserrer les noeuds tacites que
tu avais formés depuis longtemps. Puisses-tu être heureux,
c'est ce que je désire de tout mon coeur".
A l'encontre de Louis, Marguerite Martin, qui correspondait avec
Léopold, ne pouvait ignorer son remariage. Sans doute, elle
avait reçu l'ordre de n'en rien dire et s'y était tenue.
Sans doute aussi, on lui en fit le reproche. Le 30 mai, déclinant
son offre de venir à Paris avec son épouse, le général
lui écrivait: "Tu sais bien, ma chère Goton, que,
vieux mari depuis longtemps, je n'ai eu besoin de faire aucune des
cérémonies d'usage entre les nouveaux mariés;
il ne manquait que le oui municipal, et je l'ai dit". Suit un
post-scriptum de Maria Catalina: "Ma chère soeur. Je vous
écris un mot sur la lettre de Hugo pour vous remercier de ce
que vous me dites d'obligeant et d'affectueux. Quand vous pourrez
un peu quitter Paris, nous vous engageons à venir passer quelque
temps à la campagne avec nous. C'est le mois le plus agréable
en ce que les jardins sont couverts de fleurs. Votre soeur et amie:
Femme Hugo".
Si, au tout début de l'année 1822, les
enfants Hugo sont encore ignorants du mariage de leur père avec
Maria Catalina, ils en seront avertis au mois de mars. Nous verrons
dans quelles circonstances.
Disons tout de suite que Victor n'a pas réagi désagréablement
en apprenant le nouvelle et qu'il ne faut pas attribuer cette attitude
à des considérations d'ordre matériel: par exemple,
la crainte de perdre la petite pension que Léopold continuait
à lui verser. Son comportement a été dicté
essentiellement par le désir d'obtenir le consentement paternel
à son mariage avec Adèle Foucher. Il faut ajouter à
cette influence déterminante l'émerveillement du fils
qui redécouvre un père qu'il n'avait connu qu'à
travers l'écran interposé par Sophie. Nous y voyons
également la disposition d'esprit d'un jeune homme de vingt
ans qui est amoureux, donc généreux, et, peut-être
aussi l'élaboration de conceptions philosophiques que le grand
poète exprimera quelques trente années plus tard: "La
liberté d'aimer n'est pas moins sacrée que la liberté
de penser. Ce qu'on appelle aujourd'hui l'adultère est identique
à ce que l'on appelait autrefois l'hérésie...
Nous disons avec surprise: Il y a eu des créatures humaines
condamnées pour avoir pensé. La postérité
dira: Il y a eu des créatures humaines condamnées pour
avoir aimé" (31).
(31) 1855-1856, "Questions sociales".
La "liberté d'aimer" avait conduit Léopold
à épouser sa maîtresse après dix-huit années
de vie commune. Victor s'en accommode. Abel aussi. Il n'en va pas de
même pour Eugène dont la sensibilité exacerbée
provoque une conduite extravagante. Au mois d'avril, il quitte Paris
pour Blois. Son but est de s'assurer par lui-même si son père
est "réellement remarié". Errant, hagard, sans
papiers, il est arrêté à 21 lieues de Paris. Sa
démence apaisée, il écrit à Léopold
pour qu'il intervienne auprès du procureur du Roi à Chartres
et qu'il fasse l'envoi d'un peu d'argent.
La lettre d'Eugène est du 12 avril. Elle se termine par l'expression
de l'"affection véritable" d'un fils soumis et respectueux.
Hélas! qui peut prévoir le comportement d'un jeune homme
en proie à la folie? Les crises se succédant, il écrira
à son père en termes extrêmement blessants pour
Maria Catalina, donc pour Léopold. Cette lettre, nous ne la
connaissons pas, mais nous pouvons en deviner le contenu par ce qu'en
écrit Léopold à Victor, le 25 mai: "Je te
répète qu'Eugène m'a grossièrement écrit
qu'il ne voulait plus rien de moi, etc... que dans mon prochain envoi,
qui sera cependant le même, il sera sensé non compris,
mais que vous lui donnerez son tiers qu'autant qu'il sera sans emploi
et que vous jugerez qu'il en a besoin. Vous sentez que je ne dois
plus rien lui adresser directement puisqu'il repousse ce que je fais
d'une manière aussi inconvenante".
Revenons en arrière. Depuis plus de trois ans,
Victor Hugo et Adèle Foucher s'étaient épris l'un
de l'autre. Le 26 avril 1819, ils avaient osé s'avouer mutuellement
leurs tendres sentiments. Un an plus tard, Sophie, mère possessive,
avait séparé les amoureux.
Après la mort de Sophie, Adèle et Victor étaient
décidés à unir leurs destinées. Le père
Foucher donna son accord. Il ne manquait plus que celui du général
Hugo pour délivrer son fils d'une attente de quelques années,
jusqu'à la majorité requise de 25 ans. Ce sera l'occasion
pour Léopold de faire admettre sa nouvelle épouse.
Poussé par Adèle, qui désirait sortir de l'incertitude,
Victor se résout à demander le consentement à
son père. Il ne le fait pas sans quelques réticences,
tourmenté par le souvenir douloureux de la mort de Sophie:
"J'aime et je respecte la mémoire de ma mère, et
je l'oublie, cette mère, en écrivant à mon père",
disait-il à sa fiancée une semaine avant de se déterminer,
le 7 mars 1822, à demander l'accord de Léopold.
La réponse du père ne se fait pas attendre. Il écrit
à son fils une lettre qui le remplit de joie. Il n'est pas
contraire aux voeux de son fils et il est prêt à les
seconder. Il met une seule condition à son accord définitif:
"Avant de songer au mariage, il faut que tu aies un état
ou une place et je ne considère pas comme telle la carrière
littéraire quelle que soit la manière brillante dont
on y débute".
Le 13 mars, au reçu de la lettre du père, Victor s'empresse
d'en faire part à Adèle: "Adèle, mon Adèle!
je suis ivre de joie. Ma première émotion doit être
pour toi. J'avais passé huit jours à me préparer
à un grand malheur, c'est le bonheur qui vient! - Il n'y a
qu'un nuage. Adieu pour quelques heures; je te porterai dès
ce soir cette lettre".
Ce "nuage", c'est que Léopold a incidemment parlé
de sa nouvelle épouse. Sans insister, avec un certain tact,
il juge à propos d'avertir son fils de ses nouveaux liens.
Il le fait en comparant le rang des Foucher dans la société
au sien, lequel n'est guère meilleur du fait des pertes subies
en Espagne. "La propriété, écrit-il, que
j'ai acheté après la rupture par les tribunaux espagnols
des liens qui m'attachaient à ta mère, et sur laquelle
mon épouse actuelle n'a que des droits proportionnés
à son apport, cette propriété, dis-je...",
etc...
Ca y est, Victor est informé. Les enfants doivent savoir qu'il
est remarié et qu'il faudra bien tenir compte de cette nouvelle
situation lorsqu'on aura à parler d'intérêts.
Le surlendemain, Victor écrit à Adèle:
"Ce matin, j'ai répondu à mon père. Il n'y
a dans sa lettre que deux mots affligeants, ceux qui annoncent ses nouveaux
liens".
Léopold avait attendu plus de six mois pour donner la nouvelle
de son remariage. Jusque là, ce n'était pas nécessaire.
Les enfants ne savaient-ils pas qu'il vivait depuis longtemps avec
Maria Catalina? Mais maintenant que Victor allait se marier, qu'il
voudrait réaliser sa part d'héritage des biens revenant
à Sophie, il fallait le mettre en garde contre de vaines espérances.
Les "mots affligeants" n'avaient pas d'autre but.
Quelque temps après, Léopold conçoit le projet
de présenter Maria Catalina à ses enfants. Le 8 avril
1822 - c'est au moment de la fugue d'Eugène -, il lance une
invitation à Victor: "Ne pourrais-tu venir passer avec
moi, après le 20, ne fut-ce qu'un couple de jours. Nous causerions
de tes intérêts". Il y a bien de la naïveté
dans cette proposition! Il faut croire que Léopold avait une
confiance sans bornes dans le charme et les manières de Maria
Catalina: cette femme qui l'avait séduit ne pouvait pas ne
pas séduire son fils.
Evidemment, Victor ne vint pas. Il avait de bonnes excuses: la folie
d'Eugène, la prochaine édition des "Odes et Poésies
diverses"; mais surtout, il n'était pas préparé
à une confrontation avec celle que sa mère lui avait
appris à haïr. Et puis, il s'activait pour se créer
des ressources afin de lever tout empêchement à son union
avec Adèle.
Il avait les promesses d'une pension sur la liste civile du Roi et
d'une sinécure littéraire au ministère de l'Intérieur.
Le 8 juin, Louis XVIII accorde au poète une pension de 1200
francs. Victor pense doubler cette somme avec sa plume. Les mensualités
du père restent acquises. Ce n'est pas beaucoup, mais les Foucher
acceptent de garder le jeune ménage auprès d'eux, en
attendant de nouvelles ressources. Léopold estimera-t-il ces
garanties suffisantes?
Le 22 juillet, le général Hugo envoie à Victor
une lettre non datée destinée à Pierre Foucher.
Il s'agit de la demande en mariage. Son fils la fera parvenir lorsqu'il
voudra et, surtout, lorsque Maria Catalina ne sera plus un obstacle
aux bonnes relations entre les deux familles. En effet, la lettre
de Léopold à Victor contient une véritable mise
en demeure:
"Il faudra, mon bon ami, quand il en sera temps, que mon consentement
soit accompagné de celui de mon épouse actuelle, dont
j'aurais adressé les compliments à M. et Mme Foucher
sans les préventions qu'on a établie contre elle. Mais,
malgré tout ce qu'on a osé dire, chacun cherchant son
bonheur dans les moeurs et le caractère de sa compagne, si
les moeurs et le caractère de la mienne n'eussent point convenu
à mes principes sévères de probité et
de délicatesse, crois-tu que je l'aurais pour la vie associée
à mon sort? Non, mon ami, et cette réflexion devrait
détruire de fond en comble toutes les préventions".
Victor s'empressa d'adresser la lettre à M. Foucher et d'écrire
à son père (26 juillet): "Ta lettre a comblé
ma joie et ma reconnaissance. Je n'attendais pas moins de mon bon
et tendre père... Ainsi je te devrai tout, vie, bonheur, tout!
Quelle gratitude n'es-tu pas en droit d'attendre de moi, toi, mon
père, qui as comblé le vide immense laissé dans
mon coeur par la perte de ma bien-aimée mère!".
Cette fois, l'évocation de la mère n'est là que
pour grandir l'amour du fils pour le père. Quant à Maria
Catalina, Victor n'en parle qu'au bas de sa lettre: "Je n'ai
aucune prévention contre ton épouse actuelle, n'ayant
pas l'honneur de la connaître. J'ai pour elle le respect que
je dois à la femme qui porte ton noble nom; c'est donc sans
aucune répugnance que je te prierai d'être mon interprète
auprès d'elle; je ne crois pouvoir mieux choisir. N'est-il
pas vrai, mon excellent et cher papa?".
Le 31 juillet, Léopold répondait: "Ma femme a
été très sensible à ce que tu lui dit
d'obligeant dans ta lettre et te remercie cordialement. Elle t'embrasse
ainsi que moi et fait des voeux pour ton bonheur".
Le 1er mai 1822, Joseph-Léopold-Sigisbert Hugo, maréchal des camps et armées du Roy, et Catherine Thomas y Saetoni, comtesse de Salcano, son épouse, avaient acheté conjointement le prieuré de Saint-Lazare qu'ils habitaient, un domaine de 9ha 72a 48ca (32).
(32) Arch. du Loir-et-Cher, Blois, F 1682.
Nous avons vu que Maria Catalina avait invité
sa belle-soeur à y venir goûter les joies de la campagne
en fleurs; Léopold concevra le projet d'en faire le cadre du
voyage de noces de Victor. Décidément, il tenait à
faire rencontrer son épouse et son fils et il avait certainement
raison de choisir le temps de la lune de miel propice aux pardons et
aux élans de générosité.
"Si ton mariage avait pu se faire avant le 1er septembre, écrit-il
le 31 juillet, je t'aurais engagé à venir passer ici
avec ta femme le temps des vendanges. Cette époque est toujours
agréable pour de jeunes Parisiennes peu habituées à
la grosse joie causée par la récolte du pampre. Mais
si vous ne pouvez cette année, nous tâcherons que ce
soit pour celle qui va suivre".
Le 8 août, Victor répond: "Ce projet d'aller (sic)
les vendanges près de toi était charmant, j'y ai reconnu
toute ta bonté; mais il faudra remettre ce bonheur à
l'année prochaine; rien alors ne l'entravera".
Victor ne pouvant venir à Saint-Lazare, son père offre
de lui envoyer des vues dessinées par lui. Puis, quelques jours
plus tard, répondant à Victor qui avait écrit:
"Il me serait doux de pouvoir placer des ornements aussi chers
dans l'appartement qui sera témoin de mon bonheur", il
précise: "Rappelle-toi que ma promesse pour les vues de
Saint-Lazare n'est que conditionnelle, mais je tâcherai de la
remplir ou de les faire peindre par ma femme". Toujours ce mélange
de subtilité et de naïveté! A Victor qui peignait,
à Adèle qui peignait, Léopold fait savoir que
Maria Catalina a le même talent.
Le 12 octobre 1822, Victor Hugo épouse Adèle
Foucher. Le mariage avait été retardé par l'établissement
des documents indispensables, en particulier l'extrait d'un acte de
baptème qui n'existait pas.
Le général Hugo était absent. Il s'était
excusé de ne pouvoir venir. Nous le savons par une lettre de
Victor datée du 18 septembre: "Nous avons tous bien vivement
regretté ici, mon cher et excellent papa, que cet accident
arrivé à ton (clos?) nous privât du bonheur de
te voir prendre part et ajouter par ta présence à tant
de félicité. Il est inutile de te dire combien ton absence
me sera pénible; mais je me dédommagerai quelque jour,
j'espère, d'avoir été si longtemps sevré
de la joie de t'embrasser".
Qu'était-il arrivé? Peut-être les premières
entreprises agricoles de Léopold avaient mal tourné.
Peut-être la cueillette des raisins, à laquelle il avait
convié Victor et Adèle, n'avait pas eu lieu, la récolte
étant anéantie par quelque méchant phénomène
atmosphérique. Léopold avait investi ses revenus sur
ses terres et il se trouvait sans le sou: "Il est malheureux
encore, cher papa, que cet accident te prive de contribuer aux sacrifices
que vont faire M. et Mme Foucher. Je ne doute pas qu'il n'y a que
l'absolue nécessité qui puisse t'imposer cette économie".
La bonne excuse avancée par le général Hugo
pour ne pas assister au mariage de son fils peut ne pas convaincre.
On peut se demander si Victor avait invité Maria Catalina et,
dans la négative, l'absence du père s'explique, de même
que sa délicatesse explique son refus de donner la vraie raison.
Cependant, il nous semble impensable que Victor ait oublié,
volontairement ou non, d'inviter l'épouse de son père.
On peut chercher une autre explication: Léopold n'a pas voulu
mettre sa femme en présence de ses deux autres enfants, d'Eugène
surtout, qui n'avaient pas les mêmes raisons que Victor de l'adopter.
Cette attitude serait conforme au caractère du général.
Mais, après tout, pourquoi ne pas admettre simplement que
Léopold ait dit vrai en invoquant son impécuniosité?
Désargenté, ne pouvant paraître à son avantage
et à l'avantage de son fils, il s'est abstenu. Cela aussi est
conforme à son caractère.
D'ailleurs les relations entre Victor (plus Adèle) et son
père (plus Maria Catalina) vont se poursuivre meilleures qu'avant,
ce qui montre qu'aucune maladresse n'a été commise de
part et d'autre.
Le 19 octobre, "le plus reconnaissant des fils et le plus heureux
des hommes" assure son père, "pour la centième
fois", de sa tendre et profonde gratitude. Dans son bonheur,
il oublie Maria Catalina, et Léopold, attentif à tout
ce qui peut blesser sa femme, lui fera remarquer qu'elle a contribué
à ce bonheur. En effet, nous voyons mal le mécréant
Léopold courir les sacristies pour obtenir la publication et
la dispense des bans de mariage (33).
(33) Cf in MASSIN la note à la lettre du 19.11.1822.
Dans une lettre du 19 novembre, Victor montre qu'il a
bien compris la leçon: "Veuille bien, je t'en prie, dire
à notre belle-mère combien nous sommes reconnaissants
de tout ce qu'elle a bien voulu faire pour hâter notre fortuné
mariage". Adèle, qui termine la lettre, s'associe au témoignage
de Victor: "Si notre belle-mère savait combien j'ai été
sensible à tout ce qu'elle a bien voulu faire pour accélérer
notre mariage, j'espère qu'elle voudrait bien recevoir mes remerciements.
Je lui dois quinze jours de bonheur que sans elle je redemanderais en
vain".
Mêmes sentiments, un mois plus tard, dans une lettre d'Adèle:
"Je vous prierai encore, mon cher papa, de présenter tous
mes sentiments de reconnaissance et de respect à notre belle-mère".
Maria Catalina, "belle-mère" de Victor Hugo! Que
de chemin parcouru depuis qu'elle n'était que la "fille
Thomas"!
Il y avait d'autres absents au mariage de Victor: la tante Martin
bien sûr, ce qui ne nous étonne pas, probablement l'oncle
Francis, mais aussi l'oncle Louis qui, nous le savons, n'a pas été
invité alors qu'il entretenait d'excellentes relations avec
son neveu ainsi qu'avec M. Foucher qui s'occupait de ses intérêts
au ministère de la Guerre.
Le 5 novembre, Louis Hugo écrit à Goton: "Je savais
que Victor devait épouser Mlle Foucher, mais j'ignorais que
ce fût aussi tôt... tu ne me dis pas si Hugo a fait le
voyage de Paris pour le mariage de son fils; car, s'il a donné
son consentement, il eût peut-être bien fait de faire
cette démarche".
En effet, Marguerite Martin, de retour d'un voyage à Blois,
lui avait écrit, mais elle s'était prudemment gardée
de faire état de la non-présence de Léopold au
mariage de Victor. Par contre, et peut-être avec quelque malignité,
elle lui avait dit combien elle avait été satisfaite
de Maria Catalina. "Je suis bien aise, répondit Louis,
que tu aies été contente de l'accueil que tu as reçu
de notre belle-soeur".
Au mariage de Victor, le repas de noces avait été
troublé par la folie d'Eugène au cours d'un accès
subit et violent. Depuis, son état empirait et les crises de
démence alternaient avec les états de prostration.
Le 20 décembre, Abel et Victor informent leur père
et lui demandent de l'argent pour faire face aux dépenses occasionnées
par la maladie. Le surlendemain, après une crise qui avait
nécessité la présence de deux hommes pour aider
la femme de garde à contenir le malade, Adèle insistait
auprès de Léopold: "Ces messieurs ne peuvent rien
décider sans vous et attendent avec une grande impatience votre
réponse".
Or Léopold se démenait au milieu de difficultés
financières. L'état de ses ressources, qui l'avait empêché
d'assister au mariage de son fils, ne s'était pas amélioré.
On peut imaginer en quel état d'âme il vécut la
Noël 1822 et le jour de l'An 1823. Un ami, qui lui écrivait
des Ardennes le 24 décembre, ne pouvait supposer tant de malheur:
"Te voilà tranquille, disait-il, c'est réellement
de toi que l'on peut dire que tu te reposes à l'ombre de tes
lauriers. L'aimable compagne que tu as associée à ton
existence, embellit tes jours. Bien longtemps tu as navigué
sur une mer orageuse, mais te voilà au port".
Léopold était conscient de ses devoirs et n'avait jamais
fui les responsabilités. Lui et sa femme prennent la décision
de vendre le domaine de Saint-Lazare et de se rendre à Paris.
Ils trouvent un acquéreur en la personne d'un médecin
parisien. Le 16 janvier ils signent l'acte de vente (34). Le lendemain,
ils sont au chevet d'Eugène.
(34) Arch. de Loir-et-Cher, Blois, F 1682.
A Paris, les époux Hugo louent un appartement,
décidés à rester aussi longtemps qu'ils pourront
se rendre utiles. Les enfants du général font meilleure
connaissance avec Maria Catalina. Adèle la découvre. Plongés
dans la douleur, ils oublient leurs rancoeurs et la "belle-mère"
fait tout ce qu'il faut pour se montrer agréable. Pouvaient-ils,
d'ailleurs, ne pas bien accueillir celle qui arrivait avec le père
retrouvé volant au secours d'un fils malheureux et apportant
de l'argent pour payer les importants frais d'hospitalisation au Val
de Grâce?
Le 24 janvier, un dîner réunit les époux Hugo,
le marquis de Sully, Abel et un neveu de Sophie: Adolphe Trébuchet.
Nous devons à ce dernier, un garçon espiègle,
le compte-rendu de la soirée dans une lettre écrite
le lendemain à son père: "Mon oncle Hugo est arrivé
à Paris depuis huit jours et il a amené avec lui sa
femme, car tu sais qu'il est marié. Il est venu pour Eugène.
Il a fait à ses enfants toutes sortes de prévenances
ainsi que sa nouvelle femme. Il a envoyé à Victor un
service de café en porcelaine fort beau, et enfin il n'a rien
négligé pour leur prouver son attachement".
Dans cette lettre, nous avons, pour la première fois, une
indication sur le physique de Maria Catalina: "Mon oncle est
fort laid ainsi que sa femme, il a peut-être un pouce de plus
que toi et c'est tout, il est fort gros et il a l'air extrêmement
bon, il louche et je crois que tu ne le reconnaîtrais pas à
ce portrait toi qui le veut fort grand et, je crois, maigre".
Donc Maria Catalina serait fort laide. Ce jugement est exact dans
la mesure où celui porté sur Léopold l'est aussi.
Or les portraits du général, oeuvres de Julie Devidal
et Achille Devéria, ne donnent aucune impression de laideur.
D'ailleurs, Léopold ne louchait pas. L'appréciation
d'Adolphe Trébuchet est sans doute celle d'un jeune homme de
21 ans sur un couple qui commence à vieillir: Léopold
a 49 ans, sa femme en a 39.
Dans les "Misérables", Victor Hugo a consacré
un chapitre à Georges Pontmercy, ce "brigand de la Loire"
dans lequel il a beaucoup mis de son père. Pontmercy vivait
avec "une femme ni jeune, ni vieille, ni belle, ni laide, ni
paysanne, ni bourgeoise, qui le servait": c'est peut-être
le portait de Maria Catalina, bien vague d'ailleurs.
Le général Hugo et sa femme restèrent
moins d'un mois à Paris. Vers le 12 février, ils repartent
pour Blois emmenant Eugène avec eux.
Les premiers temps, l'état du malade semble s'améliorer.
Le 19 février, il écrit à Victor: "Il y
a huit jours que nous sommes à Blois et depuis huit jours ma
tête a recouvré de plus en plus le repos... La raison
me revient peu à peu... Il est impossible d'exprimer les bontés
que papa et madame notre belle-mère veulent bien avoir pour
moi. Papa a été péniblement incommodé
d'une entorse; heureusement, sa jambe va mieux. Madame a été
bien plus sérieusement indisposée, par suite des fatigues
éprouvées dans la déménagement de Saint-Lazare;
je me trouve bien joyeux de pouvoir vous annoncer en même temps
que sa santé se rétablit, et que lorsque vous recevrez
cette lettre, le rhume violent dont elle a été incommodée
se trouvera sur son déclin".
Léopold ajoute quelques mots au bas de la lettre: "pour
vous dire et vous répéter combien nous vous aimons,
ma femme et moi".
Le voyage à Paris, le déménagement de Saint-Lazare,
l'emménagement rue du Foix avaient beaucoup fatigué
Maria Catalina. Malgré cela, elle se dévoue sans relâche
auprès d'Eugène qui lui en est reconnaissant. Début
mars, elle est tout à fait rétablie. Le 5, Victor écrit
à son père: "Nous te prions de féliciter
ta femme sur le rétablissement de sa santé, dont nous
parle notre excellent Eugène".
Le général donne régulièrement des nouvelles
du malade à Victor qui répond aussitôt. Dans cette
correspondance, Maria Catalina n'est jamais oubliée. Victor
"présente ses respects" à sa "belle-mère".
Adèle est plus affectueuse. Le 11 mars, enceinte de cinq mois,
elle écrit: "Embrassez pour moi notre belle-mère
et dites-lui que pour lui faire la cour j'appellerai mon petit garçon
Léopold".
Pendant près de trois mois, Eugène reste à Blois,
calme mais taciturne, inquiet, craintif. Léopold dira plus
tard: "Ici où mes jardins et la campagne lui étaient
ouverts, il se fixait dans les premiers comme un terme et montrait
de la répugnance pour en sortir, même avec moi; il nous
parlait rarement et cherchait la solitude".
Le 4 mai, il tente de tuer Maria Catalina.
Le lendemain, le général Hugo raconte la
scène à Pierre Foucher dans une lettre destinée
à être communiquée à ses deux autres fils:
"Eugène, dont j'observais depuis quelques jours les manières
sombres et farouches, étant à dîner avec ma femme,
une demoiselle et moi s'élança tout d'un coup sans rien
dire de sa place, un couteau à la main, se porta sur cette
demoiselle, lui arracha son assiette qu'il brisa par terre et courut
frapper sa belle-mère à la poitrine. Je fus heureusement
assez prompt pour arrêter sa main au moment où elle allait
sans doute porter le second coup, et assez fort pour pousser le furieux
contre le mur de la salle à manger, mais ne pouvant lui arracher
le couteau des mains, je pris le parti de lui en tordre la lame sous
les yeux, ce qui l'intimida assez pour le lui faire lâcher;
alors il se laissa lier par moi seul et je ne le gardai qu'un moment
dans cet état pénible pour mon coeur, parce que je le
vis abattu et incapable d'entreprendre une lutte avec moi.
"Le docteur étant accouru a trouvé que le couteau,
fort heureusement arrondi par le bout, n'avait fait que déchirer
le schal et le fichu dans ses replis, mais il a vu les dames dans
des attaques de nerfs qui ont exigé des secours; ma femme a
depuis ce moment-là une très forte fièvre. J'envoie
Eugène à Paris dans l'établissement de M. Esquirol,
mais qu'on le guérisse ou non, ce malheureux enfant ne pourra
désormais demeurer chez moi.
"Sa conduite envers ma femme, qui n'a cessé de lui prodiguer
les soins les plus affectueux et dont il a même plusieurs fois
témoigné de sa reconnaissance, m'a déterminé
à l'interroger dans son abattement. Je savais qu'Abel a conservé
à la maison du papier de procédure dont il (Eugène)
a nourri ses projets criminels: il a nommé ses frères
et sa mère comme l'y poussant sans cesse. Je lui ai demandé
quel motif l'avait porté à frapper sa belle-mère,
il m'a répondu froidement "celui de la tuer", parce
qu'elle lui faisait prendre des bouillons, des cochonneries et que
d'ailleurs elle n'était pas sa mère. En effet comme
il prenait trop d'embonpoint, le docteur lui a ordonné des
pilules et des bouillons aux herbes, et il a embrouillé dans
sa tête, exaltée par la maladie et 22° de chaleur,
la qualité de ces bouillons et l'odeur de la coriandre qu'il
a touchée dans mon jardin et qui a l'odeur de punaise".
La suite de la lettre est une terrible mise en garde. Le comportement
d'Eugène a fait surgir le fantôme de Sophie. Léopold
a craint une reconstitution du clan maternel qu'il avait réussi
à briser à force d'amour et de patience. Il a eu peur
de se retrouver dans la situation d'il y a quelques années
lorsqu'il disait à Goton: "ils sont sourdement du parti
de leur mère". Sophie avait marqué ses enfants
d'une empreinte indélébile. Sans doute Abel et Victor
gardaient au fond de leur coeur des lambeaux de haine à peine
effilochés. Aussi, Léopold ne les informe pas directement
de ce qui vient d'arriver. Ce n'est pas d'un intermédiaire
dont il a besoin, c'est d'un témoin.
Le "papier de procédure", gardé par Abel,
portait essentiellement sur des questions d'argent et nous savons,
à ce sujet, que Sophie était un gouffre que la confortable
situation du mari ne parvenait pas à combler. Ce qui ne l'empêchait
pas de ressasser à ses fils que son père les dépouillait
au profit de sa maîtresse.
Il plane un mystère sur la disparition de certaines sommes
envoyées d'Espagne. C'est peut-être à cela que
Louis Hugo faisait allusion lorsqu'il écrivait à son
frère pour le féliciter de son remariage: "Il est
des choses délicates que tu es obligé de leur taire
(il s'agit des enfants) et que tu ne pourras toucher qu'après
un certain laps de temps". Jusque là, Léopold s'était
tû. Or aujourd'hui il menace. "F allait-il farcir de jeunes
têtes de tous ces détails? N'était-ce pas provoquer
un jour de ma part des révélations que je voulais éviter,
car enfin ce n'est qu'avec des révélations que je puis
me défendre de tout ce qui a été dit, écrit
ou mentionné contre moi. Or combien n'en ai-je pas à
faire?".
Léopold fait également état d'une conséquence
possible, désagréable pour toute la famille: l'intervention
du procureur du Roi. Bien sûr, ce n'est pas Maria Catalina qui
ira l'alerter: "Ma femme pardonne à Eugène de tout
son coeur et le plaint", mais, dit-il, le scène a eu lieu
devant trois personnes étrangères, la demoiselle et
deux domestiques, et l'affaire peut s'ébruiter".
Enfin, le général Hugo termine sa lettre sur un ton
très dur, impératif: "Communiquez, je vous prie,
la présente à mes deux fils; qu'elle leur serve à
l'avenir de gouverne envers leur frère, leur belle-mère
et moi".
Nous ignorons la réaction d'Abel, mais Victor,
plusieurs lettres de lui ayant été conservées,
ne changea pas son comportement vis-à-vis de son père
et vis-à-vis de Maria Catalina.
Nous constatons même un regain de tendresse et de considération,
à tel point qu'on peut croire un instant que, cette fois, Sophie
est définitivement enterrée. Il est vrai qu'Adèle
et Victor baignent dans l'euphorie provoquée par l'attente
d'une première naissance.
A Blois, Maria Catalina, durement touchée, met près
de deux mois à se rétablir. "Nos hommages à
ta femme, dont nous attendons des nouvelles", écrit Victor
le 24 mai. Le 29, Léopold nous apprend que son épouse
a une "ébullition complète" et que le médecin
vient la visiter plusieurs fois par semaine. Le premier juillet, Victor
annonce la prochaine venue à Blois d'Adolphe Trébuchet,
"embrasse tendrement" son père et présente
ses hommages à sa belle-mère "qui, nous l'espérons,
est rétablie".
Dans toute cette correspondance, il est question d'Eugène
qui a été transféré à Saint-Maurice,
une dépendance de l'hospice de Charenton. Surtout, il est question
de l'enfant qui va naître. Il s'appellera Léopold, car
on n'envisage même pas la venue d'une fille. Le grand-père
sera aussi le parrain. Il faudra donc qu'il se rende à Paris.
Maria Catalina l'accompagnera.
Le 27 juin, Victor écrit: "Viens le plus tôt qu'il
te sera commode... J'aime cet enfant d'avance, parce qu'il sera un
lien de plus entre mon père et moi". Adèle demande
également à son beau-père et à Maria Catalina
de hâter leur arrivée aussi tôt que leurs affaires
le permettront; "j'entends par affaires vos commodités,
et celles de notre excellente belle-mère à la santé
de laquelle nous nous intéressons bien vivement et que je désire
embrasser en même temps que mon petit enfant".
Un officier supérieur en disponibilité était
tenu d'avoir une permission pour s'absenter de sa résidence.
Le 7 juillet, le général annonce à son fils qu'il
va faire sa demande par la voie hiérarchique et qu'il compte
être rendu à Paris dans les premiers jours du mois d'août:
"ma femme m'y accompagnera, elle vous porte un si sincère
attachement qu'elle partage avec moi toute votre joie et votre bonheur
futur".
L'enfant de Victor vient au monde le 16 juillet 1823, un peu plus
tôt que prévu. Il est chétif, presque mourant.
Léopold n'a pas encore reçu l'autorisation demandée.
Le 24, Victor annonce que l'enfant se fortifie, que la mère
se rétablit. Il est heureux et, pour la première fois,
Maria Catalina bénéficie de ses "baisers":
"Embrasse pour nous notre belle-mère, que nous attendons
avec toi".
Le lait d'Adèle ne convenant pas, le petit Léopold
avait été confié à une nourrice qui ne donna
pas satisfaction. Les parents prennent alors la décision d'envoyer
le nouveau-né à Blois, si le grand-père trouve
une jeune mère présentant les garanties suffisantes: "Nous
serions tous deux tranquilles, sachant notre Léopold sous tes
yeux et sous ceux de ta femme" (29 juillet).
La lettre parvient à destination le lendemain à deux
heures de l'après midi. Aussitôt Maria Catalina se met
en quête. A huit heures tout est conclu. Une nourrice "jeune,
vive et proprette" partira le lendemain matin pour Paris et y
restera un mois avant de revenir à Blois avec le petit Léopold.
Le général lui confie une lettre dans laquelle il ne
manque pas, comme d'habitude, de mettre en valeur le dévouement
et le mérite de sa femme. Au retour de Paris, la nourrice sera
logée à la maison "parce que ma femme veut être
sûre que notre petit Léopold ait du bon lait, ne manque
de rien et soit constamment sous notre surveillance, ne pouvant être
sous la vôtre... Ma femme est vraiment une seconde mère
pour vous: son excellent coeur, ses soins et son activité seront
pour vous un doux soulagement quand vous penserez que le fruit de
vos amours est à 45 lieues de vous, quoique dans la maison
paternelle". Et au bas de la lettre, il insiste: "Ma femme
a tout fait pour le mieux".
Depuis le 29 juin, le général est propriétaire
d'une maison, voisine de celle achetée au nom de Maria Catalina,
au 71 rue du Foix (35). Lorsque Victor et Adèle voudront venir
voir leur enfant, ils disposeront ainsi d'un petit appartement, au
bout du jardin.
(35) Arch. de Loir-et-Cher, Blois, F 1682.
Le premier août au matin, la nourrice prend la
diligence venant de Bordeaux pour un voyage de presque une journée.
Elle n'avait jamais quitté son pays et Maria Catalina avait dû
la convaincre, faisant valoir qu'elle resterait à peine un mois
à Paris, qu'elle-même et le général la retrouveraient
dans peu de jours et qu'elle reviendrait à Blois avec eux.
Le 3 août, Victor annonce à son père que la nourrice
est arrivée la veille "bien portante et gaie" et
il lui exprime longuement son immense reconnaissance pour tout ce
qu'"il" a fait. De Maria Catalina, il en est à peine
question: "exprime, de grâce, à ta femme toute notre
vive et sincère gratitude; il nous tarde de la lui exprimer
nous-mêmes". Adèle termine la lettre. Plus affectueuse,
elle n'oublie pas les "bontés" de la "belle-mère"
et conclut: "Adieu papa, embrassez la grand-maman de mon petit
Léopold pour moi".
La réaction du général à cette lettre
fut rapide et brutale. Le mérite d'avoir satisfait à
la demande des jeunes parents revenait à Maria Catalina et
à elle seule. Il l'avait expliqué dans le détail,
insistant lourdement, peut-être même avec exagération.
Il attendait, en retour, sinon une lettre adressée directement
à sa femme, du moins des marques de reconnaissance qui ne dissociaient
pas les époux. Il était vexé. Il en fit part
à son fils dans une lettre qui n'a pas été conservée
mais dont on devine le ton en lisant la réponse de Victor du
6 août:
"Ta lettre m'a causé un véritable chagrin; et
il me tarde que tu aies reçu celle-ci pour m'en sentir un peu
plus soulagé. Comment donc as-tu pu supposer un seul instant
que tout mon coeur ne fut pas plein de reconnaissance pour les bontés
dont ta femme a comblé notre Eugène et notre Léopold?
Il faudrait que je ne fusse ni frère ni père pour ne
pas sentir le prix de ce qu'elle a fait pour eux, cher papa, et, par
conséquent, pour moi. Si c'est à toi principalement
que se sont adressés mes remerciements, c'est que notre père
est pour nous la source de tout amour et de toute tendresse; c'est
que j'ai pensé qu'il te serait doux de reporter à ta
femme l'hommage tendre et profond de ma gratitude filiale, et que,
dans ta bouche, cet hommage même aurait bien plus de prix que
dans la mienne.
"Je t'en supplie, mon cher, mon bon père, ne m'afflige
plus ainsi; je suis bien sûr que ce n'est pas ta femme qui aura
pu me supposer ingrat et croire que je n'étais pas sincèrement
touché de tous ses soins pour ton Léopold; et comment,
grand Dieu, ne serais-je pas vivement attendri de cette bienveillante
sollicitude qui a peut-être sauvé mon enfant? Cher papa,
je te le répète, hâte-toi de réparer la
peine que tu m'as si injustement causée au milieu de tant de
joie, et qui m'a parue bien plus cruelle encore dans un moment où
mon âme s'ouvrait avec tant de confiance à toutes les
tendresses et à toutes les félicités.
"Adieu, je ne veux pas insister davantage sur une explication
que ton coeur et le mien trouvent déjà trop longue et
dont le chagrin ne sera entièrement effacé pour moi
que par le bonheur de te revoir bientôt ici, ainsi que ta femme...
Tout le monde ici t'embrasse tendrement ainsi que la grand-maman de
Léopold qui voudra bien sans doute être ma panégyriste
et mon avocat auprès de toi, puisque tu ne veux pas être
mon interprète auprès d'elle".
Léopold et sa femme vinrent à Paris, probablement
vers la mi-août. De leur séjour dans la capitale, nous
ne savons pas grand-chose. Léopold a certainement rendu visite
à Eugène, toujours interné sans espoir de guérison
et vivant dans une "saleté désolante". Il a
sans doute rencontré son fils aîné dont il avait
de moins en moins des nouvelles. Au fur et à mesure que Victor
resserrait ses liens avec son père, Abel s'en détachait.
Le remariage du général peut, en partie, expliquer son
attitude. En partie seulement, car nous savons que les frères
eux-mêmes ne se fréquentaient plus. En effet, le 26 août,
Alfred de Vigny écrivait à Victor: "Embrassez Abel,
si vous pouvez le rencontrer quelquefois dans le monde".
Au cours de ce séjour à Paris, Léopold passe
contrat avec un libraire pour l'édition de ses Mémoires.
Victor l'avait conseillé. Pendant qu'Adèle et Maria
Catalina étaient toutes occupées de l'enfant chétif,
le père et le fils se quittaient peu, le premier racontant
au second, inlassablement, ses exploits militaires.
"Toi mon père, ployant ta tente voyageuse,
"Conte-nous les écueils de ta route orageuse".
C'est l'époque où le général apparaît
pour la première fois dans l'oeuvre de son fils. De ce mois
d'août 1823, sont datées deux odes: "A mon père",
qui sera publiée en septembre accompagnée d'une notice
biographique du général, et "A mes amis",
où le poète associe son père et son fils.
L'attitude de Victor vis-à-vis de Maria Catalina était
certainement très correcte et apparemment cordiale, dictée
par le respect et l'amour qu'il portait à son père,
mais sans plus. Adolphe Trébuchet avait envoyé une lettre
pour être remise au général. Lorsque Victor lui
écrit que la commission a été faite, il termine:
"Mon père, ma femme, Abel et toute la famille Foucher
t'embrassent". Maria Catalina ne faisait pas partie de la famille.
Le 9 septembre, les grands-parents Hugo sont à
Blois. Le général écrit à Adèle:
"Léopold est arrivé ici très bien portant;
il n'a pas jeté le moindre cri dans sa route et a fait l'admiration
des voyageurs qui ont partagé l'intérieur de la voiture
avec nous. Sa nourrice et sa grand'maman l'ont tour à tour tenu
sur leurs genoux et sur leur sein".
Dans le cours de cette lettre, il spécifie: "Dites à
Victor qu'en vous écrivant, c'est également à
lui que s'adressent ces mots; il le pensera bien, mais je ne suis
pas fâché qu'il le sache". "Una sunata pè
i sordi!" (36) aurait dit Maria Catalina en sa langue maternelle.
Victor doit désormais savoir qu'il ne peut écrire à
son père en ignorant l'épouse.
(36) Littéralement: une sonnerie de cloches pour que les sourds entendent.
La leçon porte d'ailleurs ses fruits. Dans sa
réponse du 13 septembre, Victor évoque la grand-maman
dès les premières lignes: "Les tendres soins que
ta femme a prodigués durant toute la route à son pauvre
petit-fils nous ont attendris et touchés profondément.
Chaque jour nous prouve de plus en plus qu'elle a pour nous ton coeur,
et c'est un témoignage qu'il m'est doux de lui rendre".
Dans cette lettre, il laisse un peu de papier que réclame Adèle
pour écrire à Maria Catalina. Peut-être même,
c'est lui qui en a l'initiative. "Ma chère maman. Depuis
votre départ, je n'ai cessé de penser à mon Léopold
et cette pensée est inséparable des bontés que
vous avez eues pour ce cher enfant et de toutes celles que vous avez
eues pour nous, et si je suis si à plaindre d'être loin
de lui, il est bien heureux d'être près de vous. J'ai été
charmée de sa bonne conduite pendant le voyage, j'espère
qu'il a continué d'être aimable et de vous sourire, car
il serait bien ingrat s'il en était autrement... Agréez,
chère maman, tous mes sentiments de respect".
Adèle a moins de difficultés que Victor à utiliser
certains mots. Il est impensable que son mari s'adresse à Maria
Catalina en l'appelant "sa chère maman". Mais qui
l'en blâmerait?.
Ce titre de mère, Maria Catalina était en train de
le mériter. Elle, qui n'avait pas eu d'enfant, faisait son
apprentissage, aidée par Aimée, la servante qui avait
été bonne d'enfants et appartenait à une famille
nombreuse, par la cuisinière, mère de famille prête
à accoucher, et par la supérieure de l'Hôtel-Dieu
qui, depuis cinquante ans, s'occupait d'enfants trouvés. "Vous
avez senti, chère maman, disait Adèle, toutes les inquiétudes
de la maternité; vous en aurez toutes les jouissances, vous
aurez votre petit-fils qui vous aimera plus que sa propre mère,
puisque vous avez été sa véritable mère".
Victor et Adèle ont projeté d'aller à Blois
en décembre. La jeune maman attend avec impatience de revoir
son cher enfant. Pour l'instant, elle se console de savoir qu'il est
l'objet des soins attentifs de Maria Catalina. "Je suis triste
seulement de penser que je ne serai que très secondaire dans
sa tendresse puisque je ne serai que sa seconde mère; et que
je n'aurai même pas le droit d'en être jalouse".
Hélas! Adèle ne devait plus revoir son enfant.
Le petit Léopold est mort le 9 octobre 1823. Depuis
plusieurs jours, Maria Catalina s'était rendue compte qu'il y
avait peu d'espoir de le sauver et, dans son désespoir, elle
s'était adressée à la mère de Jésus.
Le 6 octobre, le général avait écrit à Victor:
"Ma femme me charge de vous annoncer qu'elle a voué votre
bel ange à la Vierge pendant un an, ainsi pendant cette époque
de temps il ne doit porter que du blanc".
Autant le général était mécréant,
autant Maria Catalina était croyante. Comme ses compatriotes,
elle avait une foi particulière pour la Vierge Marie: les Corses
n'avaient-ils pas mis son image sur leur drapeau au temps où
ils se battaient pour la liberté? A Cervioni, sur la montagne
de la Scupiccia qui domine le village, il y a une très belle
statue en marbre de Notre-Dame du Bon Secours. Pendant la neuvaine
qui précède le 15 août, la petite Thomas avait,
à plusieurs reprises, fait le pèlerinage, les pieds
nus sur le sentier rocailleux. Trente ans après, sa foi demeurait
intacte et son mari n'avait rien fait pour l'en détourner.
Le ci-devant Brutus Hugo des armées républicaines, l'officier
franc-maçon, l'auteur de "La Révolte des Enfers"
(37) s'était très bien accommodé des pratiques
religieuses de son épouse, même s'il s'étonnait
parfois de la durabilité de ses croyances.
(37) Long poème héroï-comique en 14 chants de cent vers chacun où la bataille entre le Ciel et l'Enfer est traitée à la manière bouffonne.
"La Vierge à qui elle avait voué son
ange aurait dû le lui conserver, écrivait-il à Pierre
Foucher. Cet événement pourra bien affaiblir sa confiance
en sa patronne, et j'avoue qu'à sa place elle perdrait entièrement
la mienne".
Lorsque le général avait compris que son petit-fils
était en danger de mort, il avait averti Pierre Foucher. Sa
lettre était arrivée le 5 octobre. Adèle l'avait
décachetée et avait appris la première la mauvaise
nouvelle. Le lendemain, Victor écrivait à son père
et Adèle à Maria Catalina. Ils étaient malheureux,
mais résignés. Sans doute, ils s'y attendaient. Le pauvre
bébé avait près de trois mois et ne mesurait
pas cinquante centimètres. "Je m'abandonne, disait Victor,
avec une tendre confiance aux sollicitudes maternelles de ta femme.
Dis-lui, répète-lui cent fois que nul au monde ne sent
plus profondément que moi tout ce qu'elle fait pour ce pauvre
enfant, qui sera plus encore à elle qu'à moi".
La mort était survenue à trois heures de l'après-midi.
Le général était au rez-de-chaussée où
il se tenait d'habitude. Sa femme était à l'étage.
Il entendit des cris et des sanglots. Maria Catalina manifestait bruyamment
sa douleur comme dans les pays méditerranéens, comme
dans son pays natal. "Je suis monté... et j'ai mêlé
mes larmes aux siennes", écrivait-il à Pierre Foucher
le lendemain. Les mauvaises nouvelles passaient toujours par le beau-père
de Victor. "Ce cher enfant a expiré sous un baiser de
ma femme... La bonne l'a emporté dans sa chambre pour le revêtir
de ses derniers habits, mais non pour l'ensevelir, ma femme ne l'a
pas voulu. J'ai permis que, sur les sept heures du soir, elle allât
le revoir; c'était un ange endormi, elle l'a pris dans son
berceau, elle l'a couvert de caresses et l'y a replacé en apparence
avec beaucoup de calme et de résignation. Mais remontée
chez elle, ce n'a plus été la même chose; ses
sanglots ont obligé à couper ses lacets et toute la
soirée s'est passée en soins affectueux de notre part,
de la sienne en divagations très alarmantes... Ce matin, elle
souffre partout, elle pleure, n'accuse point la Vierge, mais lui recommande
son ange et n'a pas encore déraisonné. Dieu veuille
que ce ne soit qu'une crise et qu'elle en soit quitte pour celle-là".
Maria Catalina, femme inféconde, venait de connaître
les affres d'une mère qui perd son premier enfant. "Tu
as senti tout ce que je sens; ta femme éprouve tout ce qu'éprouve
Adèle", disait Victor à son père, le 13
octobre, dans une lettre écrite pour consoler.
Les Béthune apportèrent aussi le réconfort de
leur amitié. Ils emmenèrent les Hugo dans leur propriété
de Beauregard. Le 15 octobre, le général écrivait
à Foucher: "Mme Hugo paraît très calme avec
toutes les aimables dames de la famille Sully, mais il est un souvenir
que l'on n'effacera jamais dans son coeur; son bel ange la suit et
lui sourit partout".
Le petit Léopold avait été inhumé en
terre solognote, non loin de Chabris, selon la volonté de Maria
Catalina. Le 10 octobre, dans sa lettre à Pierre Foucher, le
général Hugo avait écrit: "Voilà
les désirs qu'elle a exprimés hier: que son cher enfant
soit embaumé entier dans une petite caisse de chêne,
que nous le portions à la Miltière, qu'on y bâtisse
un petit emplacement; c'est là où elle veut que l'on
entretienne des fleurs et qu'il sera l'objet d'un culte de sa part.
Ce voeu était dans mes intentions et tout va se disposer en
conséquence".
La Miltière était un grand domaine de plus de 77 hectares, situé en Sologne, commune de Pruniers, arrondissement de Romorantin, à la limite sud du Loir-et-Cher (38).
(38) Voir dans le "Journal général du département de Loir-et-Cher, annonces judiciaires, demandes et avis divers" du 28 septembre 1830, l'annonce, par le ministère de Me Pardessus, notaire à Blois, de la vente par licitation du domaine de la Milletière. (Nous utiliserons l'orthographe du général Hugo: la Miltière).
C'étaient des bois taillis, des terres en bruyères,
des prés, des terres labourables, un grand étang et un
petit, portant les jolis noms de la Bruyère des Landes, les Bruyères
de la Croix, le Pré Bâtarde, le Roté, la Grande-Tenue
de la Miltière, le Jardin du Fermier, la Grande-Taille, la Petite-Taille,
le Pâtureau Neuf, la Terre aux Abeilles, la Brumaille.
Un enclos de cinq hectares, appelé le parc de la Miltière,
était distribué en jardins anglais avec allées.
Dans cet enclos, un corps de bâtiment était composé
d'une maison de maître avec plusieurs chambres à cheminée
et cabinets, grenier dessus. Dans la cour, les latrines et un cellier.
A la suite, un grand cénacle servant de boissier, une écurie
à deux chevaux, une grande grange, une autre écurie,
une bergerie pouvant contenir 200 moutons, grenier dessus, une autre
bergerie, un puits à eau, un colombier, une chambre de fermier
avec un four à cuire la pain, deux étables, un poulailler,
un toit à porcs. Une pièce d'eau vive servait d'abreuvoir
pour la ferme.
Une locature de près de trente hectares, dite l'Audinière,
située dans la commune de Lassay, dépendait du domaine
de la Miltière.
A la mort du petit Léopold, le général Hugo
et sa femme étaient en pourparlers pour acheter cette propriété.
L'acte de vente est daté du 12 décembre 1823 (39).
(39) Voir l'acte d'enregistrement du 22.12.1823, extrait des Actes civils publics, vol. 257, Arch. de Loir-et-Cher, Blois, F 1682. Maria Catalina y est appelée Cécile Thomas y Saetoni, comtesse de Salcano, ce qui prouve que, depuis l'île d'Elbe, Léopold continuait à l'appeler Cécile.
Les Hugo ont payé 31.000 francs un domaine qu'ils
croyaient valoir 45.000 et qui, en fait, ne valait pas la somme déboursée.
Mais, la tombe toute fraîche du petit-fils ajoutait à la
Miltière une valeur inestimable.
Ce n'est qu'au printemps de 1825 que les parents du petit Léopold
viendront pleurer sur sa tombe. Bien plus tard, dans le "Victor
Hugo raconté...", Adèle évoquera cette "excursion"
en Sologne et la maison de la Miltière: "Un corps de logis,
d'un seul étage, n'avait de curieux qu'un balcon de pierre,
seul reste d'un vieux château, d'où l'on avait sous les
pieds un étang poissonneux entouré d'ifs et de chênes.
Au delà, ce n'était plus que sables, marais, bruyères
plantées ça et là de chênes et de peupliers".
Les Hugo reviennent à Blois au début de
la quatrième semaine d'octobre. La maison, vide du petit Léopold,
est bien triste. Maria Catalina pleure et parfois déraisonne.
Le 25, le général écrit à son fils: "En
entrant ici, elle n'a pu retenir le torrent de larmes que notre approche
préparait et ses pleurs ont redoublé quand elle est entrée
dans sa chambre à coucher, lieu, pour nous, de tant de pieux
et douloureux souvenirs... Je suis bien aise que vous vous fassiez une
raison, votre cher amour ne pouvait vivre longtemps; mais, dit toujours
ma femme, Dieu en avait tant d'autres à prendre qui n'auraient
fait faute à personne, qu'il aurait dû nous laisser celui-là".
Les lettres de condoléances arrivent aussi bien à Blois
qu'à Paris. Eugène aussi écrit à son père.
Il a oublié son geste fou du 4 mai. Dans sa lettre du 16 novembre,
il dit: "Permets-moi de présenter mes respects à
Madame notre belle-mère, et ne néglige pas de lui rappeler
que je ne suis pas le moins soumis de tes fils éternellement
affectionnés; c'est un témoignage d'estime et d'attachement
que je dois lui rendre".
Il écrit même directement à Maria Catalina et
Léopold est heureux de l'annoncer à Victor et Adèle.
Le 10 janvier 1824, après avoir dit sa grande consolation d'être
tendrement aimé par ses enfants ("ma femme, qui partage
tous mes sentiments pour eux, est fière d'avoir contribué
à leur union et d'en être payée par leur affection
filiale"), il ajoute: "Elle a reçu une jolie lettre
d'Eugène et j'ai été très enchanté
de la réponse toute maternelle qu'elle lui a faite".
Les relations entre les deux ménages Hugo, celui de Blois
et celui de Paris, sont de plus en plus cordiales. Victor a moins
de réticences pour "embrasser" sa belle-mère:
"Ma femme t'embrasse tendrement, ainsi que ton excellente femme.
J'en fais autant" (16 octobre 1823); "embrasse pour nous
ta femme" (16 décembre).
Quant aux épouses, elles échangent des cadeaux: des
dessins, des broderies. Le 18 janvier 1824, Maria Catalina remercie
Adèle: "J'ai reçu votre joli bonnet: chacun, ainsi
que moi, a trouvé qu'il était l'ouvrage de la patience,
du bon goût et du talent. En effet, il vous a fallu beaucoup
de temps pour le faire et je dois m'en féliciter, puisque je
n'ai pas cessé pendant ce temps d'occuper une partie de vos
souvenirs. Je vous en remercie donc infiniment en vous faisant le
juste éloge, car il est très beau et très bien
fait. Il me reste à méditer ce que j'ai à broder
à mon tour qui puisse vous rendre le plaisir qu'il m'a fait.
Embrassez Victor bien affectueusement pour moi... Votre mère
bien tendrement affectionnée".
Tout est donc pour le mieux dans les relations entre le père
et le fils. D'ailleurs Victor et Adèle ont promis de venir
à Blois au printemps.
Le 9 janvier 1824, Victor écrivait à son
père: "Tout porte à croire que Léopold est
revenu. Chut!". La nouvelle fut confirmée. Adèle
attendait un enfant.
Le général et sa femme attendaient le printemps. Le
22 février, Léopold écrit à son fils:
"Ma femme regarde chaque jour les boutons et les feuilles de
son jardin anglais; les premières qui écloront lui donneront
ainsi qu'à moi la douce espérance de presser bientôt
son excellente petite mère sur nos coeurs, ainsi que toi bien
entendu. Quelle joie, si cela est! Si de nouvelles espérances!...".
Victor et Adèle ne viendront pas à Blois. C'est lui
qui en informe son père le 27 mars: "Ma femme avance dans
sa grossesse... Tout en m'affligeant, je ne puis m'empêcher
la défense que lui ont faite les médecins d'aller en
voiture".
Le général fut certainement déçu. Depuis
deux ans, il espérait la venue de son fils et avançait
toutes les bonnes raisons pour le convaincre: la joie des vendanges
ou la splendeur du printemps, le plaisir de la chasse à la
Miltière où il laissait vivre paisiblement lièvres,
perdrix, et autres gibiers, ou encore des fouilles archéologiques
sur les ruines romaines de la commune de Gièvres.
En revanche, Victor lui procura une joie immense en proposant à
Maria Catalina d'être la marraine de l'enfant qui allait naître.
A la mi-mai, les Hugo vont habiter la Miltière, au milieu
des moutons et des paniers d'abeilles. Le 12 juillet, le général
y est encore tandis que sa femme est rentrée à Blois
"pour le rétablissement de sa santé". Il écrit
à Adèle: "Ma femme s'occupe de vous faire réunir
une quarantaine de livres de beurre pour votre petite provision d'hiver,
c'est vers cette époque qu'elle vous la fera passer; le faire
maintenant, ce serait (et même tant que les chaleurs dureront)
s'exposer à le perdre. Ce qui l'a déterminée
à cela, c'est qu'elle a lu votre lettre avant moi et que, vous
voyant enfin dans votre ménage (40), elle a songé à
y mettre quelque chose d'utile.
(40) Victor et Adèle avaient vécu jusque là chez les Foucher. Ils venaient de s'installer au 90 de la rue de Vaugirard.
"Elle avait le projet de broder une lyre avec vos
chiffres pour la fête de Victor, mais le délabrement de
sa santé et mille petites choses survenues l'en ont empêché;
avec elle ce qui est différé n'est pas perdu".
Quelques jours après, Léopold rentrait à Blois.
"J'y ai trouvé ma femme mieux et tout ce qui accompagnait
d'une manière fâcheuse sa grave indisposition a disparu".
Cependant, sa santé restait fragile. Le 29 juillet, Victor
écrit: "Remercie bien ton excellente femme de son attention
délicate pour ma fête. Je ne saurais te dire combien
j'ai été touché, ainsi que mon Adèle.
Remercie-la encore de l'envoi de beurre qu'elle nous promet; cela
sera fort utile cet hiver. Seulement nous désirons qu'elle
soigne sa santé et se donne le moins de peine possible".
Maria Catalina n'oublie pas les fêtes et les anniversaires.
Elle envoie des cadeaux: des fruits, des broderies ou du matériel
archéologique: poteries, médailles antiques et modernes,
un anneau, une épingle "qu'elle croit en or".
Le 16 août, Adèle écrit à son beau-père:
"Nous sommes sensibles à vos bontés, et surtout
à celles de notre bonne mère; toutes ses attentions
nous touchent bien tendrement, et nous prouvent combien elle mérite
d'être aimée. Victor va lui écrire pour la remercier
mille fois... Je suis bien contente de pouvoir vous dire que je me
porte bien; je compte tout au plus aller trois semaines, et j'espère
que tout ira bien. Ainsi, cher papa, venez vite, si vous ne m'écoutez
pas je le demande à notre bonne marraine; elle ne refusera
pas que je vous voye avec mon gros ventre, mon cher papa. Dites-moi,
je vous prie, les noms de la grand'maman, afin que, si c'est une fille,
je sache d'avance comment la nommer. Si c'est un garçon, je
le nommerai comme le premier, afin qu'il partage votre nom, et la
tendresse que vous portiez à mon pauvre petit".
Le 21, le général répond: "Les prénoms
de ma femme sont Cécile, Marie, Catherine, mais elle a le projet,
pour vous être agréable et su cela vous convient, d'ajouter
un nom de plus à votre enfant; si c'est une fille, celui de
Léopoldine".
Nous voyons qu'il placait, avant ceux de l'état civil, le
prénom dont nous ignorons l'origine et par lequel il avait
toujours appelé sa maîtresse et son épouse.
Le 28 août, un peu avant la date prévue, Adèle
accouchait. C'était une fille. On connaît le malheureux
destin de Léopoldine Hugo, morte noyée à 19 ans
près de Villequier. Son prénom, que Maria Catalina avait
voulu, a été immortalisé par le génie
poétique de son père.
A la naissance de la petite fille, le général et son
épouse n'étaient pas encore à Paris. Ils s'y
rendirent en septembre. Le 16, Léopoldine-Cécile-Maria-Pierre-Catherine
Hugo était baptisée à Saint-Sulpice. Le parrain
était Pierre Foucher.
A son retour de Paris, le général Hugo
avait perdu tout espoir de reprendre du service malgré l'appui
d'amis aussi fidèles que M. de Clermont-Tonnerre, ministre de
la marine et des colonies, et M. de Coetlosquet, directeur général
au ministère de la guerre. Une ordonnance du 16 février
1825 le met à la retraite dans son grade de maréchal de
camp.
Depuis quelques temps, il pensait à se reconvertir dans les
affaires et s'intéressait à une "Société
d'Assurances mutuelles en garantie" (41). Il caressait également
l'espoir de récupérer les sommes dépensées
pour l'achat du couvent de Madrid. Le 6 mars, il annonce à
Victor que lui-même et sa femme ont décidé de
se rendre à Paris pour une vingtaine de jours. Ils y resteront
environ cinq semaines.
(41) Cf la lettre de Louis Hugo du 3 juillet 1824, in "La correspondance du colonel Hugo", par Louis BELTON, imp. R. Duguet et Cie, Blois, Arch. de Loir-et-Cher, F 1682.
Nous avons vu que le général avait acheté la propriété de Madrid après le divorce prononcé par les tribunaux espagnols. Il l'avait eue, en seconde main, du général Marie. Il pensait alors que Sophie n'avait plus aucun droit sur ses investissements. Par contre, Maria Catalina avait - théoriquement sans doute! - participé à cet achat.
Aujourd'hui, il savait que ce divorce à l'espagnole
n'avait aucune valeur. Ses enfants le savaient aussi et, espérant
un procès gagné contre le général Marie,
ils demandèrent leur part.
Le général et sa nouvelle épouse se montrèrent
plus généreux encore qu'ils ne pouvaient l'espérer
et, le 12 avril, Léopold, Maria Catalina, Abel et Victor signent
un acte sous seing privé pour le partage d'éventuelles
sommes à récupérer:
"Aujourd'hui douze avril mil huit cent vingt cinq, entre nous soussignés
Joseph Léopold Sigisbert Hugo et son épouse, Abel Hugo
et Victor Marie Hugo ses fils, stipulant tant en leur nom qu'en celui
d'Eugène Hugo leur fils, beau fils et frère, il a été
convenu ce qui suit:
"Il sera pris très incessamment des mesures tant conciliatoires
que légales envers Monsieur le général Firmin Marie,
vendeur au général Hugo susmentionné, du domaine
connu à Madrid sous le nom de couvent des ex-trinitaires déchaussés,
pour rentrer dans la propriété des sommes déboursées
pour cette acquisition et de leurs intérêts.
"Lors de la rentrée dans le capital que le tout composera,
et déduction faite des frais que cette action aura entraînés,
il sera fait de ce capital quatre portions égales, savoir: deux
dans lesquelles MM. Abel et Victor Hugo entreront de suite en possession;
une troisième pour Eugène, dont le placement inaltérable
sera fait par les soins des soussignés réunis en conseil
de famille; et la quatrième dont le général et
son épouse jouiront leur vie durant et qui à la mort du
dernier des deux rentrera dans l'héritage de ses enfants soit
en argent, soit en propriétés".
"Au moyen de cet arrangement, que chacun des soussignés
sera libre de déposer et de faire enregistrer, antérieurement
ou postérieurement au partage de la somme qu'il concerne, l'épouse
soussignée du général Hugo (renonce) à toute
espèce de droits civils ou autres dont il est question dans le
présent sous seing..." (42).
(42) Arch. du Loir-et-Cher, Blois, F 1682.
Maria Catalina ne fit donc pas valoir ses droits. Peut-être
parce qu'elle était convaincue de la vanité d'un tel acte,
le procès contre le général Marie ayant peu de
chances d'aboutir; plus sûrement par générosité
et parce qu'elle savait que l'argent engagé en son nom en Espagne
était celui du premier ménage Hugo.
D'ailleurs, la situation financière du couple était en
train de se stabiliser. Le lendemain, par suite de l'ordonnance du 16
février 1825, le général Hugo obtenait la reconnaissance
de son droit à une pension de 21.000 francs et ce, à compter
du 1er janvier.
Léopold et Maria Catalina quittent Paris à la mi-avril emportant la promesse de Victor de venir à Blois. Une dizaine de jours plus tard, le temps pour Léopold de soutirer son vin, de mettre de l'ordre dans son verger, de visiter son domaine de la Miltière, la petite famille arrive par la malle-poste. "Je frappais à une petite porte donnant sur un jardin; un homme qui travaillait au jardin venait m'ouvrir. C'était mon père" (43).
(43) Lettre du 17 avril 1864 de Victor Hugo au dessinateur Queroy pour le remercier de son album "Les Rues et Maisons du vieux Blois".
Le général voyait enfin se réaliser
un rêve vieux de trois ans: recevoir son Victor accueilli par
sa femme dans sa maison.
Le voyage de Blois va nous permettre de mieux connaître la maison
sise au 73 de la rue du Foix, maison qui, rappelons-le, appartient en
propre à Maria Catalina. La première description est du
28 avril 1825, dans une lettre à Alfred de Vigny: "La maison
de mon père est en pierres de taille blanches, avec des contrevents
verts comme ceux que rêvait Jean-Jacques Rousseau; elle est entre
deux jardins charmants, au pied d'un coteau, entre l'arbre de Gaston
(44) et les clochers de Saint-Nicolas.
(44) Il s'agit d'un ormeau planté sur la Butte des Capucins. La tradition attribuait cette plantation à Gaston d'Orléans.
L'un de ces clochers n'a pas été achevé
et tombe en ruine. Le temps le démolit avant que l'homme l'ait
bâti".
Une deuxième fois, Victor Hugo évoquera cette maison dans
"Les feuilles d'automne II", un poème célèbre
écrit en 1830 et dédié au peintre Louis Boulanger:
"Louis, cette maison
"Qu'on voit, bâtie en pierre et d'ardoise couverte,
"Blanche et carrée, au bas de la colline verte,
"Et qui, fermée à peine aux regards étrangers,
"S'épanouit charmante entre ses deux vergers,
"C'est là - Regardez bien. C'est le toit de mon père".
(45)
(45) Aux archives de Blois, se trouve un brouillon écrit peut-être vers 1900: "Le père de V.H. habitait une maison rue du Foix qui portait autrefois le numéro 73 (actuellement N°65). Elle est habitée aujourd'hui par M. Eugène Baratte. - Cette maison possède un beau jardin, avec des arbres magnifiques, qui se trouve comme enclavé dans les dépendances de l'ancienne Recette générale. Quand on se promène sur les terrasses du Bd de l'Est, on le voit en bas émerger au-dessus des clos voisins comme un bouquet de verdure.- Deux arbres (des ormes je crois) ont été plantés par le général Hugo à la naissance de ses petits-enfants. Ces arbres existent encore et sont conservés par M. Eugène Baratte avec un soin jaloux".
Intérieurement (46), la maison de Maria Catalina comprenait, au rez-de-chaussée, une cuisine comportant notamment une rôtissoire garnie de ses cordes et de ses poids; un cabinet servant de chambre de domestique; le cabinet de travail du général avec une bibliothèque de 594 volumes, ses manuscrits, un télescope, une lunette astronomique et un baromètre; un salon ouvrant au vent bas et au midi, orné de tableaux représentant des faits militaires, des portraits des généraux Kléber et Desaix, de deux vues des bord de la Néva et de trois gravures de portraits de famille. Parmi ces dernières, certainement un portrait du petit Léopold, dessiné par Adèle, devant lequel Maria Catalina s'installait pour travailler, et un portrait de Léopoldine dessiné par Victor.
(46) D'ap. l'inventaire fait à la mort du général. Arch. du Loir-et-Cher, Blois, F 1682.
Au premier étage, un petit salon, des chambres
et leurs cabinets de toilette. Celles du général et de
son épouse ouvraient au midi. Une autre était éclairée
au nord. C'est sans doute dans celle-ci que Maria Catalina installa
Victor, Adèle et Léopoldine. Et c'est celle qui constitue
peut-être le décor de l'acte premier de "Marion de
Lorme".
Au deuxième étage, une chambre à coucher avec deux
cabinets.
Dans le jardin, une écurie, un cénacle, une remise avec
une carriole et une charrette, une cave où le général
mettait sa provision de vin.
Si l'on excepte le temps d'une visite à Chambord et d'un court
séjour à la Miltière, c'est dans cette maison de
la rue du Foix que séjournera le jeune ménage Hugo, Victor
jusqu'au 19 mai, Adèle une dizaine de jours en plus. Cette dernière
quittera Blois après une crise de neurasthénie pendant
laquelle les affectueux rapports avec Maria Catalina seront remis en
question.
Au moment où il allait quitter Paris pour Blois,
Victor avait reçu du roi un brevet de chevalier de la légion
d'honneur et une invitation à son sacre. Il fut décidé
qu'Adèle resterait auprès des beaux-parents pendant que
son mari se rendrait à Reims. Pour la première fois depuis
leur mariage, les jeunes époux allaient être séparés.
L'idée de la séparation tourmente Victor en premier. Il
la ressasse et en amplifie les effets néfastes. Il fait part
à chacun de la douleur qui l'attend. Le 27 avril, donc au tout
début du séjour à Blois, il annonce la nouvelle
à J.B. Soulié: "Je vais donc vous revoir cher ami,
et il me faut cette espérance pour apporter quelque adoucissement
au chagrin de quitter mon Adèle pour la première fois".
Le lendemain, il écrit à Vigny: "Ce voyage me force
de quitter pour quinze éternels jours cette Adèle que
j'aime comme vous aimez votre Lydia et il me semble que cette première
séparation va me couper en deux. Vous me plaindrez, mon ami,
car vous aimez comme moi".
Dans la tête de Victor Hugo une araignée tisse une toile
de profonde tristesse. Pour le jeune poète, comme il l'écrira
dans "Les travailleurs de la mer", "la mélancolie,
c'est le bonheur d'être triste". Aussi, il baigne dans un
état voluptueux et il fait partager à sa femme ses émotions
et sa désespérance.
Le jeudi 19 mai, à 8 heures du matin, Victor quitte Blois. "Il
partirait pour les grandes Indes qu'il n'aurait pas le coeur plus déchiré"
(47).
(47) André LE BRETON: "La jeunesse de Victor Hugo", Hachette 1928, p 151.
A la halte d'Orléans, il écrit à
sa femme. Il a "le coeur si plein de douleur", qu'il lui faut
s'épancher: "Je ne pense qu'avec un grand abattement aux
14 lieues qui me séparent de toi, aux 8 heures que je viens de
passer sans te voir. Que sera-ce donc demain? Que sera-ce après-demain,
et après? et après?".
Adèle fait écho. Le soir, après dîner, elle
s'enferme dans sa chambre pour écrire à son Victor: "Ma
journée... elle a été bien triste, je n'avais pas
auprès de moi mon bien-aimé, je le cherchais partout,
je ne le trouvais pas".
Ces lamentations vont durer cinq jours au rythme d'une abondante correspondance.
Victor écrit aussi bien à huit du matin, qu'à midi
et demi, qu'à neuf heures du soir.
Jusque là, la tristesse que cultivent les jeunes époux
ne met personne en cause. Elle renforce même leurs sentiments
généreux. "Embrasse mon excellent père et
son excellente femme", écrit Victor. "Tes parents ont
fait ce qu'ils ont pu pour m'être agréable", répond
Adèle. Le lendemain du départ, Victor a même pour
Maria Catalina un excès de tendresse inattendu: "Embrasse
pour moi mon noble et charmant père, et celle qui ne fait qu'une
chair et qu'un coeur avec lui".
Victor s'arrête à Paris pour quelques jours. Il loge chez
les Foucher. Il voit du monde. On parle du général en
terme chaleureux. Maria Catalina n'est pas oubliée: "Dis
à sa femme que tout le monde ici l'aime et a raison".
Fort occupé à se préparer pour le sacre, Victor
oublie parfois la séparation. Pendant ce temps, Adèle
s'enferme de plus en plus dans sa chambre et dans son chagrin. On lui
conseille de sortir: elle refuse. Et c'est Maria Catalina qui déroge
à son habitude de faire la sieste pour promener Didine. Le général
et sa femme font leur possible pour distraire Adèle. Lui, toujours
aussi jovial, débouche des bouteilles de vin et fait boire tout
le monde à la santé de son illustre fils. Elle, apporte
du tissu et associe Adèle à la confection d'une robe pour
la petite fille.
"Ils font ce qu'ils peuvent et je les en remercie bien tendrement",
écrit Adèle. C'était le 21 mai.
Le lendemain, c'est un dimanche. Evidemment le courrier
n'est pas distribué. Le 23, le facteur passe à midi: pas
de lettres. Le 24, non plus. L'orage menace. Les nerfs d'Adèle
craquent. A sept heures du soir, elle monte dans sa chambre.
"Mon bien-aimé, combien j'ai besoin de t'écrire!
quand tu n'es pas auprès de moi, je suis seule au monde... je
voudrais te rendre compte de ma journée, mon chéri, il
n'y a nulle différence avec les suivantes (?), je suis toute
la journée seule avec ma fille, le matin, dans la crainte de
gêner Mme Hugo, je reste chez moi jusqu'au déjeuner; aussitôt
le déjeuner fini, Mme Hugo va dormir jusqu'à quatre heures.
Oh! mon Victor, que cette femme est froide! son espèce de zèle
n'a duré qu'un moment, il semble qu'elle m'évite, hier
elle se plaignait de souffrir, j'ai tâché, moi, le coeur
abattu, de la consoler et même de l'égayer, elle ne me
parle jamais ou ne me répond que des paroles sèches ou
contrariantes, je suis ici constamment seule, excepté comme tu
le comprends, aux heures des repas, elle n'a même pas la moindre
attention, elle a l'air de dire que c'est assez bon pour moi; au surplus
tu la connais, mon bien-aimé, tu sais comme elle a été
pendant quelque temps, il semble qu'elle n'ait personne chez elle...".
Pendant qu'Adèle épanche son coeur, Maria Catalina est
au salon. Elle a des visites: les dames Brousse. La plus jeune monte
à l'étage: Adèle pleure. A huit heures, l'orage
éclate:
"Tu connais ma poltronnerie, je prend ma fille à moitié
endormie, et je vais joindre la compagnie, il fallait que ma peur fut
bien forte, on ne m'avait pas dit d'y aller; aussitôt que ces
dames ont été parties, Mme Hugo a dit: "Je vais me
coucher; je dis adieu comme si elle eût été mère
pour moi, adieu maman, lui ai-je dit, le ciel est bien chargé,
je vais avoir peur. - Ah bah! a-t-elle dit, est-ce qu'il y a de quoi?".
Maria Catalina était probablement étonnée du comportement
d'Adèle. Orpheline à moins d'un an, elle qui avait couru
les champs de bataille derrière son amant, pouvait-elle comprendre
cette jeune femme qui avait vécu aux côtés de sa
mère jusqu'à huit mois après son mariage et qui
se trouvait séparée de son mari pour la première
fois? Comme le dit Jean Massin, "elle était peut-être
exaspérée de voir sa bru réclamer par tout son
comportement des égards infinis pour son veuvage très
momentané". Elle était aussi souffrante, Adèle
nous l'a dit, et avait besoin de repos.
Adèle se trouve donc seule dans sa chambre (pas si seule puisqu'elle
avait son enfant). Elle reprend la lettre interrompue et se soulage
de son angoisse.
"Mon bien-aimé, après t'avoir raconté les
faits tels qu'ils sont, je dois te dire que je pardonne à Mme
Hugo. Je te conte tout cela, demain, peut-être elle sera aimable,
elle pensera qu'elle a chez elle une jeune femme qui adore son mari,
qui en est séparée, qui a toujours été entourée
de soins, de sollicitude et de tendresse, et qui réclame l'hospitalité
qu'elle doit s'attendre à avoir chez le père de son mari,
c'est à dire des soins, des attentions accordées avec
bonté, et l'apparence au moins du plaisir qu'on éprouve
à la recevoir. Mon chéri, je suis soulagée, mais
j'exige de toi que tu n'en parles à personne, jamais à
ton père, ne t'avise pas de lui écrire, mon Victor, toujours
il ne saura de moi que du bien de sa femme; toujours devant lui je lui
donnerai raison; mais réponds-moi tout ce que tu voudras, tes
lettres à mon adresse m'appartiennent; mais de grâce ne
dit rien à ton père: lui-même, mon Victor, avait
l'air de se plaindre à moi de n'être pas gaie, ils traitent
cela de faiblesse. Je t'en supplie, n'écrit rien à ton
père, je le remercierai toujours de ses bontés et louerai
sa femme; telle est ma manière de voir; autrement tu viendrais
me chercher à Blois, nous partirons deux jours après,
je retiendrais nos places, nous leur donnerions un prétexte quelconque.
"Dans tous les cas, nous ne resterons pas longtemps, je ne suis
pas habituée aux caprices, quand je fais tout ce que je peux,
l'on me reçoit toujours avec plaisir.
"Adieu, chéri, Didine dort".
Les propos tranquilles, quoique encore décousus,
qui terminent la lettre peuvent faire espérer que tout sera oublié
le lendemain. Il n'en sera rien.
Le 26, Adèle confirme à Victor qu'elle est décidée
à partir et Maria Catalina est toujours en accusation: "Mon
bien adoré, j'ai appris aujourd'hui des choses qui me prouvent
que Mme Hugo nous supporte avec peine et qu'elle s'en plaint. Tout cela
serait trop long à te raconter et te distrairait du but de ton
voyage; cette femme est fort extraordinaire mais elle est fausse. Je
suis mal ici et nous ne pouvons y rester, mais comme il faut qu'elle
ne s'en doute nullement, et surtout ton père qui ne me le pardonnerait
pas, il faut que tu écrives que des affaires que tu ne prévoyais
pas te forcent à rentrer à Paris, et qu'alors tu n'as
que le temps de venir me chercher, que du reste tu conserveras toujours
le doux souvenir de la manière dont ils nous ont reçus,
écris cela parce que ça les engagera à avoir des
soins pour moi".
Le 27, Adèle annonce à son mari qu'elle a arrêté
des places sur la diligence de Paris. Maintenant que sa décision
est prise, elle n'invoque plus la froideur de "Mme Hugo".
Elle explique qu'elle a besoin de son mari, moralement, physiquement,
et qu'elle veut l'aider, par sa présence, à travailler
en toute sérénité à son ode sur le sacre.
D'ailleurs, dit-elle, "Mme Hugo est revenue à moi bien tendrement.
Cette pauvre femme a une maladie de nerfs qui la tourmente beaucoup.
Cher Victor, écris à papa que tu les remercies bien tendrement,
car alors, mon ami, elle était malade. Oh! je lui pardonne de
bon coeur, pauvre femme!".
Le lundi 30 mai, le lendemain du sacre, Adèle quitte Blois.
C'est la veille du sacre que Victor reçoit les
lettres du 24 et du 26. Trois jours plus tôt, il demandait à
Adèle d'embrasser son père, "ainsi que sa femme dont
les soins maternels remplacent les miens". Le matin encore, il
écrivait: "Remercie bien ta bonne mère Hugo de la
petite robe qu'elle a donnée à Didine. Cela m'a touché
au coeur".
A trois heures de l'après midi, alors que le roi vient d'entrer
dans Reims, Victor a lu les deux lettres et y répond:
"Ce que je vais t'écrire est pour toi seule mon Adèle.
Je viens de lire tes deux lettres; elles m'ont désolé.
Je ne tiens plus à Reims, je suis sur des charbons ardents. Comment!
on te laisse seule, seule dans ton isolement! On est froid et inattentif
pour mon Adèle bien-aimée dans la maison de mon père!
Je ne suis pas indigné, cher ange, je suis profondément,
oui, bien profondément affligé. Moi qui connais l'admirable
douceur de ton caractère et la bonté sans bornes de mon
père, je suis atterré de ce qui se passe là-bas.
Ce ne sont pas des soins, des attentions que tu as le droit de réclamer,
c'est la tendresse et la sollicitude paternelle, c'est quelque chose
de plus peut-être que mes propres soins. Mon pauvre et excellent
père! que ne lit-il ce qu'il y a dans mon coeur en ce moment,
il y verrait qu'elle douleur inexprimable se mêle à mon
dévouement infini pour lui, à mon profond amour pour toi!".
A six heures, avant de se rendre à l'invitation de M. de La Rochefoucauld,
il reprend sa lettre:
"Ma tête ne m'appartient plus. Je me croyais tellement sûr
des soins qu'on aurait pour toi! il me semblait que mon absence te rendait
sacrée. Remercie bien Mme Brousse d'une amitié qui m'est
chère puisqu'elle te soulage, et des soins qu'une autre devait
te rendre. Ne t'affecte pas du reste. Que t'importe la bonne ou la mauvaise
humeur d'une personne étrangère dont tu ne dépends
pas, dont tu ne dépendras jamais".
Maria Catalina n'est plus la grand-maman du petit Léopold, la
chère maman des bords de la Loire. Elle ne peut plus être
la fille Thomas puisqu'elle porte le nom des Hugo. Elle n'est plus rien:
c'est l'étrangère.
D'ailleurs, plus ou moins, elle a toujours été l'étrangère
pour les fils du général. Lorsque, au début de
son séjour à Blois, Victor annonçait à Alfred
de Vigny qu'il était invité au sacre de Charles X, il
énumérait tout ce qu'il allait quitter pendant quinze
jours: la délicieuse ville de Blois, la maison blanche aux volets
verts, son excellent père et, par dessus tout, sa femme bien-aimée.
De Maria Catalina, il n'en était pas question.
De sa visite au château de Chambord, Victor Hugo
conservait précieusement une relique: un morceau du chassis de
la croisée sur laquelle François 1er avait inscrit les
deux vers:
Souvent femme varie,
Bien fol est qui s'y fie!
Il dut penser qu'Adèle ne faisait pas mentir la
maxime. Ayant retrouvé ses parents, puis son mari, elle abandonna
l'attitude qu'elle avait eu à Blois et oublia tous les griefs
formulés contre Maria Catalina. La correspondance aux formules
affectueuses reprit, comme avant. L'échange de cadeaux recommença,
comme avant.
Dès son arrivée à Paris, Adèle chargea son
père d'informer la femme du général de son arrivée
à bon port. Les Foucher vinrent d'ailleurs à Blois, et
Victor écrit à son père: "Mon Adèle
te prie d'embrasser pour elle ses deux mères" (18 juillet
1825).
Une lettre de Léopold à Adèle, du 21 août,
nous apprend même que Victor et son épouse ont fait le
projet de revenir à Blois l'année suivante: "Ma femme
est enchantée de vous savoir bien portante, ainsi que sa petite-fille
et filleule: elle vous répète, ainsi que moi, que ma mise
à la retraite ne doit en rien déranger vos projets de
venir avec nous le printemps prochain; aussi dites-le bien de sa part
et de la mienne à Victor".
Pendant que le général écrit cette lettre, Victor,
Adèle et Léopoldine sont sur le chemin du retour, d'un
voyage en Suisse, en compagnie de M. et Mme Charles Nodier et leur fille.
A l'aller, ils s'étaient arrêtés au château
de Saint-Point, chez Lamartine.
Au mois d'octobre, le général et sa femme sont attendus
à Paris. Adèle écrit directement à sa "chère
maman" pour connaître la date exacte du voyage: "J'espère,
chers bons parents, vous voir à Paris très incessamment.
Si vous pouviez être à Paris lundi 31 de ce mois, vous
partageriez un déjeuner où nous réunissons quelques
amis, et où nos bons parents compléteraient notre bonheur
qui ne peut être entier sans eux. Si à Blois, vous trouviez,
chère maman, un beau poisson qui pût arriver frais à
Paris, vous seriez bien bonne de penser à me l'envoyer pour ce
jour... Ecrivez-moi au juste quand vous serez à Paris, c'est
le but que vous devez vous proposer si vous nous aimez. - Adieu, chère
maman, ma fille, mon Victor vous embrassons. - Votre respectueuse fille"
(48).
(48) Arch. de Loir-et-Cher, Blois, F 1682.
Le projet fut abandonné. Léopold et sa femme ne vinrent pas à Paris cette année là.
Revenons à Blois pour les événements
de ce second semestre 1825.
Le 23 mai, Léopold avait été promu lieutenant-général
honoraire. Les félicitations arrivent de toutes parts, aussi
bien des Hugo que des Michaud, des Foucher que des Trébuchet,
des amis du général que ceux de Victor: Chateaubriand,
Soumet, Nodier, Rabbe, Deschamps, etc... Les journaux de Paris annoncent
cette promotion de la manière la plus flatteuse.
Victor a publié son ode sur le Sacre de Charles X. Un exemplaire,
promis personnellement à Maria Catalina, tarde à arriver
à cause, selon Victor, de la négligence de l'éditeur.
Impatiente, elle charge une de ses amies de faire venir la brochure
qui arrivera en même temps que celle que Victor lui destine.
Pendant l'été, le général et sa femme
partagent leur temps entre Blois et la Miltière. Ils se rendent
en Sologne, ensemble ou séparément, pour y surveiller
des travaux qui ont été commandés et hâter
leur exécution. Malgré la mise en garde de Victor ("les
pays humides et sablonneux exhalent des miasmes morbifiques dans les
grandes chaleurs"), le général, plus encore que
Maria Catalina, se plaît à la Miltière. La beauté
des verts bocages, le bondissement des agneaux, le calme des noires
génisses l'inspirent et il envoie un très joli poème
à son fils. Le dernier quatrain, en opposition avec les précédents,
exprime la mélancolie d'un homme qui a passé la cinquantaine
et qui se sent vieillir:
"Mais hélas! tout près dans la plaine,
"Aux coups d'un homme qui fauchait,
"J'ai vu le temps qui nous entraîne,
"Et l'épi blond qui mûrissait".
Avec l'automne, Léopold reprend ses travaux de
plume. Au mois de novembre, il fait éditer un roman: "L'Aventurière
tyrolienne", auquel il donne une suite. Mais surtout, il rédige
un ouvrage sur l'art militaire, un livre plein d'inventions qu'il juge
de la plus haute importance. Le 20 décembre, il écrit
à Victor: "J'ai la tête brisée de ces travaux
et, si je suis les conseils de ma femme, je n'en entreprendrai plus
d'autres".
Les remarques de Maria Catalina font remonter en surface des souvenirs
d'il y a plus de vingt ans, du pays de sa jeune maîtresse, cette
île où les hommes portaient une curieuse coiffure vaguement
inspirée ce celle des Phrygiens: a beretta misgia.
"Aussi, disait-il à Victor, comme les bonnets corses
ont la forme d'un éteignoir, je tâcherai de m'en procurer
qui étouffe le cours de mes idées".
Qu'il était loin ce temps! Qu'il était loin ce pays!
Pendant les rudes soirées de l'hiver 1825, alors que la Loire
chariait des glaçons ou inondait le jardin anglais, le vieux
ménage devait parfois s'entretenir des vertes années
et, de temps en temps, l'un ou l'autre tirait peut-être des
tablettes de la bibliothèque un "Voyage en Corse",
en deux volumes, qui pourrait être celui édité
en 1821 par Joly de Lavaubignon.
"Je sais, excellent père, que tu es loin
d'être riche", écrivait Victor, le 18 juillet 1825,
en portant à sa connaissance une dette non éteinte de
486,80 francs, contractée par Sophie envers M. de Larivière,
l'instituteur des enfants Hugo aux Feuillantines. Victor s'était
empressé d'envoyer une somme de 200 francs à son ancien
maître et il demandait, à Léopold, sa participation
pour le restant. Celui-ci répondit positivement, mais son engagement
était pour le premier janvier. Le général était,
en effet, désargenté, au point de remettre à plus
tard le voyage qu'il devait faire à Paris.
Ce voyage avait pour raison sa collaboration, en tant qu'administrateur,
à une affaire bancaire: la Société Lambert, plus
exactement la Société d'avances mutuelles sur garantie.
C'est en 1826, et surtout en 1827, que le général fera
de nombreux voyages à Paris, nous privant ainsi d'une précieuse
correspondance pendant ces deux années. La dernière lettre
connue de Victor à son père date du 3 novembre 1826, lorsqu'il
annonce la naissance d'un nouvel enfant: Charles.
A quelle date Léopold et Maria Catalina se fixent-ils définitivement
dans la capitale? Nous sommes tentés de la situer au mois de
décembre 1827, au vu d'une lettre du Directeur de la dette inscrite,
section des pensions, du 22 de ce mois (49).
(49) Arch. du Loir-et-Cher, Blois, F 1682.
Cette lettre informe le général qu'il pourra
percevoir sa pension auprès du Payeur du département de
la Seine, à compter du 1er avril 1828. Cette date, de l'installation
à Paris, semble confirmée par Adèle dans le "Victor
Hugo raconté...": "Le général Hugo, établi
momentanément à Paris, assista au mariage". Il s'agit
de celui d'Abel avec Mlle Julie Duvidal de Montferrier, célébré
le 20 décembre. Quant au mot "momentanément",
il signifie que Léopold conservait sa maison de Blois et sa propriété
de Sologne.
Adèle ajoute: "La réconciliation était complète
entre le père et les fils. Abel et Victor étaient revenus
tout à fait et avaient accepté leur belle-mère".
Toujours d'après le "Victor Hugo raconté...",
le général et sa femme s'étaient installés
Rue Plumet pour être près des enfants qui habitaient le
quartier. Victor venait souvent les voir.
C'est encore au "Victor Hugo raconté..."
que nous empruntons le récit de la dernière visite que
Victor fit à son père. C'était le 28 janvier 1828,
après dîner. Adèle l'accompagnait.
"Le général était en humeur de gaîté
et de causerie. On ne se sépara qu'à onze heures. Le fils
était rentré et se déshabillait, quand on sonna
vivement à la porte. Ce coup de sonnette à une heure où
les visites ont cessé lui fit peur. Il courut, ouvrit la porte
et vit un homme qu'il ne connaissait pas.
"- Que voulez-vous?
"- Je viens de la part de Mme la comtesse Hugo vous dire que votre
père est mort".
Le général Hugo venait de succomber à une attaque
d'apoplexie foudroyante (50).
(50) La date officielle de sa mort est le 29 janvier 1828.
Il avait 55 ans. Son corps reçu une inhumation
provisoire au cimetière de l'Est (Père-Lachaise). Ses
fils avaient décidé de lui élever un monument.
Abel fut chargé des démarches. La réalisation fut
confiée à l'entreprise Pector qui s'était chargée
des funérailles: la note des frais est conservée aux archives
de Blois.
Le monument est constitué de "deux sépultures formées
par deux voûtes en moellons durs". Une pierre d'un seul morceau
recouvre le tout et supporte une pyramide en marbre blanc veiné
avec inscription. Une grille à barreaux droits entoure un terrain
de quatre mètres. Aux quatre coins: des flammes, à chaque
barreau: une lance et une palmette.
Au départ, le monument était destiné à recevoir
le seul corps du général. Une concession de deux mètres
avait été obtenue. Maria Catalina exigea un emplacement
pour elle à côté de son mari. Abel demanda une deuxième
concession et fit exécuter les travaux en conséquence.
La facture Pector, qui nous a été conservée parce
que impayée pendant longtemps, n'est pas datée mais fait
courir les intérêts à partir du 13 août 1828,
date qui pourrait être celle du début des travaux. Elle
comporte la somme qui a servi à l'achat des deux premiers mètres
et, plus loin, une même somme pour l'"achat de deux mètres
de terrain demandés par Mme la comtesse Hugo pour une deuxième
sépulture".
C'est le 13 octobre 1828 que le Préfet de la Seine fit concession
"au comte Abel Hugo de deux mètres de terrain au cimetière
de l'Est, pour y fonder la sépulture particulière de Dame
la comtesse Hugo, née Marie Catherine Cécile Tomasi Saetoni,
sa belle-mère" (51).
(51) Arch. privées de M. Jean Hugo, Mas de Fourques, Lunel (Hérault).
Or, le 25 octobre 1837, le corps de Sophie Trébuchet,
qui reposait au cimetière de l'Ouest, sera transféré
au cimetière de l'Est et déposé dans la sépulture
que s'était réservée Maria Catalina. La première
épouse du général Hugo était vengée:
elle récupérait la place qui lui avait été
"volée"; elle la conserve encore.
Nous supposons que la décision avait été prise
et exécutée par le seul Abel. Ce jour-là, il faisait
beau et chaud et Victor déjeunait avec une autre "voleuse"
de mari: Juliette Drouet.
Le 13 mars 1828, Victor Hugo répond à une
demande d'argent du jeune poète genevois Ymbert Gallois. Celui-ci
était venu à Paris pour y chercher la gloire; il y trouvera
la mort quelques mois plus tard.
"Cher Monsieur, vous vous adressez à un homme qui a autant
d'impuissance à vous obliger que de désir de le faire.
Vous savez que, malheureusement pour moi, j'hérite; mais vous
ne savez pas que rien n'est plus ruineux que d'hériter. Voilà
six semaines que le peu d'argent que j'ai passé en inventaire,
poses de scellés, vacations d'huissiers, droits de succession,
etc., etc., car c'est ainsi que cela se passe dans ce pays. Il faut
être fort riche pour hériter. Je suis donc pour le moment
dans une position qui ressemble assez à la vôtre. Je serai
probablement fort à mon aise dans six mois, je suis gêné
aujourd'hui...".
Cette lettre est une fin de non-recevoir bien argumentée. Or
nous savons qu'à cette époque les enfants Hugo ne pouvaient
encore avoir engagé de gros frais pour entrer en possession de
l'héritage de leur père. Les scellés avaient été
apposés sur l'appartement de la rue du Foix, le 5 février,
et à la Miltière, les 7 et 8 février. Ils n'étaient
pas encore levés.
Le 2 juin seulement, une ordonnance du Président du tribunal
de Blois ordonnera les opérations d'inventaire. Celles-ci débutent
le lendemain à Blois, le 21 à la Miltière. Les
4 et 5 novembre on procédera au classement et à l'analyse
des papiers du général et des titres restés en
l'étude de Me Jean-Anne Pardessus, notaire à Blois. C'est
tout pour l'année 1828.
L'héritage du général comportait, pour l'essentiel,
la maison rue du Foix, N°71 (nous savons que celle du N°73 appartenait
en propre à sa seconde femme) et le domaine de la Miltière.
Au passif, quelques dettes. Il semble que sa liquidation ne posera pas
de difficultés majeures. Or, elle opposera les enfants Hugo à
Maria Catalina dans un procès qui durera plus de quinze ans (52).
(52) Toutes les pièces concernant la liquidation de l'héritage du général Hugo sont conservées aux Archives de Loir-et-Cher, Blois, dossier F 1682, déjà cité.
Qu'est devenue Maria Catalina après la mort de
son mari? Elle est probablement restée à Paris pendant
quelques mois, au moins jusqu'aux opérations d'inventaire du
mois de juin, puis est rentrée à Blois.
Une lettre (53) du 15 octobre, qu'elle adresse à sa belle-soeur,
le veuve Martin, nous apprend qu'elle a fait un séjour à
Chabris chez la marquise de Béthune.
(53) Maison de Victor Hugo, 6 place des Vosges, Paris, doc. 2.921 F.H. Voir appendice 3. Les documents de la place des Vosges nous ont été signalés, comme ceux concernant Almeg, par M. A. Brunetti.
Elle vient de rentrer chez elle et compte se rendre à
Paris dans quelques jours. Marguerite Martin lui avait probablement
dit qu'elle l'attendait, mais aussi que les enfants du général
désiraient sa présence pour régler certaines questions
concernant la succession. "Patientez ma bonne soeur, dit-elle,
vous serez avertie de mon arrivée". Au bas de la lettre,
elle ajoute: "Veuillez dire à Victor et à sa femme
mille choses aimables de ma part. Embrassez Abel et sa femme pour moi".
La Goton, que Sophie et les enfants avaient détestée,
continuait donc à entretenir des relations avec ses neveux
et s'immisçait dans les affaires de famille comme le montre
cette lettre que Victor lui écrivait le 11 novembre:
"Vous avez tort, ma chère tante, de revenir sur un passé
qui est oublié. Après tous les malheurs de notre famille,
le pire de tous serait le manque d'union. Croyez donc que nous vous
aimons tous. Ne réveillez plus les souvenirs pénibles
d'une époque où mon père a tout compromis, sa
propre fortune et celle de ses enfants. L'en avons-nous moins aimé?
- Aujourd'hui nous avons tous une pauvreté commune à
supporter. C'est un triste résultat des fautes que nous n'avons
pas commises. Que voulez-vous? Résignons-nous. - J'ai envoyé
votre lettre et papier qu'elle contient à Abel. - Votre neveu
dévoué".
Nous ne savons pas si, à cette date, Maria Catalina est à
Paris. Elle y est certainement le 29 novembre. Le 10 décembre,
conjointement avec les enfants du général, elle signe
une reconnaissance de dette envers MM. Jubault et Trouvain pour le
solde du prix d'une calèche que le général-banquier
s'était offerte. Maria Catalina s'engage pour la moitié
(950 francs), Abel et Victor pour l'autre moitié. Elle habite
alors un appartement au N°15 de la rue Saint-Maur.
A la mort du général, Maria Catalina se trouva privée des ressources de son mari. La loi ne lui accordait pas de pension de reversion. Elle entreprit alors une série de démarches pour obtenir un secours (54).
(54) Dossier du lieutenant-général Hugo, Service Historique de l'Armée, Vincennes, GD2/1054. Ce dossier contient onze documents reproduits en appendice sous les numéros 4 à 14.
Le 29 novembre 1828, elle a recours, sans succès,
aux bontés du ministre de la guerre; le 22 février 1829,
elle renouvelle sa demande qu'elle remet personnellement au ministre.
Le baron Victor Hugo (il s'était adjugé ce titre à
la mort du père, Abel ayant pris celui de comte et Eugène
celui de vicomte) intervient en faveur de sa tante Marie Martine Lawzurica,
veuve de Francis qui était mort moins de quatre mois après
son frère. Il semble qu'il soit intervenu en même temps
en faveur de Maria Catalina. Une lettre du 14 août à M.
de la Bourdonnaye, ministre de l'Intérieur, laisse même
supposer qu'il leur donne un soutien financier: "Toute la fortune
de mon père, à peu près, est détenue sous
séquestre par le roi d'Espagne, contrairement au traité
de 1814. Il est vrai que j'ai une femme et trois enfants. Il est vrai
que je soutiens des veuves et des parents de mon nom".
Pour répondre à la demande de Mme Hugo, le ministre fait
ouvrir une enquête. Il en résulta qu'elle avait un appartement
à Blois, la moitié d'une propriété en Sologne,
un appartement au premier étage de la rue Saint-Maur, à
Paris (ce qui est faux) et des capitaux chez un banquier.
Le 5 mars, pour hâter une réponse du ministre, elle lui
écrit que, dans sa position, elle ne peut prolonger son séjour
à Paris. Elle a d'ailleurs abandonné l'appartement de
la rue Saint-Maur et habite au N°4 de la rue des Ecuries d'Artois,
probablement en pension, chez un M. d'Otémar. La réponse
du ministre est du 14 mars. Elle est négative et en contradiction
avec les promesses verbales: "Je ne doute pas que la cessation
de la pension dont jouissait M. le comte Hugo n'ait diminué vos
moyens d'existence; mais cette pension ne composait pas toute sa fortune,
et je ne suppose pas que la position dans laquelle il vous a laissée,
soit telle qu'elle vous mette dans le cas de recevoir les secours destinés
exclusivement à soulager les anciens militaires et les veuves
dénués de toutes ressources".
Le 14 mars, elle entreprend de justifier sa demande: elle est propriétaire,
par moitié, d'un bien en Sologne dont le revenu d'environ 1000
francs est grevé d'une rente viagère de 800 francs; elle
possède une maison d'habitation acquise 6000 francs. "Voilà,
Monseigneur, le riche patrimoine de la veuve d'un lieutenant-général
dont l'épée a 30 ans défendu et servi la France,
qui commandait à Thionville lors du blocus de 1814, et qui a
refusé des millions offerts par l'étranger pour livrer
cette place sur les murs de laquelle son coeur, tout français,
ne voulait voir flotter qu'un drapeau français". Le ministre
accorda un secours de 250 francs.
Le 21 mai, Maria Catalina est à Blois. On lui avait laissé
espérer un droit à une pension annuelle sur l'ordre de
Saint-Louis. Elle avait été mal informée: il n'y
a pas de pension pour les veuves des Chevaliers de cet ordre.
Au mois de septembre, elle est de retour à Paris. Son adresse
est au N°13 de la rue neuve de Berry. Une demande adressée
au comte de Bourmont, ministre secrétaire d'Etat à la
guerre, lui vaut un secours de 130 francs.
L'année d'après, le 25 décembre 1830, elle est
à Blois. Sans doute ses moyens ne lui permettent pas de passer
l'hiver à Paris. Elle rédige, de sa main, une demande
de pension alimentaire. Le maire de Blois atteste son "état
de détresse extrême". La lettre est transmise au ministre
par un protecteur influent. Elle n'obtient rien.
Dans cette lettre, comme toutes celles écrites personnellement
par Maria Catalina, le style est agréable. La pensée aussi
("les malheureux ont toujours beaucoup de choses à dire").
Seule l'orthographe laisse à désirer.
Une loi du 11 avril 1831 crée enfin un système cohérent
des pensions de l'armée. Les veuves ont droit au quart de la
pension d'ancienneté "pourvu que le mariage ait été
contracté deux ans avant la cessation de l'activité ou
du traitement militaire du mari". Maria Catalina entre dans cette
catégorie. Elle établit un dossier et va sans doute obtenir
satisfaction, même si l'établissement de son identité
va poser des problèmes.
En effet l'instruction de sa demande doit être revue parce que
"suivant l'acte de naissance de la veuve son nom patronymique est
THOMAS, Marie-Catherine, fille de Nicolas THOMAS et de Anne-Marie SAETTONI;
le dit-acte indique en outre qu'elle est née le 5 novembre 1783.
Au contraire dans l'acte de décès elle est désignée
sous les noms et prénoms de SAETONI (Marie-Catherine-Cécile
Tomasi), et dans l'acte de mariage sont ceux de I SAETONI (Marie-Catherine
Thomas) comtesse de Salcano née le 5 novembre 1784, fille de
Nicolas de LIGNY THOMAS et de Lina SAETONY de CHAMPOLARD. Ces différences
graves rendent l'identité douteuse".
Heureusement, l'acte de naissance établi par la mairie de Cervione,
canton de Campoloro, est correct et elle obtient enfin gain de cause.
L'année 1829 ne fait guère avancer le règlement
de l'héritage du général malgré deux décisions
importantes: le 29 août, Abel et Victor acceptent la succession
de leur père sous bénéfice d'inventaire et, le
15 décembre, Maria Catalina assigne les enfants de son mari devant
le tribunal de Blois afin que soient ouvertes les opérations
de compte, liquidation et partage de la communauté.
Le tribunal, réuni le 24 décembre, ne peut que constater
l'absence d'un héritier non représenté: Eugène
Hugo. On l'avait tout simplement oublié. Et cela est étonnant,
du moins de la part d'Abel, le seul à s'intéresser de
près aux opérations de Blois. Victor, lui, a d'autres
préoccupations et est fort ignorant des affaires de famille
comme en témoigne sa lettre du 18 décembre à
Saint-Valry:
"Vous me savez obéré, écrasé, surchargé,
étouffé. La Comédie-Française, "Hernani",
les répétitions, les rivalités de coulisses,
d'acteurs, d'actrices, les menées de journaux et de police,
et puis, d'autre part, mes affaires privées, toujours fort
embrouillées, l'héritage de mon père non liquidé,
nos biens d'Espagne accrochés par Ferdinand VII, mon indemnité
de Saint-Domingue menacée par Boyer, nos sables de Sologne
à vendre depuis vingt trois mois, les maisons de Blois que
notre belle-mère nous dispute et nous volera, par conséquent
rien ou peu de chose à recueillir dans les débris d'une
grande fortune, sinon des procès et des chagrins".
Victor ignore que la Miltière n'a pas encore été
mise en vente et que l'une des maisons de Blois ne fait pas partie
de la succession. D'autre part, Maria Catalina n'a jamais manifesté
l'intention d'avoir plus que son dû et, s'il est persuadé
du contraire, il faut croire qu'il fait écho à certains
propos tenus par son frère.
Quant aux biens d'Espagne, il devrait avoir perdu ses illusions.
Toutes les démarches, entreprises aussi bien par le père
que par les enfants, n'avaient eu aucun succès. Abel avait
même fait appel à une vieille connaissance, l'avocat
Duvergier, jurisconsulte déjà célèbre,
et celui-ci avait conseillé d'attendre la conclusion d'affaires
semblables, en cours devant les tribunaux. Les sentences rendues ne
pouvaient les engager à poursuivre et une solution politique
devenait de plus en plus improbable au fur et à mesure que
les années passaient.
Pour Victor, l'ignorance des affaires de famille ne peut étonner au moment où, semble-t-il, il rompt toutes relations avec Maria Catalina. Celle-ci s'en plaint dans une lettre du 18 janvier 1830 à Marguerite Martin (55).
(55) Doc. 2.922. F.H., Maison Victor Hugo, place des Vosges, Paris. Voir appendice N°15.
Elle écrit à sa belle-soeur pour lui souhaiter
la bonne année, mais surtout lui rappeler que le deuxième
anniversaire de la mort du général est proche. Loin de
Paris, ne pouvant se recueillir sur la tombe de l'homme avec lequel
elle a vécu plus de vingt cinq ans, elle demande à la
Goton de se rendre, le 29, au Père-Lachaise si la rigueur du
froid ne l'arrête pas. Et elle ajoute:
"J'aurais désiré avoir des nouvelles d'Adèle.
Elle m'aurait fait plaisir de m'écrire et de me parler de ses
petits enfants. Quand vous la verrez, embrassez-la pour moi. Dites à
Victor que, connaissant l'attachement qu'il avait pour son père,
il m'étonne de sembler oublier sa veuve, sachant l'affection
que son père m'a toujours vouée".
Il y a beaucoup d'amertume dans ces propos, mais il faut bien qu'elle
se fasse une raison. Aussi, elle ne parle plus d'Adèle et de
Victor dans une lettre (56) du 10 octobre de la même année,
à la même Mme Martin, deux jours avant de partir pour la
campagne de Mme de Béthune: "C'est une véritable
amie pour moi; elle partage mes peines et tâche de soulager la
veuve d'un homme pour lequel elle avait de la vénération.
Je vous assure, ma soeur, que je suis bien heureuse de la voir dans
mon malheur".
(56) Doc. 2.923. F.H., Maison Victor Hugo, place des Vosges, Paris. Voir appendice N°16.
Maria Catalina ne reçoit même plus de lettres
de Louis Hugo. Celui-ci ne lui avait consenti sa sympathie que dans
la mesure où son frère l'avait choisie pour épouse.
Les mêmes sentiments guident Victor. Maintenant qu'il cultive
le souvenir du père et de la mère réunis dans
la mort, Maria Catalina n'a plus de place dans ses pensées
ou, exceptionnellement, une place misérable.
Il se montrera même de mauvaise foi envers la veuve de son
père. Lorsque, en 1833, M. Pector se manifeste pour être
payé des frais des funérailles et du monument, il lui
écrit pour "lui témoigner sa surprise et son mécontentement
de ce que Mme la comtesse Hugo, qui a entre les mains tout l'actif
de la succession, n'ait pas encore acquitté une dette de cette
nature".
La "surprise" de Victor est pour le moins surprenante.
L'actif de la succession n'est pas entre les mains de Maria Catalina,
mais de Me Pardessus, notaire à Blois, et la liquidation est
confiée au tribunal de cette ville. D'autre part, nous savons
qu'Abel et Victor avaient décidé la construction du
tombeau de leur propre initiative (excepté pour la seconde
sépulture) et s'étaient engagés à en couvrir
les frais. L'aveu se trouve d'ailleurs dans une lettre de Me Duvergier
du 2 février 1838: "Pour les frais de funérailles
et de tombeau, MM. Hugo consentirent à ce que Mme Hugo n'en
supporte rien".
En 1830, les opérations pour régler la
succession du général Hugo se multiplient. On peut même
espérer que tout sera terminé dans l'année.
- 15 janvier: le tribunal donne défaut contre Eugène,
ordonne la visite et l'estimation des immeubles, la vente des effets
mobiliers, ordonne que soient ouvertes les opérations de compte,
liquidation et partage et commet à cet effet Me Pardessus.
- 19 janvier: le jugement est signifié à Abel, Eugène
et Victor.
- 30 janvier: les experts, désignés par le tribunal,
prêtent serment.
- 1er février: signification à avoués du serment
des experts et sommation de se trouver à la Miltière
le 16.
- 17 février au 10 mars: opérations d'expertise.
- 11 mars: les experts déposent leur rapport. Les immeubles
sont estimés à 27.300 francs. Le partage en nature est
impossible.
- 2 avril: audience du tribunal; défaut contre Eugène
et réassignation pour le 23.
- 23 avril: le tribunal homologue le rapport des experts et ordonne
la vente par licitation aux enchères.
- 15 au 21 mai: vente des meubles et effets mobiliers de Blois. Produit
de la vente: 3255,65 francs. Maria Catalina en achète une partie
pour 1832,85 francs.
- 22 mai: M. Payen, avoué, dépose un cahier des charges
pour la vente des immeubles.
- 4 juillet: adjudication des immeubles en l'étude de Me Pardessus.
La maison de la rue du Foix, N° 71, est soumise aux enchères
pour 1700 francs. Elle est adjugée à Maria Catalina
pour 1720 francs. Le domaine de la Miltière, dont la mise à
prix est de 25.650 francs, ne trouve pas acquéreur.
- 21 juillet: une seconde fois, personne ne se présente pour
acheter la Miltière.
- 11 août: Maria Catalina demande au tribunal d'ordonner la
vente de la Miltière au-dessous du prix d'estimation. Le lendemain,
ses conclusions sont signifiées à Abel et à Victor.
- 20 août: le tribunal donne droit à la demande de Maria
Catalina.
- 1er septembre: le jugement est signifié à avoués.
- 3 novembre: adjudication de la Miltière. Aucun enchérisseur
ne se présente.
Il faudra attendre un an pour trouver un acheteur. Le 17 novembre
1831, la Miltière est adjugée à M. Desjardins,
capitaine attaché à l'ambassade de France à Madrid,
pour 20.020 francs. Le général Hugo et sa femme l'avaient
payée 31.000 francs.
M. Desjardins fut chargé de conserver 14.000 francs pour assurer
le service de deux rentes, de 400 et 376 francs, constituées
lors de l'achat du domaine de Saint-Lazare, au profit du vendeur et
de ses deux gouvernantes. A la mort du général, Abel
avait payé le semestre en cours, les suivants avaient été
prélevés sur la masse active de la communauté.
Du 12 au 14 mai 1832, on procède à la vente des meubles
et objets mobiliers de la Miltière. Elle produit 681,04 francs.
Maria Catalina en acquiert une petite partie pour 32 francs.
Pendant cinq ans, jusqu'à la mort d'Eugène, on n'entendra
plus parler de la succession du général Hugo.
Eugène Hugo meurt le 5 mars 1837. Sa folie, son
internement avaient empêché que la liquidation de l'héritage
du général soit menée à bonne fin. Sa disparition
va permettre la reprise des instances devant le tribunal de Blois. Les
opérations vont néanmoins durer plus de sept ans. Un procès
verbal de partage, établi le 15 décembre 1840, sera contesté
par les fils Hugo. Il sera rectifié le 10 juillet 1844 après
un jugement du 2 janvier. Nous n'entrerons pas dans les détails
des assignations, sommations, réquisitions, mémoires,
conclusions, poursuites, comparutions, audiences, jugements, etc...
contenus dans un volumineux dossier conservé par le service des
archives de Loir-et-Cher. Nous nous bornerons à évoquer
les points litigieux qui ont opposé les fils Hugo à Maria
Catalina.
Après la mort de leur frère, Abel et Victor demandent
à Me Duvergier, leur ami depuis vingt ans, de prendre en mains
la défense de leurs intérêts. Le célèbre
avocat n'interviendra pas personnellement devant le tribunal. Il se
limitera à conseiller, depuis Paris, Me Talbert, avoué
à Blois, auquel les enfants du général donnent
procuration pour les représenter.
Dans les instructions de Duvergier à Talbert, les dispositions
d'esprit des fils Hugo envers Maria Catalina sont clairement exprimées:
"L'intention de MM. Hugo est de se montrer conciliants et même
généreux s'il le faut envers leur belle-mère"
(15 août 1837).
Le 2 février 1838, le règlement de le succession n'ayant
guère avancé, Duvergier veut savoir quel est "l'adversaire
acharné" que rencontrent MM. Hugo: Me Pardessus ou Maria
Catalina? "Mme Hugo serait-elle par hasard le personne qui élèverait
contre les enfants de son mari les prétentions que vous m'indiquez?
Ce serait à coup sûr une haute inconvenance et j'ajoute
une insigne maladresse... Il importe à nos clients de savoir
à qui ils ont à répondre; car leur langage doit
être différent selon les personnes... Ils ont témoigné
à Mme Hugo le désir de faire une liquidation amiable,
et la volonté de ne point se montrer envers elle ni exigeants,
ni rigoureusement attachés à leurs droits. Ils lui laissent
volontiers recueillir les débris de la succession de leur père;
mais si on répond à leur désintéressement
par des tracasseries il faudra bien qu'ils changent de ton et de manière,
et qu'ils se défendent, non pour gagner, mais afin de ne point
perdre".
Pour Duvergier, le meilleur arrangement est celui qui entérine
les prétentions des frères Hugo desquelles il résulte,
comme nous le verrons, qu'ils n'ont nullement l'intention, quoique
en dise Duvergier, de laisser profiter Maria Catalina de droits qu'elle
ne possède pas. Pour l'avocat, il ne peut être question
d'être tendre pour l'adversaire qui ne s'inclinerait pas devant
les exigences de ses clients. "Il est vraiment inconcevable que
Mme Hugo manifeste des intentions hostiles. Veuillez, Monsieur, lui
dire, au nom de MM. Abel et Victor, que ceux-ci ne veulent rien exiger
d'elle d'injuste ou même de trop rigoureux; qu'ils désirent
seulement que tous les créanciers soient payés. Mais
que si, malgré l'abandon avec lequel ils veulent agir, Mme
Hugo élève des difficultés, alors nous ferions
valoir toutes nos prétentions, selon le droit".
En 1841, M. Foucher intervient auprès de Talbert: "Il
est facile d'éviter toutes les contestations puisqu'il existe
dans la succession de quoi payer toutes les dettes. Les difficultés
ne pourraient donc s'élever que sur le plus ou le moins que
Mme la comtesse Hugo pourrait retirer. L'intention de MM. Hugo est
je crois de prendre les sommes suffisantes pour payer les dettes et
de laisser le surplus à Mme la Comtesse".
Il est impensable que Maria Catalina soit contraire à un tel
arrangement, et pourtant il est vrai que l'entremise du beau-père
de Victor n'eut aucun résultat. Il faut en déduire que
les déclarations d'intention étaient en contradiction
avec les prétentions. Ces prétentions ne venaient probablement
pas de Victor, comme semble le prouver la médiation de M. Foucher,
mais d'Abel.
Me Pardessus, notaire liquidateur commis par
le tribunal, avait été le mandataire du général
Hugo et avait continué à gérer les intérêts
de sa veuve. A l'ouverture de la succession, il avait présenté
un compte des recettes et dépenses à partir de 1823. Nous
ignorons pourquoi il avait choisi cette date qui excluait la comptabilité
relative à l'achat du domaine de Saint-Lazare.
Nous rappelons que le domaine avait été acheté
conjointement par Léopold et Maria Catalina, huit mois après
leur mariage. Or, les fils Hugo prétendaient qu'il avait été
acheté pendant la première communauté, à
l'aide d'un prête-nom, et exigeaient les comptes du notaire
à partir de 1820. Dans sa lettre à Talbert, du 2 février
1838, Duvergier disait pouvoir démontrer que Saint-Lazare avait
été acheté avant la mort de Sophie: "En
général ces sortes de preuves sont difficiles à
faire; mais par un concours singulier de circonstances MM. Hugo ont
entre les mains des documents qui ne peuvent laisser aucun doute sur
ce point. Il serait trop long de vous indiquer ici comment MM. Hugo
croient pouvoir faire cette preuve. C'est d'ailleurs une chose parfaitement
connue de M. Pardessus qui ne la contestera pas".
Me Pardessus la contesta. Il produisit sans doute l'acte de vente
qui se trouve dans le dossier du service des archives, mais il refusa
de montrer ses comptes.
Duvergier se fit menaçant. Il fit déposer des conclusions
tendant à commettre un autre notaire au lieu et place de Me Pardessus. Il fit intervenir le Procureur du roi par l'intermédiaire
du beau-père de Victor. Il parla de sanctions disciplinaires
et d'assignation en garantie devant un tribunal de la capitale: "Devant
le tribunal de Paris, il n'aura plus l'influence qu'on dit qu'il exerce
à Blois".
Rien n'y fit. Me Pardessus resta sur ses positions et les fils Hugo
ne purent exhiber des documents qu'ils n'avaient pas. Il semble qu'ils
se basaient sur un retrait d'argent effectué par leur père
chez MM. Ternaux, les dépositaires des fonds qu'il envoyait
de Naples ou d'Espagne.
L'affaire fut portée devant le tribunal qui, par un jugement
du 2 janvier 1844, déclarait MM. Hugo non recevables et mal
fondés en leurs conclusions:
"Considérant que les enfants Hugo sont sans intérêt
pour demander le détail du compte fait précédemment
entre le dit Me Pardessus et feu M. Hugo leur père à
la date du 4 juillet 1823, qu'en effet ils ne justifient pas que la
dame Sophie Françoise Trébuchet, leur mère, première
femme de M. Hugo d'avec lequel elle était séparée
de corps suivant jugement en date du 3 février 1818, ait dans
les trois mois et quarante jours suivants accepté la communauté
qui existait entre eux, qu'à défaut de cette justification
elle est censée y avoir renoncé aux termes de l'art.
1463 du Code civil, et que dès lors il est sans importance
de savoir si une portion quelconque de la somme provenait de la dite
communauté puisqu'au moyen de la renonciation... de la dame
Trébuchet tout ce qui en dépendait est devenu la propriété
exclusive de M. Hugo son mari".
Indépendamment de toutes les considérations d'ordre
juridique, notons qu'il y a quelque chose d'indécent dans les
démarches d'Abel et de Victor pour récupérer
de l'argent sur la vente de Saint-Lazare. Rappelons qu'au mois de
décembre 1822 ils demandaient de l'argent à leur père
pour faire face aux dépenses occasionnées par la maladie
d'Eugène et que Léopold et Maria Catalina vendirent
le domaine pour aller au secours du pauvre dément.
Un sieur Bodin ayant réclamé le montant
d'une dette contractée par Sophie, le notaire refusa de la prendre
en compte dans la succession du général. Les enfants ripostèrent:
"On repousse Bodin, écrit Duvergier à Talbert,
qu'on dit être créancier de Mme Hugo (la première
femme du général). L'observation est juste; mais si
l'on y tient, MM. Hugo, de leur côté, seront obligés
de faire valoir leurs droits contre la succession de leur père,
du chef de leur mère. Ils feront remarquer que par jugement
en date du 3 février 1818 la séparation de corps et
de biens a été prononcée contre le général,
qu'il a été condamné à payer à
sa femme une rente viagère de 3000 francs, qu'il n'a jamais
payé un sol; que Mme Hugo a emprunté pour vivre, qu'elle
était en mourant une créancière de son mari,
non pas seulement des arrérages de la pension, mais du montant
des sommes qu'elle avait été obligée d'emprunter,
notamment à M. Bodin".
Dans les conclusions déposées par Me Razouer, avoué
des fils Hugo en remplacement de Talbert nommé juge de paix,
Abel et Victor réclament une somme de 10.150 francs comme héritiers
de leur mère. Cette somme représente la totalité
de la pension due par Léopold pendant les 3 ans, 4 mois, 18
jours courus depuis la séparation de corps jusqu'au décès
de Sophie. Maria Catalina opposa la prescription et le tribunal lui
donna raison.
Que Léopold n'ai pas régulièrement et entièrement
payé la rente viagère à Sophie, c'est possible.
Qu'il n'eut "jamais payé un sol", c'est certainement
faux. Nous avons déjà fait état de cette lettre
du 6 mai 1818 dans laquelle Abel accusait Maria Catalina de soustraire
les lettres qu'il envoyait à son père. Il y est écrit:
"Tu demandes que je t'accuse réception des 80 francs que
tu m'as envoyés tous les mois pour ma mère depuis juillet
1817. Tu peux être tranquille... Tu avais promis de compléter
les 100 francs que tu t'étais engagé à donner
à ma mère sur ton traitement de la Légion d'Honneur.
Si tu veux m'envoyer les pièces et ta procuration, je me chargerai...".
Nous savons d'autre part que lorsqu'on avait écrit dans le
"Conservateur" du 3 mars 1820 qu'Abel et Victor s'étaient
lancés dans la littérature pour subvenir aux besoins
de leur mère, Léopold avait réagi vivement. Le
28 avril, il écrivait au doyen de la faculté de droit:
"Je paie depuis deux ans à mes jeunes fils Eugène
et Victor une pension pour qu'ils étudient en Droit à
l'Université de Paris, mais je n'ai jamais pu apprendre d'eux
s'ils suivent les cours avec exactitude et quelque distinction. J'ignore
même si une entreprise littéraire que les journaux seuls
m'ont apprise, et des motifs de laquelle l'un deux a fait l'éloge
le plus touchant et le plus mensonger (puisque je paie régulièrement
une autre pension à la personne pour le prétendu soutien
de laquelle cette entreprise aurait lieu); j'ignore, dis-je, si l'entreprise
dont je parle n'a pas entièrement arraché mes fils à
leurs études".
Dans ce procès qui oppose Maria Catalina et les fils Hugo,
il est parfois difficile de faire la part entre les détours
de la chicane et la mauvaise foi des protagonistes, mais, dans le
cas ci-dessus, nous n'hésitons pas à mettre en cause
la déloyauté d'Abel.
C'est encore Abel qui apparaît dans l'affaire de
la calèche. À la mort du général Hugo, Abel
s'était chargé de trouver une solution à certaines
affaires pendantes et, certainement, avait réglé quelques
menues dettes. Maria Catalina pensait que, pour faire face à
ces dépenses, il avait, d'abord, utilisé le dernier trimestre
de la pension de son mari. Elle fit porter à l'actif de la communauté
une somme de 317,78 francs représentant la portion courue du
1er janvier 1828 à la date du décès de Léopold.
Abel fit opposition et prouva qu'il n'avait jamais perçu cette
somme en présentant le titre de pension de son père qui,
d'après l'usage, aurait dû être remis lors du paiement
final.
Maria Catalina prétendit également qu'Abel avait reçu
le montant de la vente d'une calèche, faite quelques jours
avant sa mort, et fit enregistrer une somme de 1800 francs. Abel ne
nia pas d'avoir perçu cet argent, mais affirma que la calèche
lui appartenait, qu'elle lui avait été donnée
par son père en compensation d'une somme de 3 à 4000
francs qu'il lui devait. Or la calèche n'avait pas été
entièrement payée par le général.
Me Duvergier se fit argument de la reconnaissance de dette du 10
décembre 1828 envers M. Jubault, carrossier, signée
conjointement par Maria Catalina, Abel et Victor. Le 18 juin 1839,
il écrit à Talbert: "Comme MM. Hugo veulent donner
une nouvelle preuve de leur désir de terminer à l'amiable,
ils consentiront je crois à adopter le projet de liquidation
si l'on accueille la modification relative au prix de la calèche.
M. Abel ne peut consentir à transiger sur un point qui touche
à son honneur; il a déclaré que la calèche
était entre ses mains, comme sa propriété, que
son père la lui avait donnée en paiement de sommes dont
il était son débiteur. Cette déclaration de sa
part ne peut être mise en doute, sans l'accuser explicitement
d'un odieux mensonge; c'est ce qu'il ne peut, ni ne doit souffrir.
On concevrait que des étrangers vinsent élever une pareille
contestation, mais on leur répondrait que longtemps avant la
mort du général, M. Abel avait la calèche entre
les mains, que sa possession était son titre, qu'on peut d'autant
moins révoquer en doute son affirmation qu'il a encore entre
les mains les titres prouvant que, depuis le décès de
son père, il a acquitté des dettes de sa succession,
sans même songer à en demander la paiement. Cette réponse
à des tiers serait péremptoire; elle l'est bien davantage,
lorsqu'elle s'adresse à Mme Vve Hugo, qui a signé la
déclaration dont je vous ai donné communication, et
par laquelle elle s'oblige personnellement à payer sa quote-part
au vendeur de la calèche".
La thèse d'Abel et de son conseil fut défendue devant
le tribunal: "M. le général Hugo était débiteur
envers son fils M. Abel de diverses sommes desquelles ce dernier désirait
avoir paiement au moins pour partie; bien avant sa mort, M. le général
Hugo avait donné à M. Abel Hugo, et en acompte sur ce
qu'il lui devait, la calèche dont on voudrait aujourd'hui lui
faire rapporter le prix. Elle était donc devenue sa propriété
incontestable, d'ailleurs en fait de meubles possession vaut titre.
- Ce que M. Abel Hugo avance là il pourrait le prouver, mais
encore une fois il est défendeur, il n'a a faire qu'une preuve
contraire; il existe d'ailleurs dans la cause les présomptions
les plus graves contre les prétentions de Mme Vve Hugo sur
le rapport de cette somme et, entr'autres, celle qu'on pourrait tirer
de ce fait qu'après la mort de M. le général
Hugo, Mme Vve Hugo se serait obligée à payer moitié
de cette calèche dont le prix était, à ce qu'il
paraît, encore dû au vendeur; comprendrait-on que Mme
Vve Hugo, après le décès de son mari, se serait
soumise à payer moitié du prix encore dû de cette
calèche si ce prix eût dû être rapporté
par M. Abel Hugo; évidemment non, et c'est là une grave
présomption contre elle...".
A l'audience du 2 janvier 1844, Maria Catalina déféra
le serment à Abel. Abel vint à Blois le 12 février,
comparut en séance publique devant le tribunal et prêta
le serment décisoire sur la question: "M. Abel Hugo n'a-t-il
pas vendu au prix de 1800 francs la calèche appartenant à
son père?". Il répondit négativement. L'affaire
de la calèche était classée.
Autre affaire opposant Maria Catalina aux enfants de
son mari: les créances espagnoles.
Nous avons vu que, lors de la première communauté, le
général Hugo avait acheté au général
Marie de Fréhaut un couvent de Madrid, qu'il n'avait payé
qu'une partie du prix convenu et qu'il avait été dépossédé
de cette propriété, sans indemnité, à la
suite des événements politiques survenus en Espagne à
la fin de 1813.
Nous avons vu également que le général Hugo
et ses fils n'avaient jamais perdu l'espoir de récupérer
les sommes payées à M. Marie et qu'ils avaient signé
entre eux (et Maria Catalina) un acte sous seing privé pour
la répartition des sommes éventuellement recouvrées:
trois quarts attribués immédiatement aux trois enfants,
Léopold et sa seconde femme se réservant la jouissance
du dernier quart jusqu'à la mort du dernier des deux.
Or, après la mort du général Hugo, la veuve
du général Marie et ses enfants se manifestèrent
comme créditeurs de la communauté d'une somme de cinquante
mille réaux, soit environ 13.492 francs, capital et intérêts.
Ils proposèrent une transaction qui fut rejetée. Pour
Duvergier, la succession Hugo n'avait aucun risque à courir
de ce côté: "L'éviction qu'a éprouvée
M. le général Hugo n'est point la conséquence
d'un fait de force majeure, dont le vendeur n'est pas garant... elle
est résultée de l'illégalité originaire
de l'aliénation de l'immeuble vendu. Cette distinction a été
formellement établie par la Cour de Cassation dans l'affaire
Boucheporn et j'ai eu l'occasion de rappeler ces principes dans mon
traité de la vente, tome 1er, N° 315. Vous comprenez bien,
disait-il à Talbert, que je ne m'indique pas comme une autorité.
Je veux vous faire voir que mon avis est tout à fait indépendant
de l'affection très vive que j'ai pour MM. Hugo".
Pardessus était aussi convaincu que Duvergier. Mais, lorsque,
en 1840, il rédigea le projet de liquidation, il mentionna
comme rejetées les prétentions de la vicomtesse de Fréhaut
et, pour préserver les intérêts de Maria Catalina,
il évoqua, à sa demande, l'acte sous seing privé,
ajoutant que les conventions invoquées par la comtesse Hugo
"devaient être interprétées comme elle l'a
fait".
Maria Catalina prétendait donc, qu'ayant abandonné
l'essentiel de ses droits, se réservant seulement une part
minime en usufruit, elle ne devait pas subir les préjudices
qui pourraient advenir en cette affaire.
Les fils Hugo firent valoir que Maria Catalina était mariée
sous le régime de la communauté légale et, qu'en
vertu de l'art. 1419 du Code civil, les dettes antérieures
au mariage entrent dans le passif de la communauté.
Le tribunal estima qu'en l'absence de titres et même de toute
réclamation des héritiers Marie, les droits et recours
qui pourraient en résulter, contre Mme Vve Hugo et MM. Abel
et Victor Hugo, ne pouvaient être appréciés et
que c'est à tort que le notaire rédacteur de l'acte
liquidatif a émis une opinion.
La dernière contestation des fils Hugo portait
sur les frais de deuil et de nourriture dûs à la veuve.
Maria Catalina réclamait 1200 francs pour son habit de deuil
et le deuil de ses domestiques et 1950 francs pour la nourriture et
le logement. Me Pardessus les inscrivit pour ordre au procès-verbal
de liquidation, c'est à dire que ces dépenses ne devaient
pas être prélevées sur la masse commune mais seraient
supportées par les héritiers du général,
donc par Abel et Victor.
La somme réclamée pour le deuil fut estimée
exorbitante. "Eh, mon Dieu, écrivait Foucher à
Talbert, le deuil que portait le reine Anne de Bretagne dans votre
château de Blois, lors de la mort de son premier mari, ne coûta
que 722 francs et quelques deniers". Le tribunal la ramena à
800 francs.
Pour la seconde somme l'art. 1465 du Code civil disait que "la
veuve... a droit pendant les trois mois et quarante jours qui lui
sont accordés pour faire inventaire et délibérer,
de prendre sa nourriture et celle de ses domestiques sur les provisions
existantes, et, à défaut, par emprunt au compte de la
masse commune, à la charge d'en user modérément".
Me Razouer fit valoir que, si la position sociale pouvait servir de
base au calcul, il fallait aussi tenir compte de l'importance de la
succession. Or, d'après les comptes du notaire, avant rectification,
il y avait à partager 18.953 francs. "Pendant trois mois
et quarante jours, Mme Vve Hugo aurait absorbé à elle
seule pour nourriture et logement et habits plus d'un sixième
de la succession de feu son mari, ce serait trop fort et lorsqu'une
succession est loin d'offrir le résultat qu'on pouvait en attendre
tout le monde doit, en considération de cela, réduire
ses besoins, et nous ne comprendrions pas qu'il en fut autrement pour
Mme Vve Hugo". Le tribunal ramena les 1950 francs à 1300,
à raison de 300 francs par mois. Il ordonna en outre que, conformément
à la loi, cette somme serait portée au compte de la
communauté.
1845... Le général Hugo est mort depuis
dix-sept ans. Juridiquement, sa succession est liquidée. On se
partage la somme dûe par le nouveau propriétaire de la
Miltière: 5078,92 francs tous frais déduits. Me
Pardessus fils, qui avait pris la suite de son père décédé,
présente sa note. Abel fait mandat sur Me Razouer
d'une somme de 2982,47 francs.
Cette année là, Victor écrit:
"Vous me croyez riche, Monsieur? Voici:
"Je travaille depuis vingt-huit ans, car j'ai commencé
à quinze ans. Dans ces vingt-huit années, j'ai gagné
avec ma plume environ 550.000 francs. Je n'ai point hérité
de mon père. Ma belle-mère et les gens d'affaires ont
gardé l'héritage. J'aurais pu faire un procès,
mais à qui? à une personne qui portait le nom de mon
père. J'ai mieux aimé subir la spoliation...".
Non, Monsieur Victor Hugo, vous n'avez pas été spolié
par votre belle-mère. Elle a eu la part qui lui était
dûe, comme vous, comme Abel. Hélas! l'héritage
de votre père était faible et une fois payés
les frais de justice et les honoraires des hommes de loi, il ne devait
pas rester grand chose. Pour personne. La preuve que Maria Catalina
n'a pas gardé l'héritage, elle est dans les nombreux
documents d'archives conservés à Blois. Elle est aussi
dans votre agenda de l'année 1864. Vous étiez à
Guernesey. Le 26 avril, vous notiez: "- envoyé à
M. (...) notaire à Romorantin, ma procuration sous seing privé
pour toucher ma part de 10.000 francs retenue par M. Camus acheteur
de la Miltière pour payer la rente viagère de la Dlle
Laury éteinte en juillet 1862. Il m'enverra la somme en une
traite sur Mallet frères".
Le 21 avril 1858, à 10 heures du matin, Maria Catalina meurt dans sa maison, rue du Foix. Elle allait sur ses 75 ans (57). Des voisins: Besson, cordonnier, et Fouquet, jardinier, déclarent le décès à la mairie de Blois.
(57) L'acte de décès (Arch. municipales de Blois) donne: 73 ans.
Nous ne savons rien des dernières années de la veuve Hugo. L'érudit blésois Belton, qui a fait des recherches (58), nous apprend qu'elle vécut "dans la plus grande retraite". Il devait tenir cette information de personnes qui l'avaient connue, puisque lui-même avait douze ans en 1858.
(58) V. aux Arch. de Loir-et-Cher, Blois, F 1682, la copie d'un article de Belton: "La seconde femme du général Hugo".
Le 30 octobre 1842, elle avait rédigé son testament, instituant pour légataire universel en toute propriété Félix-Marie-Léopold Baigue, à charge pour lui de servir deux cents francs de rente viagère à Amélie (Verse), sa mère, et de lui remettre sa garde-robe et deux couverts en argent. D'après le troisième prénom, nous supposons que M. Baigue était un filleul du général. On le retrouve, le 30 juin 1863, marchand de nouveautés à Guéret, rue de la mairie N°19, lorsqu'il revend la maison à un M. Bouvet. Maurice Genevoix a écrit que cette maison était devenue le toit d'une grand-tante et d'un grand-oncle à lui: "De quel sommeil j'y ai dormi! J'en ai ressenti l'honneur, et néanmoins la volupté" (59).
(59) "Trente mille jours", éd. du Seuil, 1980.
Toujours d'après Belton, l'inventaire dressé
par Me Deschamps à la mort de Mme Hugo "ne révélait
que l'existence d'une bien petite bourgeoise. On trouve chez elle quatorze
peintures sur toile avec cadre, estimées cinquante francs, et
six couverts en argent. Le total de la prisée ne monte qu'à
2099 francs".
Maria Catalina avait survécu trente ans à Léopold.
Des trois fils de son mari, un seul survivant: Victor. Il était
à Guernesey, occupé à la rédaction définitive
de l'"Ane", un très long poème qui s'en prend
aux scientistes. Sa femme l'avait quitté pour quelques mois
après de vives querelles: elle était à Paris
où elle avait retrouvé Sainte-Beuve. Pour la "bagatelle",
il avait sa fidèle Juju dans la maison d'à côté
et une bonne dans la maison même.
Victor Hugo a ignoré, du moins pendant longtemps, la mort
de sa belle-mère. Sur l'agenda où il note tout, aussi
bien le centime dépensé que la femme troussée,
il n'aurait pas manqué de porter la nouvelle, si elle lui était
parvenue. Cela ne veut pas dire que Maria Catalina soit sortie de
sa mémoire. Il ne peut pas ne pas penser à elle lorsqu'il
évoque son père, lorsque, justement en cette année
1858, il donne un titre définitif à "Après
la bataille" ou qu'il écrit:
"Ma tombe est proche, je l'espère.
"J'ai déjà dépassé l'âge où
mourut mon père".
En 1858, Victor Hugo est peut-être la seule personne qui se
rappelle souvent cette femme qui s'est substituée à
sa mère, qui a enterré son premier enfant, qui a baptisé
son second.
Aujourd'hui, on ne parle plus d'elle qu'incidemment dans les milieux
littéraires où l'on se penche longuement sur les malheurs
de la mère de Victor Hugo. Partout ailleurs, elle est totalement
oubliée, y compris à Blois, où elle a longtemps
vécu, et à Cervioni, son village natal. Et c'est pour
cela que nous avons essayé de la faire revivre.
Lettre du lieutenant Antoine Almeg au ministre de la guerre pour solliciter un emploi dans les troupes impériales.
Sainte Foy le 2 décembre 1813,
Monseigneur.
Almeg (Antoine) de nation Espagnol, Lieutenant d'état-major au
service de S.M.C. Dn Joseph Napoléon, et actuellement au dépôt
de Ste Foy (Gironde) expose votre Excellence avoir servi plus de sept
ans à l'ancienne dinastie d'Espagne, et plus de deux à
l'actuelle: il se trouva catorce mois en Etrurie, d'où passa
au Nord d'Alemagne, ayant été son Régiment attaché
à la Division Molitor lors du siège de Stralsund.
Le suplient a fait diférents services dans l'état-major
de la Province de Madrid, donc peut informer votre Excellence le chef
de bataillon Hugo du 20me de ligne, qui fut chef du dit état-major:
pocede pasablement le français et italien, et désire servir
à S.M.I. et R. dans un Régiment de Cavallerie français
ou italien, ou où votre Excellence jugera à propos; n'étant
son intention autre que celle d'employer sa jeunesse à la défense
de la juste cause de l'Empire français. J'ai l'honneur, Monseigneur,
d'être, avec le plus profond respect, le très humble et
très obéissant serviteur de Votre Excellence.
A. Almeg ; Lieu.t
à son Ex. Monseigneur le Ministre de la Guerre.
Réponse négative du ministre de la guerre à la demande du lieutenant Almeg.
MINISTERE DE LA GUERRE |
MINUTE DE LA LETTRE ECRITE PAR son Chef |
DIVISION |
A M. Almeg Lieut. au service de S.Mté.C = au dépôt de Ste Foy (Gironde) |
BUREAU Des Tr. à Ch.al |
LE 20 Xbre 1813 |
Vous avez vous fait au M.tre, M., la d.de d'un emploi dans les Troupes à cheval. S.Ex. me charge de vous prévenir que les mil.res qui ont fait les d.res campagnes ayant droit de préférence aux emplois vacants, elle ne peut par ce motif accéder à cette demande.
Lettre de Mme Vve Comtesse Hugo (écrite de sa main) à Mme Vve Martin, rue des Grands-Augustins, N°20, Bd Saint-Germain, Paris.
J'ai trouvé votre lettre a mon retour de la campagne
ou j'etais che Mm la marquise de Bethune.
n'attribuez pas mon silence au sentiment de l'indifférence ;
j'espere me justifier près de vous, quand je vous aurai dit que
depuis un mois j'avais le projet de me rendre à paris, mais une
légère indisposition m'a empêchée de suivre
mes intentions Je compte bien être avec vous d'ici quelques jours.
ainsi patientez ma bonne soeur, vous serez avertie de mon arrivée
Je désire vous trouver bien portante.
je vous embrasse de tout coeur et suis votre affectionnée soeur
Ve Ctesse Hugo
véullez dire a Victor et assa femme mille choses aimables de
ma part embrassez abel et sa femme pour moi
Blois le 15 8bre 1828
(Lettre écrite de la main de Maria Catalina)
A son Excellence Monseigneur le Ministre de la Guerre.
Monseigneur.
La mort du Lieutenant Général Hugo, m'ayant laissée
sans moyens d'existence, et n'ayant malheureusement aucun droits à
une pension puisque la loi s'y oppose, je me vois obligée de
recourir aux bontés de Votre Excellence en la priant de bien
vouloir m'accorder un secours qui mest devenu si nécessaire.
J'ai l'honneur d'être avec mon profond respect
Monseigneur
de Votre Excellence la très humble et très obéissante
servante
V.e C.tesse Hugo
Paris le 29 novembre 1828
Rue St Maur N°15 F.b St Germain
(la lettre n'est pas de la main de Maria Catalina; la signature, oui)
A son Excellence Monseigneur le Ministre secrêtaire d'Etat de la Guerre.
Monseigneur.
J'ai eu l'honneur de remettre le 22 février dernier à
Votre Excellence, une demande à l'effet d'obtenir un secours
sur les fonds de guerre, en ma qualité de veuve d'un Lieutenant-Général.
L'acceuil plein de bonté que Votre Excellence a bien voulu me
faire m'a pénêtré de la plus vive reconnaissance,
et je ne doute pas, Monseigneur, que je n'obtienne le secours que vous
avez promis de m'accorder. Mais, ainsi que je l'ai exposé à
Votre Excellence je ne puis, dans ma position, prolonger mon séjour
à Paris, et je viens vous prier de vouloir bien me faire délivrer
le plus promptement possible le secours que j'attends de votre Bienveillance
et de votre Justice.
J'ai l'honneur d'être avec la plus haute considération
Monseigneur,
de Votre Excellence
la très humble et très obéissante servante.
V.e C.tesse Hugo
Paris, le 5 mars 1829
rue des Ecuries d'Artois N°4
faub. St Honoré
chez Mr d'Otémar
Notes marginales: - Sécrétariat général
7 mars 1829 (cachet)
- N. 119
- Compt. (gle). Renvoyé par le ministre à (Mr Martineau)
- Répondu le 9 mars 1829.
(Note sur papier à en-tête du Ministère de la guerre. Le premier jet du document semble s'arrêter à : "... au beau temps". Le reste est de la même main, mais ajouté).
Veuve de M. le Major Hugo
Recom.on de M. le B.on Victor Hugo
Il parait que des deux Dames Hugo, celle-ci a réellement besoin
de faveurs.
L'autre, la Veuve du G.al, possède une propriété
à Blois, qui lui appartient en propre et où elle se
rend l'été. Elle a une autre propriété
en Sologne, dont la moitié est aux héritiers de son
mari. Elle a un appartement à Paris, au premier étage,
rue St maur, où elle est actuellement, et d'où
elle va s'absenter au beau temps. Elle a des capitaux chez un
banquier.
22 fév. 1829
On pourrait, si elle insiste, lui d.der l'inventaire fait après
le décès de son mari.
MINISTERE DE LA GUERRE |
MINUTE DE LA LETTRE ECRITE PAR le M. |
Réponse à une demande de secours |
A Mad. la Comtesse Hugo Le 14 mars 1829 |
Mme la C.tesse, j'ai examiné avec intérêt
l'exposé que vous avez fait l'honneur de me remettre, dans le
but d'obtenir un secours, à défaut du droit légal
à la reversion d'une partie de la pension de retraite de votre
mari. Je ne doute pas que la cessation de la pension dont jouissait
M. le C.te Hugo n'ait diminué vos moyens d'existence; mais cette
pension ne composait pas toute sa fortune, et je ne suppose pas que
la position dans laquelle il vous a laissée, soit telle qu'elle
vous mette dans le cas de recevoir les secours destinés exclusivement
à soulager les anciens militaires et les veuves dénuées
de toutes ressources. Je crois donc devoir m'abstenir de vous en offrir
un, parce qu'il serait nécessairement modique vu les limites
du fonds et le grand nombre de personnes éprouvant le pressant
besoin d'y participer, et je me persuade qu'en effet c'est entrer dans
vos sentiments que de réserver ces légers soulagements
à ceux que la rigueur de leur sort appelle plus particulièrement
à y recourir.
J'ai le
Le M.
(Lettre au Ministre de la guerre. L'écriture est de la même main que celle du 5 mars. La signature est de Maria Catalina).
Monseigneur,
J'ai reçu la lettre de Votre Excellence qui m'annonce que ma
position ne me met pas dans le cas de recevoir un secours, et que mes
moyens d'existence sont tels que je dois pouvoir m'en passer.
Cette réponse est trop en opposition avec les promesses verbales
de Votre Excellence pour que je puisse douter un instant qu'elle ne
soit l'oeuvre des bureaux seuls qui auront ignoré les dispositions
si bienveillantes de Votre Excellence, et le véritable état
de ma fortune. J'avais eu l'honneur de vous dire Monseigneur, qu'elle
était ma position et la bonté avec laquelle vous m'aviez
écoutée m'avait fait oublier ce qu'une telle confidence
avait de pénible. Vous paraissiez ému et votre ame semblait
avoir compris la mienne. J'étais loin de penser alors que je
serais dans la nécessité de renouveler ma demande et de
la justifier. Mais je dois au nom que je porte de prouver à Votre
Excellence que j'ai dit la vérité et j'offre de lui faire
placer sous les yeux des actes qui attesteront ce que j'avance, et je
me condamne, ensuite, à renoncer aux bontés du Roi si
l'on peut démontrer le contraire.
Je suis propriétaire, par moitié, avec les fils de feu
le général Hugo, d'un petit bien dans le Département
de Loir et Cher, dont le revenu net s'élève environ à
1000 f. et qui est grévé d'une rente viagère de
800 F. La valeur de cette propriété sera encore réduite
par l'acquittement des dettes et des frais de succession. Je possède
en outre, de mes propres, une petite maison d'habitation acquise 6000
f. par acte authentique passé devant notaire.
Voilà, Monseigneur, le riche patrimoine de le Veuve d'un Lieutenant
général dont l'épée a 30 ans défendu
et servi la France, qui commandait à Thionville lors du blocus
de 1814, et qui a refusé des millions offerts par l'étranger
pour livrer cette place sur les murs de laquelle son coeur, tout français,
ne voulait voir flotter qu'un drapeau français. Aussi eut-il
l'honneur d'en faire la remise à l'autorité légitime.
Le Roi, juste appréciateur des vertus militaires de mon mari,
le nomma comte et Lieutenant-général par une ordonnance
dont les termes nobles et glorieux jettent un vif éclat sur tout
ce qui lui a appartenu... Monseigneur, c'est la veuve de ce brave et
loyal soldat qui vient, aujourd'hui solliciter de Votre Excellence un
léger secours, ou une modique Pension pour repousser la misère
qui l'attend. Nos bons aïeux disaient, lorsqu'une injustice, ou
un malheur les, atteignait: si le Roi le savait! moi, j'avais dit: si
le ministre le sait, le Roi le saura. Vous me l'aviez promis, Monseigneur,
mais l'égoïsme d'un commis a parlé et la bienfaisance
s'est un moment arrêtée.
J'ose espérer, Monseigneur, que vous entendrez ma voix et que
Votre Excellence reviendra sur une décision dans laquelle sa
religion a été trompée et la vérité
méconnue. Cet acte d'équité m'épargnera
la douleur de rendre ma situation publique en cédant aux conseils
des vieux compagnons de guerre du Comte Hugo, qui m'offrent d'appeler,
à la Tribune nationale, l'attention de la France sur le triste
sort qui menace la veuve d'un de leurs frères d'Armes.
J'ai l'honneur d'être, avec une haute considération
Monseigneur
de votre Excellence
la très humble et très obeissante servante
C.tesse V.ve Hugo
Paris, le 17 mars 1829, rue des Ecuries d'Artois, N°4, faub. du Roule
Note marginale: 250 f. Don du Ministre du 21 mars 1829.
(Seule la signature est de Maria Catalina)
A son Excellence le Ministre de la Guerre à Paris.
Monseigneur,
La perte que j'ai eu le malheur de faire de mon mari le Maréchal
de Camp C.te Hugo, mort le 29 janvier en jouissance de la solde de retraite
ne m'a laissé qu'avec de bien faibles ressources pour vivre.
J'aurais eu déjà recours aux bontés de Votre Excellence
pour réclamer une pension comme veuve de cet officier général,
si j'eusse pu remplir toutes les conditions que la loi du 17 aout 1822,
éxige.
Mais mon mariage n'ayant pas précédé de cinq ans
le décès de mon époux, il ne m'est permis de concevoir
aucun espoir à cet égard.
Il me reste encore cependant celui d'obtenir une pension sur l'ordre
Royal et militaire de St Louis dont feu le Général Hugo
avait l'honneur d'être décoré et membre de l'association
de cet ordre.
La protection qu'accorde Votre Excellence aux veuves des Militaires
qui ont des titres à la bienveillance du Roi me détermine
à recourir à la Votre Monseigneur, pour supplier de solliciter
en ma faveur de Sa Majesté une pension annuelle sur l'ordre de
St Louis.
Je suis avec un profond respect
Monseigneur
votre très humble et très obeissante servante
V.ve C.tesse Hugo.
Blois le 21 mai 1829.
Notes marginales: - Secrétariat général
22 mai 1829 (cachet)
- 1197 / 22 mai
- M. Maurin - Il n'y a pas de (...?...).
MINISTERE DE LA GUERRE SECRET.AT G.AL |
MINUTE DE LA LETTRE ECRITE PAR LE M.tre A Mad.e la C.tesse Hugo, à Blois (Loir et Cher) Le 22 juin 1829 |
4.e BUREAU |
|
SECTION DE L'ORDRE DE S.T LOUIS |
Mad.e la C.tesse, |
J'aurais bien désiré trouver dans la demande que vous m'avez fait l'h.eur de m'adresser le 21 mai d.er les moyens de seconder vos vues ; mais les ordonnances constititives de l'Ordre de St Louis n'ont affecté aucune pension aux veuves des Chevaliers de cet ordre, et celles accordées aux anciens off.ers qui remplissent les conditions d'admission ne sont même pas reversibles. Vous jugerez dès lors de l'impossibilité où je suis de remplir l'objet de votre demande, et je vous prie de recevoir, Madame, l'assurance du regret que j'en éprouve.
P. le M.tre
Notes marginales: - N°1197
- Vu le 19, signé: illisible
- Il n'y a pas de pension pour les veuves des
Chev.ers.
(La lettre est de la même main que celles des 5 et 17 mars 1829. La signature est de Maria Catalina).
A son Excellence Monseigneur le Comte de Bourmont, Ministre Secrétaire d'Etat à la Guerre.
Monseigneur,
La perte que j'ai faite de Lieutenant-général Comte Hugo,
mon mari, admis à la retraite en 1824, m'enlève tous mes
moyens d'existence, n'ayant pas droit à la pension.
Le général était né sans fortune; entré
jeune dans la carrière des armes il négligea toujours
d'en acquérir et ne songea qu'à bien servir son pays.
Sa modeste pension nous suffisait; mais sa mort me prive de toutes mes
ressources, il ne me reste d'espoir que dans les bontés du Roi
et dans la bienveillance et la justice de Votre Excellence pour obtenir
un secours qui puisse apporter quelqu'adoucissement à ma triste
position.
J'ai l'honneur d'être avec une haute considération,
Monseigneur,
de votre Excellence,
la très humble et très obéissante servante
V.ve C.tesse Hugo.
Paris le (18) 7bre 1929
Rue neuve de Berry, N°13, faub. St Honoré
Notes marginales:
- N.403 V.e Hugo
- Urgent 19 7bre 1829 (cachet)
- 2e section
- accorder un secours. Signé : Bt
- faire connaître s'il est possible d'accorder une
pension à M.e V.e Hugo et si elle n'a pas les memes droits
que M.e Boyer en a obtenu une. Signé: Bt
- Pensions. Me remettre le dossier, ce 19 7bre 1829. Signé
: illisible
- Envoyer 130 F. Même signature.
(La lettre de Maria Catalina est entièrement de sa main).
A Monsieur le Ministre de la Guerre.
Monsieur le Maréchal
La veuve de Monsieur le Général Léopold Hugo réduite
depuis la mort prématurée de son mari à l'étât
de (détresse), constatée par la note certifiée
cy jointe, reclame aupres ; du Gouvernement la pension alimentaire que
la loi accorde aux veuve des généraux ; les services que
le Général Hugo a rendu à la patri dans les diverses
armées de l'Etat et la fermeté avec la quelle il a défendu
deux fois la place de Thionville contre les attaques des coalisés,
donnant à sa veuve des droits aux bienfaits d'un Gouvernement
patèrnel, elle éspère Monsieur le Maréchal,
que sa juste demande sera prise en considération et vous supplie,
en attendant que sa pension soit définitivement reglée
de lui faire accorder pour adoucir sa position malheureuse, un secours
annuel, comme cela se pratique à l'égard des femmes des
militaires que la mort de leurs mari a laissée dans un état
de privation et de géne.
Je suis avec respect
Monsieur le Maréchal
votre très humble et très obeissante servante.
V.e C.tesse Hugo.
Blois le 25 décembre 1830, rue du Foix N° 73.
En marge:
- Le Maire de la Ville de Blois, recommande à la Justice et
à l'intérêt de Monsieur le Ministre, la réclamation
de M.e V.e Hugo. Les services du Général Hugo sont connus
de M.r le Ministre. Le Maire, soussigné doit se borner à
attester l'état de détresse extrème de sa
veuve et ses droits aux faveurs du Gouvernement.
Blois, 27 décembre 1830. Signé : (Fel.dean?)
- Je prend la liberté de recommander Madame Hugo a la bienveillance
de Monsieur le Ministre. J'ai beaucoup aimé et estimé
son mari, et je sais quil na rien laissé a son epouse.
Paris ce 2 janvier 1831. Signé : Evignon Bonva(ll)er, député
de Loir et Cher.
- Secrétariat général, 3 janv. 1831 (cachet)
- M. Le God
- N. 153, 4 j.er, M. V.e Hugo (Léop)
- (en parler?) rien laissé - c'est douteux - secours
(néant)
- classer o/ de M le Dr, Travail du 22 j.er 1831.
(Lettre entièrement de la main de Maria Catalina)
Monsieur,
Connaissant toute votre obligeance, je viens vous prier de vous intéresse
à ma position bien triste, par la perte d'un époux digne
en tout de mes regrêts, et bien pénible, par la privation
de tout moyen d'exitence, vous en jugerez Monsieur par la piece que
je joins à cette lettre, elle est l'expose fidèle des
faibles ressources qui me restent.
M.r poulmaires député de la (Mosele) pourra vous dire
monsieur que mon mari a défendu thionville deux fois. La france
lui doit la conservation de cette forteresse, pour la possession de
la quelle les alliés lui ont offert des somme immense; l'honneur
lui imposait la loi de refuser, et ce sentiment était si prèdominant
dans son âme; que je puis me permettre de vous assurer qu'il n'éprouvat
jamais le régrèt de ne pas avoir accepté les offres
des ennemis de sa patrie; malgré quil nait pour toute récompense
de sa belle conduite, aussitôt apris la demie solde puis la retraite
avant l'âge.
Veuilliée Monsieur en rapellant ces faits au ministre de la Guerre,
lui remaitre ma demande avec la note cy jointé, et lui faire
connaitre ma position qui devien de jour en jour plus pénnible,
pour en obtenir un secour annuel en'attendant que le Roi puisse m'accorder
une pension sur sa liste civile, j'aime a me persuader que le coeur
de notre bon roi s'affligerait de scavoir la veuve d'un brave Général
réduite a réclamer des secours aussi prèssant que
ceux dont j'ai besoin.
Pardonner Monsieur mon importunité je vous ai entretenue de moi
bien longuement mais les malheureux ont toujours baucoup de choses a
dire.
Recevez davance l'expression de toute ma reconnaissance pour les démarches
que je réclame de vous.
Agrée Monsieur l'assurance des sentiment distingué
avec lesquels j'ai l'honneur d'ètre votre très humble
V.e C.tesse Hugo
Blois le 25 décembre 1830
rue du Foix N° 73
MINISTERE DE LA GUERRE / DIVISION DE LA COMPTABILITE GENERALE ET DES PENSIONS / BUREAU DES PENSIONS, / TRAITEMENTS DE REFORME, / ET SECOURS / 1re SECTION / Numéro de la demande 9274 / Mme la C.sse Hugo / veuve d'un M.al de camp / RENVOI / d'une proposition irrégulière.
Paris, le 9 août 1831
G.al, vous trouverez ci-joint le dossier que vous m'avez fait
l'honneur de me transmettre pour la pension réclamée,
en vertu de l'article 19 de la loi... par Mme la C.sse Hugo
née Thomas dite Saettoni (Marie Catherine), domiciliée
à Blois (Loir et Cher), veuve du sieur Hugo (Joseph léopold
Sigisbert) ex maréchal de camp mort en retraite.
Je vous prie de le renvoyer, avec la présente lettre, à
M. le Sous-Intendant militaire qui a procédé à
l'instruction de la demande.
CAUSE DU RENVOI
L'instruction de cette demande doit être revue conf.t
au programme imprimé (...) la circulaire du 16 avril 1831.
Remarquer entr'autres choses
1° que suivant l'acte de naissance de la veuve son nom patronymique
est THOMAS, Marie Catherine, fille de Nicolas THOMAS et Anne-Marie
SAETTONI ; le dit acte indique en outre qu'elle est née
le 5 nov 1783. Au contraire dans l'acte de décès
elle est désignée sous les nom et prénoms de
SAETONI (marie Catherine Thomas) comtesse de Salcano née le
5 novembre 1784, fille de Nicolas de LIGNY THOMAS et Lina SAETONY
de CHAMPOLARD.
Ces différences graves rendent l'identité douteuse. L'acte
de naissance ne pourrait être rectifié que dans les formes
prescrites par les art. 99 et 101 du code civil et 855 (...) du code
et procédure civile, mais si l'on prend pour base cet acte de
naissance, tel qu'il est, il devient nécessaire de faire constater
l'identité par un acte individualité dans lequel on rétablira
comme seuls valables, les noms et prénoms portés dans
l'acte de naissance en expliquant les différences introduites
dans les autres pièces.
Le Ministre secrétaire d'Etat de la Guerre
Pr le M. et par autorisation, le Maître des Requêtes
(...) des fonds de la Comptabilité Gle
A M. le Lieutenant général commandant la 4.e Division militaire à Tours.
(Lettre de la main de Maria Catalina)
Blois, le 18 janvier 1830
A Madame Martin
rue des grands augustins N°20
Bd St Germain
à Paris
Ma cher soeur
je ne veux pas l'aisser passer le moit de janvier sans vous écrire
et vous adresser mes souhaits de bonne année; je désire
que vous jouissiez toujours d'une santé parfaite
Vous savez ma soeur que ce moit ci a été funeste à
toute notre famille ; si la rigueur du froid ne vous arrête pas
je vous serais obligée d'aller le 29 au père La Chaise.
avez vous des nouvelles de (notre) frere il y a longtemps j'en ai reçu
J'aurais désire avoir des nouvelles d'adel elle m'aurait fait
plaisir de m'ecrire et de me parler de ses petits enfants, quand vous
la verrez Embrassez la pour moi
dite(x) à Victor que je connaissant l'attachement qu'il avait
pour son père il m'etonne de sembler oublier sa veuve, sachant
l'affection que son père m'a toujours vouée
ma santé n'est pas tres bonne mais le froid excessif contribue
peut-être aux indispositions que j'éprouve
adieu chere soeur portez vous bien et croyez à l'affection la
plus sinsere
Votre soeur Ve Contesse Hugo
(Lettre de la main de Maria Catalina)
Blois, le 10 octobre 1830
A Madame veuve martin
rue des grands augustains N°20
Bd St Germain
a Paris
Ma chére soeur
je nétes pas a Blois quand votre lettre mes parvenu ausitôt
mon arrivez j'ai été chez Mr pardessu a qui j'ai fait
part de votre demande, il ma répondu qu'il nétes pas possible
de faire ce que vous désires, il doit même vous avoir écris
a cet égars, ausitot qu'il séra posible vous pouvez être
sur que je ferait tous mes effors pour vous être àgréable
Jè compte partir dans deux jours pour la campagne de madame de
Béthuni C'est une véritable amie pour moi, elle partaje
mépenne est taches de soulager la veuve dun homme pour le quelle,
elle avait de la vénération Je vous assure ma soeur que
je sui bien heureuse de la voir dans mon malheur
adieu porté vous bien je vous embrasse de coeur votre soeur
Ve Hugo
Blois le 10 8bre 1830
ausitôt que je serait de retours je vous écrire, si vous
écrivez a notre frere dite lui que je suis fachez de ce qu'il
ne me donne pas de ces nouvelle