Aux Corses... et à ceux qui ne le sont pas

José Rossi, Pion

Aux Corses... et à ceux qui ne le sont pas est-il un livre de circonstance, qui paraît à point nommé à la veille du débat parlementaire ? Oui et non. José Rossi le reconnaît d'ailleurs : pour lui, cet ouvrage n'aurait sans doute jamais vu le jour si le président de l'assemblée de Corse avait été élu maire d'Ajaccio en septembre 2000.

Pourtant, ce récit d'un parcours humain et politique inscrit dans l'évolution chaotique d'un territoire prend valeur de diagnostic. José Rossi n'écrit pas un livre de justification ou de défense. Il propose une "démarche de conviction qui, structurée sur le questionnement habile de Jean René Laplayne, montre comment le processus engagé aujourd'hui s'inscrit dans la suite logique de l'histoire de l'île".

Pour José Rossi, les faits parlent d'eux-mêmes : au fil des décennies, les gouvernements successifs n'ont pas su prendre la mesure des événements comme des attentes de la Corse. En concédant à l'île une plus grande responsabilité dans la gestion de son destin, le Parlement permettra à l'État d'exercer pleinement sur cette terre meurtrie par la violence sa tâche essentielle : la garantie des libertés publiques.

Plaidoyer politique, chronique personnelle, aide mémoire historique, Aux Corses... et à ceux qui ne le sont pas constitue un constat de faillite, mais aussi un plaidoyer pour une sorte de reconnaissance en responsabilité.

Les habitants de l'Ile de Beauté, et les élus qui les représentent, ne corrompront pas les éventuels pouvoirs qui leur seront octroyés, et ne seront pas non plus corrompus par eux.

La voie choisie par Lionel Jospin est-elle la bonne ?

Oui, pense José Rossi, si l'on songe que tout ce qui a été tenté par le passé s'est soldé par des échecs.

En répondant à une attente de paix, en normalisant les rapports entre l'État et une région aussi turbulente que désabusée, la démarche entreprise trouve sa légitimité.

Il va sans dire que, comme son titre l'indique, ce livre s'adresse aux Corses, qui ont de leur histoire récente une lecture oublieuse ou sélective; il s'adresse aussi, de manière pédagogique, à l'opinion publique nationale, qui ne connaît le problème corse que sous l'angle des idées reçues et du sensationnel érigé en système.

Jacques RENUCCI

 

Interview parue dans Corse-Matin du 10 Avril 2001.

Vous publiez cette semaine chez Pion (parution en librairie le 12 avril), un livre entretien avec Jean René Laplayne intitulé Aux Corses... et à ceux qui ne le sont pas. Qu'est ce qui vous a poussé à cette démarche ?

Tout simplement la volonté de convaincre. J'ai entendu tellement de contre-vérités sur la question corse, au cours des derniers mois, que j'ai jugé utile de livrer sereinement mon analyse personnelle, fondée sur l'expérience. A la veille du grand débat sur la Corse à l'Assemblée nationale, j'ai voulu affirmer publiquement mon engagement de conviction et de raison. Mon état d'esprit est à l'opposé de ceux qui cultivent la passion et la haine comme principaux ressorts de !'action politique.
Confrontés à une situation de crise durable, les Corses doivent, au contraire, se rassembler pour en sortir. C'est le choix fait par l'assemblée de Corse qui s'est exprimée clairement en faveur d'un règlement politique du problème corse.

En écrivant ce livre, vous avez donc voulu donner une grille de lecture de la crise insulaire ?

Oui... Un mur d'incompréhension s'est élevé progressivement entre la Corse et le continent. La violence a donné de notre île une image exécrable. Plus récemment, les méthodes anormales du préfet Bonnet ont conduit à désigner les Corses comme des mafieux en puissance ou, à tout le moins, des privilégiés. On ne nous aime plus beaucoup de l'autre côté de la Méditerranée...
Pour reconstruire notre image et préparer un avenir plus heureux et prospère, la seule voie qui reste ouverte, aujourd'hui, pour la Corse, c'est celle de la responsabilité. Osons donc prendre en mains notre avenir. Personne ne le fera à notre place. Cela ne remet en rien en cause notre attachement à la France et à la République.

Vous semblez dire que les Corses sont en définitive profondément conservateurs ?

C'est certain. Les Corses que nous sommes passent leur temps à se plaindre des insuffisances des politiques parisiennes successives à l'égard de notre île. Mais ils hésitent à franchir le pas pour aller vers la nécessaire responsabilité qui caractérise la démocratie de proximité dans tous les pays modernes. Le statut particulier de 1982, puis celui de 1991 à l'élaboration duquel j'ai participé activement, ont constitué des progrès évidents, mais ils n'ont pas été au bout de la logique de responsabilité. Pour gérer efficacement, au plus près des citoyens, et sous leur contrôle, il faut disposer de tous les outils de décision utiles à une action cohérente. Les réformes précédentes sont restées au milieu du gué. Il faut désormais conclure.

Le projet de loi relatif à la Corse, présenté parle gouvernement, vous paraît-il de nature à répondre à cet objectif ?

C'est l'ensemble du processus de règlement politique du problème corse, à concrétiser entre 2000 et 2004, qui représente, me semble-t-il, la réponse pertinente.
La loi qui sera votée en 2001, après discussion et amendements de l'Assemblée nationale et du Sénat est une première étape importante. Elle apportera, d'abord à la Corse des moyens financiers et fiscaux nouveaux pour rattraper des retards d'équipements et favoriser la croissance, l'emploi, ainsi que la modernisation de l'économie. Sur le volet économique, des améliorations significatives par rapport au projet gouvernemental, devront être adoptées par le Parlement. Il faudra être également très vigilant sur le dossier des droits de succession.
La même loi consacrera, ensuite, de nouveaux transferts de compétences de l'État vers la collectivité corse. Il faudra évacuer d'emblée la querelle relative à l'inconstitutionnalité supposée des dispositions concernant, notamment, les conditions d'adaptation à la Corse de certains textes législatifs ou réglementaires nationaux. La loi votée en 2001 devra être conforme à la Constitution. Les amendements nécessaires à cet effet seront proposés et acceptés. Mais, dans la conformité à la Constitution telle qu'elle est, il est possible d'être plus audacieux dans les transferts de compétences. Il ne faudra donc pas hésiter à aller de l'avant dans un souci de cohérence et d'efficacité, quitte à chagriner la technocratie parisienne qui freine des quatre fers.

Mais, au-delà de 2001, comment peut se conclure le processus politique que vous avez engagé ?

Une réforme constitutionnelle sera nécessaire en 2003-2004 pour intégrer les deux départements dans une seule collectivité territoriale corse. Elle permettra également de conférer à la nouvelle assemblée de Corse un pouvoir réglementaire de principe dans les domaines de compétences transférés pour que la loi, égale pour tous dans ses grands principes, puisse réellement épouser le terrain. Elle garantira enfin les ressources affectées à ces compétences. Le grand débat de l'élection présidentielle en 2001 fera très probablement apparaître que, tout en permettant une forte originalité institutionnelle pour la Corse, une telle modification de la Constitution sera indispensable pour la France entière afin de rapprocher notre pays des autres nations, de l'Union européenne en ce qui concerne l'organisation territoriale et le pouvoir local.

Comment comptez-vous rassurer les Corses et ceux qui ne le sont pas, face à un projet qui pour certains met en cause la République ?

Ce projet, éminemment politique, est conduit dans la transparence. S'il mettait en cause l'appartenance de la Corse à la République, je n'y souscrirais ni de près, ni de loin. La démarche a été engagée par l'initiative insulaire, à l'assemblée de Corse. Une concertation approfondie avec les autorités nationales a été mise en oeuvre. Le projet de réforme qui en est le fruit est raisonnable et réaliste. Il sera largement transformé et amélioré à l'occasion de la discussion parlementaire, dans un esprit qui doit rester ouvert.
Alors que propose-t-on aujourd'hui comme solution alternative à cet engagement collectif et responsable ? Franchement pas grand chose, sinon des mots qui évoquent singulièrement les échecs passés, rappelés pour mémoire dans mon livre.
Maintenant, il faut donc, avant tout, sortir du bourbier. Il faut choisir la voie de l'apaisement et de la réconciliation. Il faut refuser la fatalité du sang et des larmes. Il faut tout simplement se décider à agir... enfin.

Propos recueillis par JR.