TRÀ LOCU È POPULU

Dialogue avec Vincent Stagnara sur quarante ans d'écriture, Préface d'Antoine Acquaviva, Contribution de Marianna Nativi, Editions L'Harmattan, Paris, 2001.

Eccu un libru chì suddisfarà i littori di Rinatu Coti è chì u darà à cunnosce à un publicu spartu di più cà quellu spizialistu di u corsu. Un libru prisintatu sottu à una forma originale : una cuntrastata trà l'autore è Vincente Stagnara, famosu avucatu bastiacciu, fidu amicu è littore astutu di Coti.
Rinatu tene un postu da parte in la cuscenza culturale di a Corsica oghjinca : natu in lu 1944, principiede à scrive in lingua nustrale in lu 1959. Avia tandu solu quindici anni ! Chì u messe in brama di scrive fù l'anzianu vescu di a Corsica, Munsignore Rodié, chì dopu partutu da Aiacciu in lu 1938 si primurava sempre di l'affari isulani è ricivia U Muntese, rivista linguistica, culturale è litararia publicata da u 1955 à u 1972.
Da giovanu, Rinatu piglia cuscenza chì u corsu lingua hè : da tandu ùn pianta più d'impinnà. I so prima scritti saranu d'altronde pà a rivista di U Muntese, suvitarà una cullaburazione longa incù Rigiru (1974) è si ritrova oghje a so prisenza litararia in la rivista Bonanova, publicata da u 1997 in quà, senza sminticà l'articuli ch'ellu manda rigulare à e riviste pumuntinche A spannata è U Taravu.
Rinatu Coti si pò affirme ch'ellu hè una cuscenza.
Cuscenza di a lingua è di a so tramandera : in ricordu d'una so minnanna morta da e bombe piccia focu ch'elli lampavanu l'Allimani in lu 1943, ricordu assuntu da a lingua, s'hè datu à una cerca pricisa, minuta è sistematica di a civilizazione paisana ch'omu ritrova in li so rumanzi (U vangonu neru, 1972, Una spasimata, 1983, I ghjorna persi, 1985-86, A signora, 1987).
Cuscenza di l'identità nustrale, chì si palesa in la pezza di teatru di A rimigna (1974) è in l'assaghju filusoficu Intornu à l'essezza (1978).
Cuscenza di l'omu cum'è unicu è solu valore da francà da ogni miseria, ogni fraiu di qualunque praputenza chì u si vularia incappià : vicu di u scrive chì innacqua a so pruduzzione da cuntadore, da U rivaritu Antonu (1980) à In lu me filu (1990-1999).
Cuscenza d'una civilizazione chì ci esiste una cuntinività trà u campu di a rialità è quellu di u simbolicu : tematica ch'omu ritrova in tutta a so pruduzzione in prosa, teatrale (sette pezze da u 1974 à u 1994) è puetica (Par viaghju, 1974-85, U labirintu, 1988, Aligria, 1989).
Da pochi anni, Rinatu hà pruduttu dinò opare in francese : una pezza di teatru, Le chancelier nu (1993) è dui raconti, Un homme de paix (1997) è La mère et l'enfant (1998).
Trà lingua è populu, un libru in lingua francese scrittu à duie voce, chjama è rispondi in cunsunente, cù l'arte di u tramandà è di u sparte "midienti i buccati", cum'è solu u sà ammaistrà Rinatu Coti in l'inseme di a so opara.

Rinatu Coti est né le 20 décembre 1944 à Ajaccio (Corse-du-sud).
Écrivain, poète et auteur dramatique.
Ancien collaborateur de U Muntese, Populu Corsu, Terra Corsa, U Ribombu, Kyrn, Le Petit Bastiais, A Rivista, A Fiara.
Cofondateur et ancien collaborateur de Rigiru, revue littéraire trimestrielle.
Collaborateur de: A Chjamata, A Spannata, U Taravu.
Collaborateur avec Saveriu Valentini pour A Rimigna, mise en scène par Dumenicu Tognotti, dans le cadre du Teatru Corsu di Ricerca.
Collaboration avec Marianna Nativi depuis 1990 au groupe Locu Teatrale.
Auteur de textes chantés par Petru Dieghi, les groupes A Filetta, Cinqui Sò et Di Maghju.
Directeur de la collection "Paroli sciolti" de Cismonte è Pumonti Edizioni.
Vincent Stagnara est né le 10 août 1950 à Bastia (Haute-Corse) ;
avocat au Barreau de Bastia depuis 1974 ancien bâtonnier de l'Ordre ;
a publié, en qualité de responsable politique ou associatif, de nombreux articles sur la question corse, dans diverses revues, depuis 1968.
Défenseur de militants autonomistes ou nationalistes corses depuis 1975 (événements d'Aléria) jusqu'à nos jours (affaire Erignac).
Membre du jury du " Prix du Livre corse " depuis sa création (1984)
A assuré une chronique littéraire corse sur les ondes de R.C.I. (Radio Corse Internationale) intitulée " Préface ".
Responsable de la publication de deux ouvrages politiques collectifs sur la Corse : " Le Procès d'un peuple " (Premier procès de militants du Front de Libération de la Corse en 1979 Editions A Riscossa) et " L'Eternu Sguardu " (affaire Jean-Baptiste Acquaviva, militant nationaliste corse tué dans des circonstances controversées - Editions A Sumente 1997).
Auteur d'un ouvrage sur la revendication institutionnelle corse " Minorité et Statut " - Éditions Cismonte e Pumonti 1990.

signature du livre à la foire Merendella in Castagniccia

Préface de Antoine Acquaviva

La cause d'un écrivain hors pair, de son oeuvre, plaidée avec brio par un avocat de renom, l'affaire n'est ni banale ni courante. L'écrivain, c'est Rinatu Coti. L'avocat, Me Stagnara. 40 années de création littéraire, de 1959 à 1999, sont passées en revue, mises en examen en quelque sorte. Une création embrassant tous les genres - de la pièce de théâtre au roman, du conte à la nouvelle et à la poésie - pratiqués avec un égal bonheur d'expression, en corse ou en français, par Rinatu Coti.
Critique attentif et passionné, Vincent Stagnara a lu, relu, U vangonu neru, Intornu à l'essezza, U rivaritu Antonu, Una spasimata, Par viaghju, I ghjorna persi, Raconti, A signora, Un omu, U labirintu, U maceddu, Aligria, U crucivia, U sonniu di Raffaedda, I cummari, U seminariu, Babbu Guidu, A stanza di u spichju, Le chancelier nu, Un homme de paix, L'acula bianca, A mazzera di a luna, etc.. Autant de titres qui jalonnent le parcours d'un inlassable défenseur de la langue, de la culture d'un pays : la Corse. Et de son peuple, personnage principal, pour ne pas dire unique des livres de Rinatu Coti. Un peuple avec ses forces et ses faiblesses, ses valeurs humaines placées en toute circonstance au-dessus de tout. Des lois d'un État comme des articles d'une Constitution importée et plaquée arbitrairement sur un corps étranger.
Me Stagnara réussit une performance peu ordinaire extraire la substantifique moelle de quarante années d'une chronique, elle aussi peu ordinaire : celle d'un peuple qui ne veut pas mourir. Et qui a toutes les raisons de vouloir vivre. Défendre la vie, prendre et assumer ses responsabilités, telle est en résumé la philosophie d'un écrivain dont l'Acte d'Ecriture ne se limite pas à "habiller des pensées extérieures".

Au fil ininterrompu de sa plume, Rinatu Coti campe le tableau grandeur et couleur nature du village de son
enfance, naguère encore comme tous les villages de Corse, irremplaçable et ardent foyer de rayonnement de l'âme d'un peuple, de ses coutumes, de ses croyances, de ses superstitions, de sa manière de vivre et de mourir. Bref de ces vertus que des médias en manque d'imagination et de vocabulaire, baptisent aujourd'hui "citoyennes" alors qu'elles étaient et demeurent tout simplement humaines.

Les récits, la narration coulent de source. S'abreuvent aux eaux claires et limpides d'une langue vivante, pétrie de chair et de sang, fine et forte comme une épée tirée du fourreau pour confondre - et au besoin pourfendre - ses détracteurs. La langue corse est pour Rinatu "la première patrie".

Au-delà des qualités littéraires évidentes de l'ensemble de l'œuvre, Me Stagnara - et ce n'est pas le moindre de ses mérites - met en exergue les thèmes essentiels d'une actualité toujours brûlante : la justice, la dignité, la solidarité, le respect des autres et donc de soi-même. Des mots, des notions, des concepts qui aujourd'hui font florès et sont souvent utilisés à tout propos voire hors de propos, retrouvent ici leur saveur, leur sève naturelle. Exemples non exhaustifs de définitions percutantes grappillées au fil des lectures :

Le racisme : l'abjection par excellence ;

La guerre : a puttanaccia manghjapopulu ;

La résistance : par sa singularité, la Corse participe à un concert universel des peuples aspirant à leur dignité ; à voir leur langue, leur histoire et leurs traditions reconnues.

L'histoire : restituer au peuple son histoire qui était cachée comme si c'était une honte pour la Corse alors qu'en réalité c'est une honte pour la France. Une des erreurs que nous commettons est d'aller chercher ailleurs ce qui est en nous. Le mal dont souffre la Corse, c'est de ne pas être elle-même.

La loi : comparée a une toile d'araignée qui peut arrêter la mouche (le misérable) mais non le bœuf puissant).

L'ingannu. Le mensonge, la duperie : un simple rappel de la vérité est un scandale insupportable pour l'Etat. C'est le dominateur qui réussit tellement à tromper le dominé que celui-ci accepte la domination comme chose normale. C'est la pire des choses qu'on puisse faire dans ce monde : arriver à faire croire à l'esclave qu'il est normal qu'il soit esclave.

L'identité : les hommes ne sont pas des chiens auxquels on fait imprimer la forme de la patte sur un document. Ce n'est pas un État qui doit nous dire quelle identité nous devons avoir ou pas. Quand il s'en mêle, c'est Vichy ou Hitler.

Le pouvoir : jusqu'à présent il n'est jamais allé de pair avec l'identité. On devient dépendant d'un pouvoir à l'exercice duquel on ne participe pas.

Le clanisme : en finira-t-on un jour avec lui ? interroge l'avocat. Réponse : les vieux clanistes sont descendus au tombeau mais sur les fonts baptismaux ont été portés leurs successeurs. Il faut continuer à se battre contre eux et contre les institutions qui permettent que ces gens?là aient le droit au bail irrévocable. Hors de cela, point de démocratie.

L'unité : elle ne vient pas d'une coercition intérieure ou extérieure mais de la volonté de mettre en oeuvre des valeurs communes.

L'indépendance : ce n'est pas essentiellement une forme institutionnelle. Ce qui compte, c'est de se réapproprier sa langue, sa culture, sa mémoire.

Ci sô stati tanti guverni
Di rè è di prisidenti
Chì par no sô tutti sguverni
È semu altru chè cuscenti
Chi sempri sarani inverni
Fora d'essa indipindenti
È di cori è di menti.

La culture corse avec sa langue - tous les écrits de Rinatu en sont un témoignage tangible - n'a rien à envier à quelqu'autre langue ou culture. Elle a en elle les ressources et les trésors nécessaires pour figurer avec sa dignité dans le champ universel de l'expression humaine. La langue corse est apte à relater, à décrire, à commenter n'importe quel fait de l'actualité quotidienne, n'importe quel événement grand ou petit. Les morceaux choisis par Vincent Stagnara illustrent cette constatation. S'agit-il d'élucubrations ministérielles sur les sauvageons, lisez A Rimigna :

Oghji in Santu Niculà
U pinzutu strampalatu
Chi hè scalatu un annu fà
Fieru và di u so statu
È cunsidera i Corsi
Più salvatichi chè l'orsi.

Les lignes qui suivent ont, elles aussi, été écrites bien avant le drame des Balkans et pourtant ...

Sò spiccati i ziteddi da i mammi è da i babbi... Sò tombi i criaturi in corpu à i mammi... Sò cripati l'ochja di i parsoni anziani... Qualunqua parsona hè umiliata... inghjuliata... L'ombra trimenti di a morti s'hè accolta in certi loca... Ogni fiatu hè pruibitu... Ogni cuscenza calcicata. . .

Et ce passage emprunté à I ghjorna persi (1985-1986), quel discours savant, ampoulé, pourrait-il restituer, avec autant de netteté, de vérité, de piment, la réalité sociale d'hier et d'aujourd'hui :

A sgiurizia campava di u sudori è di u stantu di u populu. Era com'è zecchi attaccati à u ghjacaru. Bastava ch'edda vinissi da fora, è ogni puzza li quatrava più chè a sintuta sputica di a nostra machja cusi Gara... Capitavani sameri, tandu a sgiurizia runcava... Ghjunghjiani ghjacari, tandu abbaghjava, è mutava versu subitu ch'edda cambiava a sterpa chi sbarcava.

On pourrait multiplier les citations. En voici une extraite d'un ouvrage paru bien avant la catastrophe de Furiani; et cependant quel journaliste de la presse insulaire écrite, parlée ou filmée ayant eu à rendre compte de ce drame, pourrait-il ne pas regretter de ne pas en être l'auteur :

U ventu m'allisciava l'ali. È mi purtava buffulati di rimori, di trosta, di brioni... Emanavani, tutti buliati, da quiddu ponti altu carcu imbardatu à casponi di parsoni... Soca c'era statu calcosa, chi u ponti cidia, i caspi si rumpiani. A ghjenti cascava, era una disgrazia maiô chi succidia quà cù tutti quiddi parsoni impalaficcati, chjuchi è maiô, dormi è omini. Una disgrazia sanguinosa è spietata. Una donna incinta s' era cripata in terra, murendu criatura ed edda. Un ziteddu avia i so mani tagliati. C'erani parsoni cù u spinu troncu, cù i membri roui. C'erani parsoni svinuti, insanguinati. Era qualchi guerra o chi era ? Ghjaciani unu annantu à l'altru, à chi briunava, à chi stava ammutulitu da l'angoscia. Sera sfraiatu u ponti è a ghjenti era sprufundata.

La cause est entendue et Me Stagnara aura gagné le procès d'un genre inédit si Rinatu Coti pouvait être enfin considéré comme prophète en son pays. Et si les détenteurs d'une parcelle de pouvoir, en Corse et hors de l'île, décrétaient d'utilité publique une oeuvre et une langue, expressions vivantes d'une communauté vivante. D'un patrimoine millénaire non pas statufié, non pas incrusté dans le marbre ou dans le stuc mais vivifié, animé du souffle de la vie quotidienne.

Les portes de l'avenir, Rinatu n'a cessé de l'écrire, ne s'ouvriront pas d'elles-mêmes.

Dumani sarà cù u ghjornu chi cresci, ciô chi i nostri mani farani.

Corri corri o chjucarè
In la vicata di l'avvena
Strappa strappa o tisurè
La schiavitù è la catena.