Philippe GUGLIELMI
La Franc-Maçonnerie
dans le rural corse
Une conférence donnée à l'ADECEC au couvent ST François de Cervioni le 5 mai 2000
On note la présence de sociétés de type maçonnique en Corse dés le début du XVIII° siècle. Si ces sociétés ont été qualifiées du terme aujourdhui péjoratif de secrètes, cest quà lépoque elles constituaient souvent des îlots de résistance à loccupant. On peut aussi se poser la question de savoir si les carbonari et les pinnuti Corses pouvaient être considérés comme appartenant à des structures maçonniques ? Ni les uns ni les autres ne dépendaient du Grand Orient de France, la seule obédience maçonnique dans la région à lépoque, mais de nombreux membres avaient la double appartenance. Nous verrons que Carbonari et Pinnuti pratiquaient une initiation inspirée directement des rituels de la Franc-Maçonnerie dont ils partageaient également lesprit de progrès. Ces éléments font quils peuvent être considérés comme une variante de la Franc-Maçonnerie. Peut-être reçurent-ils une patente, ce document de reconnaissance de la qualité maçonnique ?
Pour spécifique quelle fut la Franc-Maçonnerie rurale Corse des 18° et 19° siècles sinspira largement des lumières et entretint naturellement des liaisons avec dautres sociétés secrètes telles que les carbonari italiens par exemple.
Lobjet de cet exposé est de mieux comprendre limportance des effectifs de cette Franc-Maçonnerie locale qui ne peut sexpliquer que par la bienveillance et la protection dont elle bénéficiait de la part des chefs politiques de lépoque qui en étaient souvent membres, tels le Roi Théodore 1° de Neuhoff ou plus tard Pasquale PAOLI.
Pour mieux approcher lémergence de ces sociétés initiatiques de type rural, nous étudierons successivement :
- Les sociétés initiatiques et de pensée en Corse des origines à la moitié du XVIII° siècle.
- La Franc-Maçonnerie en Corse du Généralat de Pasquale PAOLI au premier Empire
- La Franc-Maçonnerie rurale en Corse et carbonarisme au XIX° siècle.
Les Corses sont toujours apparus aux allogènes comme secrets. Quil sagisse des écrivains de lantiquité, du Pape Grégoire le Grand dans une lettre datée de 598, ou encore lofficier de Picardie dans ses mémoires tous accuseront les Corses de se livrer à des pratiques occultes.
Les confréries religieuses avec leurs cérémonies aux assistants cagoulés, constitueront souvent un refuge, voire une contestation, de la haute hiérarchie ecclésiastique, pouvant aller jusquà la rupture. Les membres de la Confrérie étaient par contre souvent proches du ministre du culte local, tant il est vrai quen Corse le petit clergé a toujours pris partie pour le peuple.
Des Cathares arriveront en exil en Corse vers 1340, ils auraient inspiré le mouvement des giovannali dont on trouve la trace à Carbini où ils seront exterminés.
Mais lère moderne des sociétés initiatiques commence en Corse avec larrivée dans la plaine orientale du Baron de Neuhoff qui sera élu Roi de Corse à Alésani en 1736.
Théodore est membre de lordre des chevaliers teutoniques de Sainte Marie des Allemands, il est également membre de lordre des Roses Croix . Précisons que lordre de la rose croix ne doit pas être confondu avec le grade de chevalier Rose Croix qui constitue un degré intermédiaire des 33 grades maçonniques. Théodore aurait réglé cette problématique en ayant reçu les deux initiations.
Les Chevaliers Teutoniques sont un Ordre religieux de chevalerie fondé par des bourgeois de Brême et de Lübeck pendant le siège dAcre (1191) où ils créèrent un hôpital, avant dêtre transformé en ordre militaire (1198). Ils sont soumis à la règle des Templiers pour le soin des malades, et dépendent étroitement de la curie. Leur uniforme est alors un manteau blanc avec une croix noire.
Ragon écrit que Théodore a été envoyé en Corse pour y établir une Loge Maçonnique. Théodore sera très discret sur son appartenance aux chevaliers teutons et à la Franc Maçonnerie. Dans une lettre du 31 janvier 1743, il fait référence à un titre de Grand Maître de lOrdre Militaire de la Rédemption tout comme il nommera des chevaliers de la clef dor. Le symbolisme de la clé est commun à la religion Chrétienne, Chiite, et à la Franc-Maçonnerie. Si lon trouve la clé divoire dans les hauts grades maçonniques, on la trouve dans les armoiries du pape, les clés de Saint Pierre, et plus funestement au cou des pasdarans chiites , les combattants de Dieu, car ces clés, sils étaient tués, leur ouvriraient plus sûrement la voie vers le prophète Ali gendre de Mahomet.
Si ce nest directement la structure Maçonnique se sont les idées des lumière qui prennent pied en Corse et cette implantation nest donc pas lapanage des grandes cités. Théodore, imprégné didées nouvelles, exprime la notion de « liberté absolue de conscience » lors dun discours à Aléria. Mais un autre chef de la Nation corse va sillustrer, il sera le fondateur de la République moderne, il a pour nom Pasquale PAOLI.
Hyacinthe, le père de Pasquale PAOLI, sil sest rallié au roi Théodore nen est pas moins méfiant de ce Noble qui vient dEurope du Nord et qui professe des idées par trop novatrices. On peut penser que Pasquale qui a 11 ans à lavènement de Théodore observe avec une grande attention cette page dhistoire qui se déroule sous ses yeux et qui lui vaut de partir en exil avec son père trois ans plus tard en embarquant à PADULELLA. Cest la Ville de NAPLES qui reçoit les exilés, dans dexcellentes conditions dailleurs, puisque Hyacinthe prendra la charge de Colonel du Régiment corse et Pasquale y servira comme sous-lieutenant. NAPLES connaît en cette première moitié du XVIII° siècle une vie intellectuelle riche marquée par lilluminisme.
Cest à la fin du XVIIIe siècle, à lheure où la philosophie des Lumières connaît le plus grand succès, quen marge de ce rationalisme régnant, un désir de beauté et de merveilleux vient ébranler le matérialisme ambiant. Kant lui-même sintéresse aux phénomènes de voyance de Swedenborg ; les rois et les princes se tournent avec curiosité vers les sciences occultes. Sectes, loges, confréries se multiplient dans toute lEurope. Ainsi des sociétés théosophiques sinspirant de Swedenborg sont créées à Londres en 1783, trois ans plus tard à Stockholm, puis en Pologne, en Allemagne, en France à Paris, Strasbourg, Avignon. Zurich apparaît comme un centre réputé où défilent, parmi de nombreux adeptes, Madame de Staël et le duc de Rohan. Après la mort de Martinès de Pasqually (1779), qui fonda à Bordeaux lordre des Élus-Coëns, Lyon devient un centre de diffusion des doctrines de Louis Claude Saint-Martin le martinisme grâce à linfluence de Jean-Baptiste Willermoz, qui, sappuyant sur la franc-maçonnerie, cherchera à unifier les groupes disséminés à travers lEurope et fondera une Église universelle. Cette sorte déglise intérieure tentera de réunir les adeptes dispersés dans les différentes religions.
Dans le NAPLES grouillant didées nouvelles, Pasquale PAOLI aurait suivi lenseignement du philosophe Antonio GENOVESI. Ce dernier également écrivain et économiste italien vécut de 1713 à 1769. Son enseignement est recueilli dans ses leizioni di commercio, qui furent une uvre majeure de la réflexion économique du XVIII siècle, il fut titulaire de la première chaire déconomie politique créée en[P1] Europe. Mais à lépoque GENOVESI nétait quun obscur professeur déthique et cest sans doute cet enseignement plutôt que léconomie quil dispensa au jeune Pasquale..
Pourquoi Pasquale PAOLI naurait-il pas eu alors ses premiers contacts avec des Francs-Maçons initiés ailleurs et qui se trouvent comme lui en exil ? Cela serait peu probable, car il ny aurait pas trace de loges normalement installées à NAPLES avant 1755. Toutefois lhistorien de la franc-maçonnerie Ubaldo TRIACA écrit que cette société intiatique fut introduite à NAPLES en 1731. En 1756 plusieurs loges napolitaines fondent une grande loge Nationale qui sera dissoute en 1790. Pasquale PAOLI a lui rejoint la Corse en 1755 et il est proclamé Général de la Nation. La législation quil met en place sinspire de « lesprit des lois » du Franc-Maçon MONTESQUIEU initié le 16 mai 1730 à la loge Horn, Westminster Tavern en Angleterre. PAOLI va rencontrer déminents maçons durant son généralat et tout au long de son existence. James BOSWELL sera de ceux-là lorsquil se rend en Corse en 1765, au cours de son voyage il rédigera une biographie de PAOLI dans son « account of Corsica ».
Il ny a pas dimplantation de loges maçonniques en Corse avant Ponte-Novu. La première loge installée est en 1774 la loge militaire « La parfaite union » au régiment Vermondois Infanterie, elle ne reçoit ni civils, ni militaires Corses.
Cest sans doute cette exclusive qui poussa les partisans de PAOLI à fonder une contre maçonnerie, dite des Béati-Paoli qui sappuyait sur la société sicilienne des vengeurs. Les Béati-Paoli furent nombreux et essaimèrent dans les Iles de la Méditerranée, ne dit-on pas dans notre région, « so quantu i béati-paoli ».
Peut-être furent-ils encouragés à distance par Pasquale PAOLI lui-même qui est initié à LONDRES le 15 juin 1778 au sein de la Loge «Les neuf Muses ». Le 7 avril de la même année, VOLTAIRE a été initié à PARIS par la loge « Les neuf Surs ». Ne pourrait-on voir dans ces deux initiations à deux mois de distance une lutte dinfluence entre Franc Maçonnerie Anglo-Saxonne et dEurope continentale ? Nous pouvons aussi penser que PAOLI a été informé de linitiation de VOLTAIRE, auquel il est reconnaissant du soutien apporté après PONTE-NOVU dix ans auparavant. PAOLI, favorablement influencé, aurait alors plus facilement répondu à linvite de ses proches, Francs-Maçons anglais.
Napoléon quant à lui contrôlera totalement la Franc-Maçonnerie, il cherchera dailleurs à en unifier les hauts grades sous légide du Grand Orient de France, dont son frère Joseph est Grand-Maître, par un concordat avec le Suprême Conseil en 1805. Ce Concordat sil porte le même nom na rien à voir avec celui qui fut obtenu du Pape non sans contrainte. Cet autoritarisme maçonnique a du entraîner une radicalisation de la Franc-Maçonnerie rurale corse qui a ainsi développé sa spécificité, sous la restauration et jusquau second empire.
Il se trouve que le lieu essentiel de lactivité de ces sociétés sera lespace de lactuel canton du Campuloro-Moriani. La lettre du Juge de paix BONALDI de San Niculaiu répondant au Sous-Préfet de BASTIA le 9 février 1829 est édifiante. Nous pouvons lire quexiste depuis 1818 une société secrète de carbonari qui « a juré une haine éternelle aux monarchies ». Le juge BONALDI parle ensuite dune rixe qui a opposé des Carbonari de Santa Maria Poghju à des membres dune autre société secrète, royaliste celle là, et donc certainement encouragée par le pouvoir en place. Il sagit des Fischjuloni dont le juge Bonaldi est justement à lorigine de la création.
Les autorités narriveront pas à réduire ces carbonari de plus en plus nombreux après 1830. Ils vont développer une forme locale, appelée « I pinnuti » sans doute parce quils évoluaient la nuit comme « i topi marini » ou « topi pinnuti » les chauves-souris. Fernand ETTORI a écrit à leur sujet : « I pinnuti sont une forme nouvelle et spécifiquement corse de la charbonnerie. On les voit sortir de lombre en 1847, au moment où commence en Italie la révolution dite de 1848. Leurs yeux sont tournés vers leffort des patriotes italiens auxquels ils souhaitent porter secours ». Les pinnuti sont partagés entre la philosophie républicaine dont ils ont hérité des carbonari et le fait que certains chefs du mouvement soient bonapartistes tel Sampieru GAVINI frère de Diunisu.
Sur ce que furent au plan idéologique et symboliste les pinnuti, rien nest plus riche denseignement que le document qui ma été fort aimablement commenté par le professeur Pasquale MARCHETTI et dont mavait parlé il y a une vingtaine dannées son frère Luigi-Filippu trop tôt disparu. Ce document était détenu jusque dans les années 30 par leur grand-père le Notaire MARCHETTI de San Niculaiu.
Ce document est rédigé en langue italienne, qui était alors la langue écrite des Corses, il est intitulé « Legge della famiglia di Santo Nicolao ». Il énonce à larticle premier lamende prévue à lencontre de tout frère qui rirait au moment où est posée la question « che ora è ? », et à larticle 2 lamende prévue pour tout frère qui parlerait à un profane (de son appartenance et de ce qui se dit en réunion) sans sêtre consulté préalablement avec au moins six autres frères.
Il décrit louverture par le Vénérable (trois coups de maillet) des « travagli dei pellegrini della vérità sotto il titolo distintivo - Gli allievi della filantropia cirnese- alloriente di santo Nicolao ». On trouve ensuite le règlement de ladmission des profanes, le rôle du « préparatore », les obligations de « apprendente pellegrino » et enfin le « giuramento ».
La formule de clôture des travaux est la suivante : « Alla gloria del Grande Architeto dellUniverso, del Gloriosissimo San Rocco nostro protettore e sotto gli auspici del nostro augustissimo Sovrano Carlo Decimo ». On est alors sous le règne de Louis Philippe et non de Charles X, ce qui laisse supposer que lon est en présence du recopiage dun document davant 1830.
La datation finale est elle aussi en forme maçonnique « Anno della vera luce 5848 ».
Suit un état des membres : 40 sont de San Nicolao, dont le Vénérable Don Giovanni de Battisti, et des Quilici, Giorgi, Raggi. 25 sont de San Giovanni, les Gigantei, Germani, Samani, Giordani, Reg geti, Dezi. 17 sont de Poghju, Poggi, Contri
Les lieux dadmission sont signalés pour chaque nom, et on apprend que les lieux de réunion variaient. Il sagit de Busarese sur la commune de San Niculaiu, Coccola sur Santa Lucia, et Santa Cristina sur Valle de Campoloro.
Ce document exceptionnel apporte énormément à la connaissance du Carbonarisme dans le bassin Méditerranéen. IL montre combien lessence et le symbolisme de la Charbonnerie sont lié à la Franc Maçonnerie. Le caractère exceptionnel de ce document se confirme lorsque lon sait quhabituellement la Charbonnerie se réclamait de la Franc-Maçonnerie du bois, toujours très minoritaire, alors que dans le document MARCHETTI nous sommes en présence de la Franc-Maçonnerie de la pierre qui est celle très officielle que nous connaissons encore aujourdhui. Le rituel en vigueur au sein de ce que nous appellerons la Loge de San Niculaiu, comme la nommaient dailleurs ses membres, est bien celui du Grand Orient de France dans la première moitié du XIX° siècle. Les points particuliers décrits dans le documents MARCHETTI sont encore en usage de nos jours.
Lapostrophe, « quelle heure est-il » ? marque la rupture davec le monde profane, car durant les travaux les frères vont travailler à lheure de la vraie lumière, celle des initiés en rajoutant 4000 ans à lannée en cours qui est alors 1848. Le frère doit en consulter six autres pour rendre valide les décisions et plus largement lensemble des travaux de la loge. Le nombre 7 ainsi formé par le groupe se réfère au nombre de synthèse le plus expressif de linitiation Maçonnique, il est lassociation du binaire principe mâle et femelle, connu ailleurs comme le yin et le yang, davec le nombre impair 5 exprimant le symbolisme solaire. Cette courte incursion au sein du symbolisme maçonnique met en exergue le haut niveau de connaissance des frères de la Loge de San Nicolao. Ces notables, ces propriétaires terriens et sans doute dautres plus modestes ne pouvaient pas ignorer lessence de ce symbolisme. Il est tout à fait préjudiciable que la teneur détaillée de leurs travaux ne soit pas parvenue jusquà nous, ce qui rend dautant plus inestimable le document MARCHETTI qui en est la seule trace. Ces FF\ devaient travailler énormément le symbolisme, car se réunissant en plein air, on peut penser que sils navaient parlé que de sujets politiques, les échos de leurs oppositions seraient parvenus aux habitants proches du lieu de réunion. Or ni le juge BONALDI, ni le Sous-Préfet ne parlent de luttes à lintérieur même des groupes de Pinnuti. Par contre les rapports sont nombreux concernant des Pinnuti qui affrontent des groupes qui leurs sont étrangers voire hostiles comme cest le cas dans la rixe de CERVIONE. Les Pinnuti sont donc très unis, ils sont érudits et peuvent approcher une discussion ésotérique. Ils ont du atteindre un tel niveau de cohésion et de sérénité découlant de leur approche philosophique des travaux en loges, qu ils ont pu avoir sans heurts des discussions à portée sociale. Lon peut penser que cette grande intimité fraternelle, va largement contribuer à la sédimentation des clans dans le Campoloro- Moriani et, selon les endroits où les Pinnuti étaient présents, dans la Corse tout entière.
Les mises en garde inhérentes à la discipline des travaux, montrent le soucis du secret dappartenance et du contenu des réunions. Si aujourdhui la Franc-Maçonnerie est simplement discrète, elle était à lépoque et jusquau lendemain de la deuxième guerre mondiale délibérément secrète car sujette à des persécutions. Le Vénérable Don Giovanni de Battisti, ouvre rituellement les travaux de trois coups de maillet et nous apprenons que la Loge a pour titre distinctif : « Les élèves de la philanthropie cirnese ». Ce nom est dans la mode des appellations de Loges du GODF de lépoque. Lappellation « pèlerins de la vérité », montre le soucis dune quête intellectuelle non dépourvue de religiosité. La loge se réclame du Grand Architecte de lUnivers ce qui était commun à toutes les Loges du GODF avant 1877 où, lors du convent ou assemblée générale des Loges de cette année là, cette invocation sera rendue facultative. Il nest pas anormal de trouver la référence à saint Roch un des patrons du canton, car la religion catholique est souvent exigée des nouveaux initiés. Ainsi Jérôme Napoléon initié à la Loge «la Paix » de TARBES en 1801 voit la mention « de religion catholique » portée en regard de son nom. Pour ce qui concerne la référence au roi elle est également normale, ny a t-il pas eu une loge « saint Napoléon » sous lempire.
Lapprendente pellegrino nest autre que lapprenti maçon, premier grade initiatique. Nous apprenons que la loge de San Nicolao comprenait 90 membres ce qui est tout à fait remarquable car leffectif moyen dune loge est de 50 membres. Il est courant de voir des villes de 100 000 habitants ne compter qune centaine de Francs-Maçons.
On a dit que le terme pinnuti pouvait également venir dune pinnata, genre de serpe, que les Pinnuti auraient porté croisée sur le côté droit selon Jean Victor ANGELINI dans son histoire secrète de la Corse (Albin Michel 1977). Pourquoi pas? lorsque lon sait que lépée et le poignard font souvent partie des décors maçonniques. Ainsi le maître Maçon porte t- il au XVIII° siècle le cordon de couleur bleu venant de lordre du saint Esprit et lépée au côté. Cette concession a été faite dans les loges et uniquement durant la durée des travaux par les Nobles qui veulent ainsi reconnaître comme leurs égaux les frères roturiers. Le Duc de Crussol dUzés dignitaire du GODF ne déclare-t-il pas deux ans avant la révolution : « Que nos loges soient des temples élevés à légalité et que les brillantes lumières de la naissance et du rang y disparaissent ». Le Chevalier de Ramsay dignitaire des hauts grades Maçonniques avait déclaré bien avant lui : « notre ordre sert à former de bons citoyens ». La pinnata aurait remplacé lépée et donc nous ne verront aucun caractère barbare à cet équipement. La pinnata marque la notion de vengeance initiatique, que les pinnuti semblent parfois avoir rendue bien réelle, même si Jean Victor ANGELINI nous dit que les représailles sexerçaient plutôt sur les biens matériels. Les Pinnuti pratiquaient « l accintu » des arbres fruitiers, larrachage des vignes et lincendie des maisons de leurs ennemis, mais rarement lassassinat. Les grades de vengeance existent, entre autres explications, en franc Maçonnerie pour rendre justice aux templiers victimes du roi Philippe le Bel et du Pape. Il nest donc pas anormal de lire que selon le juge Bonaldi les Pinnuti auraient « juré la haine de toutes les monarchies ».
Enfin sil fallait faire un dernier retour aux sources, nous apprenons que les Pinnuti se réunissaient également sur la propriété MARCHETTI à Acqua Callula et que leur mot dordre était, « nous sommes de Moriani combattants de la liberté ». Ils disaient également se rendre « in barraca » en cayenne. Barraca, cest aussi le terme baraque proche du terme cabane de chantier, nom que donnaient les constructeurs de la cathédrale de Strasbourg au lieu dans lequel ils se réunissaient la veille de chaque journée de travail, afin den préparer les plans. Un document strasbourgeois nous apprend que le terme de loge ne sera employé quen 1278, pour nêtre repris en Angleterre que deux ans plus tard.
Lépisode des Pinnuti qui sest déroulé dans le CAMPULORU-MORIANI, il y a prés de deux siècle est représentatif de ce que furent les sociétés initiatiques à cette époque. La Franc-Maçonnerie et la Charbonnerie étaient étroitement liées. Lune était la représentation officielle de lautre. Lépisode des quatre sergents de LA ROCHELLE , carbonnari et Francs-Maçons de la Loge « Les amis de la vérité » de PARIS, avaient suffisamment ébranlé le règne de LOUIS-PHILIPPE pour quil étende sa répréssion jusquà la CORSE.
Les Pinnuti, malgré cette période troublée, ont voulu marquer encore plus fortement leur attache initiatique en donnant à leur lieu de réunion un nom qui les faisait remonter aux origines même et à lage dor de la Franc-Maçonnerie, cest à dire au Moyen-âge. Tout cela se passait au XVIII ème siècle au cur même de la méditerranée occidentale, dans le Campoloro-Moriani.
Cette région a été, au cours des XVIII et XIX ème siècles, le creuset où sest façonné lhumanisme moderne. Théodore de Neuhoff sera le chantre de la liberté de conscience dans un monde dominé par le dogme. Le général Pasquale PAOLI sera celui qui fondera la république moderne et mettra en place des institutions laïques, cela bien avant la révolution américaine et la révolution française. Nous pouvons nous demander si les Pinnuti, ces membres dune Franc-Maçonnerie bien singulière mais au combien éclairée, nont pas été dans leurs conciliabules nocturnes, les Hussards noirs de la république Universelle, bien avant lheure. Malheureusement trop tôt pour la Corse et pour lhumanité.
- Jean-Victor ANGELINI : « Histoire secrète de la Corse » Albin Michel 1977
- Jean-Baptiste NICOLAI : « Vive le Roi de Corse » éditions Cyrnos et Méditerranée 1981 et « les sociétés secrètes en Corse" chez le même éditeur 1988
- Charles SANTONI : « chroniques de la Franc-Maçonnerie en Corse 1772-1920 » éditions Alain Piazzola 1999.
- Paul ARRIGHI : « La vie quotidienne en Corse au XVIII° siècle » Hachette 1970
- Daniel LIGOU : « Dictionnaire universel de la Franc-Maçonnerie » éditions du prisme 1974.
- Louis AMIABLE : «La Loge des neufs surs » PARIS 1897 réédition EDIMAF 1989 (commentaire de Charles PORSET)
- Jacques BRENGUES : « La Franc-Maçonnerie du bois » Editions du Prisme 1973.