La Marine Corse du temps de Pascal PAOLI

Antoine Marie GRAZIANI

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La marine de guerre paoliste (1755-1769) : mythes et réalités.

La marine de Pascal Paoli a fait l’objet ces dernières années d’un regain d’attention. Deux articles importants ont renouvelé l’approche que l’on pouvait avoir de l’état de cette marine durant les quinze années du généralat et ont su replacer celle-ci dans un certain nombre de ses contextes politiques et économiques. Toutefois la documentation choisie par Pierre Lamotte et Didier Rey, fondée pour l’essentiel sur la correspondance de Pascal Paoli et sur le fonds Gouvernement de la Corse (ex fonds Paoli), s’est révélée à l’analyse très limitée. Les quelques dizaines de pièces conservées dans ce fonds, fortement surestimé, couvrent très inégalement la période et ne permettent que rarement une approche globale de la flotte insulaire tout entière. Parallèlement manque aussi dans ce contexte l’effort de la Sérénissime République pour répondre à ce qui est considéré comme une agression caractérisée et un danger mortel pour le système commercial ligure. Ces deux éléments ont impliqué l’examen de nombreuses pièces extraites du fonds Archivio Segreto de l’Archivio di Stato de Gênes. De leur confrontation avec les fonds insulaires surgit une image plus complexe, mais aussi plus juste d’une flotte qui est jugée par Paoli un des éléments les plus importants de sa politique.

 

" L’avenir de la Corse est sur l’eau ".

" Cette Nation, note Boswell dans un célèbre passage de sa " Relation de l’île de Corse " est désignée par la nature pour devenir puissante sur mer ayant quantité d’excellents ports, et les meilleurs bois de construction ". Théodore de Neuhoff, dès son arrivée au pouvoir avait manifesté l’intention de créer une flottille armée pour la guerre de course afin de faire cesser l’isolement de la Corse imposé par les Génois et lui permettre de recevoir les secours extérieurs espérés. Il aurait dit à cette occasion : " C’est surtout la mer qu’il faut conquérir sur Gênes ". Le temps lui avait fait défaut pour mener à bien cette politique. Vingt ans plus tard, Pascal Paoli reprit l’idée du roi de Corse, en s’appuyant sur une vieille tradition de course qu’avaient connue certaines régions de l’île au cours du Bas Moyen Age. 

C’est que la Corse avait une tradition commerciale maritime trop souvent oubliée. Bonifacio, intégrée dans un réseau commercial triangulaire, Corse-Sardaigne-Ligurie, et le Cap Corse, pays de monoculture viticole tourné vers l’échange avec les Maremmes toscane et romaine, avaient participé du commerce en Méditerranée occidentale. Au cours du XVIe siècle, Bastia s’était progressivement glissée à la première place et avait dominé les échanges de l’île avec l’extérieur, par le biais du système fiscal mis en place par les Génois. Par ailleurs, comme l’a bien montré Jacques Heers, des insulaires participent à la piraterie qui menace le commerce génois. Surtout, l’île est " un repaire et un arsenal " pour nombre de pirates étrangers, et même des Génois comme le fameux doge archevêque Paolo Fregoso. Parmi eux, à la fin du XVe siècle nombre de Catalans, poursuivis à leur tour par une contre course cap corsine.

La situation a certes évolué dans la période suivante, les Turcs imposant pour plusieurs décennies la domination de leurs flottes. Mais les Génois ont poussé les communautés marchandes de l’île, Cap Corsins ou Bastiais ou Bonifaciens à mener dès qu’ils le peuvent une contre course, comme on le voit dans l’épisode de la prise de sept navires turcs dans la Plaine Orientale de la Corse à la fin du XVIe siècle. D’autre part, les mêmes participeront, lors des guerres du XVIe ou des Révolutions du XVIIIe siècle à des opérations maritimes. Ainsi, le patron Costantino Rovinello aura-t-il pour mission lors de la Guerre de Sampiero d’intercepter tout bateau venant de Toscane et de " tuer tous ceux qu’elle pourrait atteindre " ; c’est pareillement vrai durant l’été 1749, lorsqu’un chébec de la marine sarde, près de Bonifacio est assailli et capturé par un bateau bonifacien. " Nonobstant que les marins aient crié : nous sommes chrétiens, ils furent traités pire que s’ils avaient été des assassins. Qui les frappait d’un côté, qui de l’autre, à coups de gifles, à coups de poing et à coups de crosse de fusil. Ils furent tous mis à la rame et ramenés à Bonifacio". De pareils événements déboucheront régulièrement sur des crises opposant la Sérénissime avec différentes puissances méditerranéennes. Les dirigeants génois considéreront néanmoins que c’est le prix à payer pour conserver leur tranquillité.

Paoli en créant une marine brise le blocus génois qui étouffe la jeune Nation corse et vise à désorganiser le commerce génois. Mais, la correspondance de Paoli prouve aussi que la marine corse ne devait pas dans son esprit se borner à ce rôle défensif et, dans les premières années tout au moins, il croyait vraiment pouvoir conquérir la maîtrise de la mer : " Nos corsaires, écrit-il à Casabianca le 4 octobre 1761, peuvent donc courir librement. L'autre jour, Antone prit un navire d'Ajaccio. Ce matin est sorti Gianmaria. Demain espérons que Belletti et Serpentini seront lestés. La guerre peu à peu devient navale. Dans celle-ci nous ne pouvons pas perdre" ". C'était, en effet, par le biais des sociétés de commerce maritime qu'il escomptait enrichir son pays : "pour rendre le commerce plus avantageux il faudrait que quelques-uns des plus riches de la Nation s'unissent en société pour acheter des bâtiments à cet effet, il faudrait faire comprendre à ces riches fainéants qui sont en même temps avides que seul le commerce maritime peut faire sortir de la misère aussi bien l'Etat que les particuliers". Il proposait ainsi aux marchands de la pieve d’Orezza, les seuls à pouvoir concurrencer les négociants bastiais pour ce qui est du capital engagé dans des affaires, la création d’une banque ou d’une compagnie dans laquelle ils pourraient déposer leur argent, Paoli s’engageant à faire venir de Livourne et de Londres les marchandises nécessaires. Dans le même temps, il pense à introduire dans l’île une nouvelle compagnie du Mississipi !

Dès 1761, Pascal Paoli fait donc publier des "Instructions pour les armateurs du Royaume" qui fixent un certain nombre de règles, particulièrement en ce qui concerne les rapports devant exister en cas de prise d'un navire qu'il soit génois ou étranger. Il oblige simplement ces armateurs à se mettre en rapport, en cas de prise avec le Magistrato Maritimo ou Magistrato della Marina. En dehors des intendants de marine du Magistrato della Marina, Paoli crée un second organisme, le Magistrat du Commerce et de la Santé. C'est à ses membres que les corsaires rendent compte des cargaisons des bateaux capturés. Ce service s'occupe aussi de dresser les procès-verbaux relatifs aux cargaisons des bâtiments naufragés sur les côtes de l'île, puis d'en faire assurer la garde afin d'éviter tout pillage. Mais, le véritable chef de la marine insulaire est Paoli lui-même que l'on voit toujours occupé à développer sa flotte. Dans une lettre du 14 novembre 1761, il explique ainsi que l'objet principal de son séjour à Rogliano est de surveiller l'action des quatre corsaires nationaux qui ont pris la mer. Et les exemples sont nombreux, dans la correspondance de Pascal Paoli, qui montrent l’intérêt porté par le Général à cette partie.

 

Le dessein paoliste : conquérir la mer.

Paoli savait que pour conquérir la mer, il fallait être maître du Cap Corse, tant en raison de la situation privilégiée de cette province que parce qu'elle était la seule à pouvoir lui fournir un nombre suffisant de marins. Aussi, sans aller, comme certains l'ont fait, jusqu'à attribuer la conquête du Cap Corse au seul désir de Paoli de constituer une marine nationale, doit-on noter que la création de cette marine coïncide parfaitement avec la mainmise définitive des Nationaux Corses sur le Cap Corse. Commencée dès 1757, cette conquête d'une région pourtant farouchement défendue par les Génois, entre dans sa phase décisive en janvier 1760 avec la prise de la tour de Rogliano. Paoli y gagne aussi de pouvoir commercer à partir de ports comptant parmi les plus importants de l’île, lui qui en 1759 - au moment de la venue du Visiteur Apostolique - n’avait pu proposer aux autorités du Saint-Siège que la dangereuse escale des Prunete dans la Plaine Orientale. Parallèlement, il lui faut affaiblir les places qui se trouvent encore entre les mains des Génois. D’où l’idée de développer près des présides tenus par les Génois des ports pour organiser le commerce en dehors d’eux. Il lui faut planter, selon son expression même, les potences pour les pendre. C'est là que se situe l'origine du développement du port de l'Ile Rousse, que Paoli n'a pas créé au sens premier du terme. Mais, Pascal Paoli avait choisi à proximité d’Ajaccio et de Bastia des places participant de la même politique.

Auparavant, l'essentiel de l'activité commerciale avec les Corses révoltés était le fait de navigateurs napolitains et surtout toscans. Ceux-ci portaient des marchandises, particulièrement du sel, mais aussi de la poudre et des munitions et transportaient des recrues pour Paoli. Mais, même en Ligurie, des marchands insulaires et étrangers pouvaient acheter des munitions et des armes. Ils continueront de le faire par la suite et cette situation entraînera, comme nous le verrons, de graves problèmes entre la Sérénissime République de Gênes et les puissances dont dépendent ces patrons. La nouveauté de la période c’est la constitution d’une marine insulaire.

L'acte de naissance officiel de la marine paoliste peut être daté de la consulta de Casinca du 20 mai 1760. Au cours de cette réunion, le gouvernement corse décide de l'armement d'une marine de course en Corse, mais aussi de la création d'une marine marchande. Les décisions sont proclamées solennellement dans un manifeste où, comme le note Pierre Lamotte, "s'exprime fougueusement l'orgueil national de la jeune Nation corse". Les décisions prises portent sur plusieurs points principaux. Le plus important de ceux-ci concerne la liberté donnée à tous les Nationaux qui veulent armer en course de le faire : "Nous prévalant de notre Droit, inséparable de cette Liberté que le Ciel a donnée à notre courage, nous avons délibéré de concéder à quiconque de nos Nationaux voudrait armer des bâtiments pour la Course contre les Génois nos ennemis et leur bannière de pouvoir arborer notre pavillon après avoir pris auprès de Nous un passeport et les instructions opportunes...". Cette liberté est offerte à tous les étrangers qui voudraient arborer le pavillon blanc à tête de maure : "Nous l'accorderons aussi volontiers à n'importe quel étranger qui voudrait s'en servir contre nos ennemis et leur bannière, en leur donnant le bénéfice et en leur assurant tous les privilèges qui dans les mêmes circonstances sont accordées aux armateurs...". Ces " alliés " recevront un passeport leur permettant de ne pas subir les tracasseries des représentants des autres Nations.

Le Manifeste exprime, en outre, clairement un des credo essentiels d'un Pascal Paoli : il s'agit de permettre à toutes les Nations de commercer avec les régions de Corse occupées par les Nationaux et de s'opposer ainsi aux efforts faits par les Génois pour isoler les rebelles en interdisant tout commerce avec eux. "Nous affirmons néanmoins user du plus grand respect à l'égard de tous les Princes d'Europe et vouloir pratiquer et observer les lois et traditions introduites et admises dans les guerres maritimes même envers les Génois quand eux-mêmes avec leurs habituelles irrégularités et inhumaines procédures ne Nous obligent pas à Nous en affranchir...".

Le contenu de ce manifeste est toujours rappelé par Paoli et son gouvernement dans les lettres de marque qu'ils donnent aux commandants de navires corses. Il en est ainsi dans les lettres patentes données au calvais Giorgio Rossi, patron de la felouque la Santissima Concezione, le 7 novembre 1761, trouvées par le capitaine Stefano Beerlingeri, commandant d’une felouque génoise armée en course "pour mener la chasse aux pirates corses", à bord de la felouque rebelle lors de l'abordage réalisé près de l'Algajola quelques jours plus tard. Ce texte circule dans l’Europe entière, à travers les envois effectués par Paoli, mais encore plus par les Génois eux-mêmes. Car, partout, les réseaux génois fonctionnent pour obtenir la mise à l'écart et la condamnation des Corses. La copie d'un billet du comte de Wedellfrys, envoyé extraordinaire du roi du Danemark, du 22 septembre 1760, est très révélateur de cet effort diplomatique. Différentes puissances condamneront la " piraterie " insulaire, d’autant plus facilement qu’elles sont extérieures au conflit. Il en ira différemment en Méditerranée. Là, les condamnations manqueront fortement de vigueur et ne déboucheront que rarement sur des actes. Une chose est sûre : le profit pour le gouvernement corse dans cette affaire sera réel.

 

La reconnaissance du pavillon corse.

Car, si des problèmes peuvent naître de cette situation, c’est aussi un moyen pour le gouvernement corse de prendre position sur le plan international. Le retrait génois et ligure dans l’île est vite compensé par l’arrivée de Toscans et de Napolitains, habitués à la navigation dans ces mers. Même la prise de bateaux neutres peut s’avérer bénéfique, car elle oblige les gouvernements à prendre langue avec le gouvernement rebelle et même à entretenir des rapports plus ou moins officieux, comme il en existe avec les beys nord-africains. Aussi Paoli s'efforce-t-il toujours de faire relâcher par ses corsaires leurs prises illégitimes. Le but ultime est de faire reconnaître le pavillon corse par toutes les nations et de ce point de vue ses succès sont constants, comme on peut le voir de sa correspondance, mais aussi de celle des ambassadeurs ou espions génois, lorsqu’ils font savoir que sont entrés dans le port de Naples ou dans ceux dépendant du Saint-Siège des navires corses, toute bannière déployée. "Depuis que notre bannière s'est montrée dans les ports, le crédit de la nation a beaucoup augmenté" écrira Pascal Paoli à son Magistrato des finances le 28 décembre 1761.

De fait, lorsqu' Antonio Oletta capture un pinque, dont le commandant est français mais dont l'équipage est génois, Paoli fait savoir tout de suite aux troupes françaises que le bateau reste à leur disposition. Les situations sont souvent complexes. Une gondole de Capraia commandée par le capitaine Pietro Lupi pris par le Scampavia de Antonio Oletta appelée La Patriota porte à bord une bannière napolitaine. Il en est de même du pinque napolitain du patron Carlo Cacacci capturé sous la tour de Fornali en mars 1763, aux dires de deux soldats déserteurs qui se trouvaient à bord : partie du port de Gênes l'embarcation portait des soldats, des officiers et des munitions pour Calvi. Barbaggi fera saisir toutes les marchandises, comme appartenant à la République de Gênes.

A Livourne, si l’on excepte la crise de 1763 où Paoli fera intervenir le Saint-Siège, les Corses sont chez eux. Pascal Paoli écrit à Casabianca en novembre 1761 : " A Livourne, nos pavillons sont reçus avec des acclamations ". Les liens entre Corses et Livournais sont connus, d’autant que nombreux sont les Cap Corsins à s’y être installés ou à y avoir de la famille et le basculement de la province la plus septentrionale de l’île dans le camp des Patriotes affirme encore ce phénomène. Il faut y ajouter une sympathie certaine des Toscans en général pour la Révolution corse, qui se renforcera encore lorsque les troupes françaises se seront installées dans les présides insulaires, en 1764. Nous avons étudié ailleurs une évolution similaire à l’intérieur de la Curie romaine et même chez le Secrétaire d’Etat du Saint-Siège Monseigneur Torriggiani. On retrouvera des Livournais au sein même des équipages corses. A bord de la demi galère nationale, on peut avoir lors d'une sortie un capitaine, Michele Nobili, et un maître d'équipage, Gaetano Sperando, livournais.

Il en est de même à l’île d’Elbe. Le felucone de Serpentini, qui mouillait à Porto Longone, est protégé par le gouverneur de ce port contre la galère du capitaine Saverio Cattaneo. Le gouverneur menacera même d’envoyer par le fond la galère génoise si celle-ci s’en prend au felucone. Là encore, on rencontrera plus d'un marin de l'île d'Elbe sur les bateaux insulaires.

La situation qui prévaut avec la Sardaigne n’est guère différente. Bien sûr, la Maison de Savoie affirme sa neutralité dans le conflit en cours, et même quelquefois fait savoir son mécontentement au gouvernement paoliste. Mais, il n’est pas question pour la Cour de Turin d’aller plus loin, comme le montre un épisode survenu en 1762. Deux bâtiments nationaux, le felucone la Santissima Concezzione de Teramo Terami de Querciolo de Rogliano et le scampavia Sant'Antonio di Padova de Giorgio Rossi sont capturés dans la Cala Sevina en avril 1762 et conduits dans un port de Sardaigne. Ils seront finalement relâchés, mais non sans avoir subi des pertes et des dégâts qui immobiliseront pendant plusieurs mois le felucone, mais les deux navires seront finalement relâchés plusieurs mois plus tard et gagneront alors l’Ile Rousse au grand dam des officiers génois en poste en Balagne, incrédules d’apprendre que les deux vaisseaux rebelles aient pu faire le voyage sous couvert d’un " laissez-passer de Sa Majesté Sarde ". En fait, comme les autorités toscanes, celles de Sardaigne se montrent désireuses d'établir en Corse des transactions directes que la République de Gênes, très attachée à une gestion où la fiscalité est déterminante, gêne de facto. Elle prend en compte des réalités indiscutables : les Sardes trafiquent quotidiennement en Corse. Les deux îles sont " des lambeaux détachés d’une même terre ", si proches que, comme a pu l’écrire l’écrivain bonifacien Eugène Grimaldi, on peut de Bonifacio entendre " chanter les coqs de Santa Teresa ". Paoli appelle d’ailleurs les Sardes les " Corses de Sardaigne ". Les liens entre les deux côtés sont faits d’échanges et de circulation de denrées et d’hommes. La Sardaigne donne des denrées, la Corse des hommes. Les seules réelles craintes des Sardes tournent autour des liens que les Corses développent régulièrement avec La Porte ou les beys de Tunis successifs, qui continuent leurs déprédations dans l’île. Et on sait que Paoli développera d’excellentes relations avec le bey de Tunis, n’hésitant pas à faire relâcher des bateaux capturés par les siens et même à défendre des embarcations turques attaquées par des vaisseaux génois.

Autre lieu très favorable au gouvernement paoliste, l’île de Malte. Un projet pour faire passer la Corse sous l’Ordre de Malte a échoué en 1754, du fait notamment de l’opposition de Pascal Paoli lui-même. Les rapports sont pourtant restés excellents. Un des premiers navires de la flotte corse sinon le premier, un chébec naviguant sous bannière corse, sera d’ailleurs un cadeau fait à Paoli, selon Ambroggio Rossi, par le grand maître de l'Ordre de Malte. On l'appelait la Galeotta. Le comte Perez en prit le commandement. D’autre part, le gouvernement corse conservera tout au long de la période un agent à La Valette.

Du côté français, une ordonnance déclare la flotte corse "rebelle". Elle ne sera pratiquement pas suivie d'effet, malgré des termes rigoureux. De plus, certains agents français, particulièrement en Toscane, n’hésiteront pas à trafiquer ouvertement avec les Paolistes. Dans un document trouvé sur un corsaire corse, les autorités génoises découvrent que c’est le vice-consul de France à Longone qui est donné comme correspondant du trafic insulaire, particulièrement en ce qui concerne le sel. La situation est tout aussi ambiguë avec le Royaume de Naples. Celui-ci, du fait de son intervention en faveur de la République dans l’affrontement qui oppose Gênes au Saint-Siège, est particulièrement à ménager. Pourtant, dans le même temps, ce sont des bateaux napolitains qui effectuent une grande partie de la contrebande avec l’île et c’est aussi un Napolitain, Domenico Ascione, qui est le premier imprimeur du gouvernement paoliste.

Devant cette situation, Gênes interviendra à plusieurs reprises auprès des cours étrangères pour faire saisir les bateaux corses ou les bateaux trafiquant avec la Corse à Naples, Livourne et Longone en 1761, 1762 et 1763 avec quelques succès. Et la Sérénissime elle-même n’hésitera pas à faire saisir dans le port de Gênes les navires cap corsins désormais soumis au gouvernement national. C’est le cas de huit d’entre eux en septembre 1761, Michele Antoni de Centuri, Antonio Lucca de Morsiglia, Gasparo Palmieri de Centuri, Paolo Paoli de Canari, Matteo Mattei de Barrettali, Francesco Franceschi, Francesco Maria Mattei et Giovanni Carattini, tous trois de Canari. Mais, les Génois ont-ils cru même un temps en la réussite d’une telle politique ?

 

Une contre course organisée.

On peut en douter en relevant l’existence à Gênes et en Corse d’une contre course impulsée par la Sérénissime dès le lendemain du manifeste paoliste, à la suite d’une déclaration de principe de l'Etat génois, que l'on retrouve dans la correspondance diplomatique. Les premiers navires employés dans cette contre course sont la felouque du patron Stefano Belingeri, et le brigantin du patron Giuseppe Ricco. Les patrons choisis - qui ont fait une requête dans ce sens auparavant - reçoivent officiellement des lettre-patentes pour "aller en guerre" ou "aller en course", ce qui montre bien que les Génois continuent à bien différencier officiellement la course de la piraterie. Puis, lorsque Gênes aura adopté le style des convois, particulièrement entre la Balagne et Bastia ou la Terre ferme, ce seront plusieurs navires qui seront exceptionnellement armés, comme escorte offensive, patrouillant en avant du convoi. Ainsi la felouque du patron Giambattista q Giuseppe Borzone de Chiavari, armée à Saint-Florent, ou celle du patron Stefano Coppola, fils de Giambattista. Lors d'un de ces convois venu de Calvi à Saint-Florent, à la veille de Noël 1761, ces bateaux aborderont le petit bâtiment, à une voile, du patron cap corsin Santo Dominici de Luri, à la Punta di Malfalco. L'équipage était à terre. Un " Plan pour l’armement maritime en Corse " est même conçu en novembre 1761. D’autant que des patrons étrangers, un Sicilien et un Napolitain, proposent leurs services en octobre 1761, pour faire la course contre les Corses. Ce plan ne paraît toutefois pas avoir été poursuivi, malgré l'intérêt que lui porte un commissaire général comme Giovan Battista Sauli.

Par contre, les Génois essaient de trouver un armement en course local en cherchant à engager des Cap Corsins, des Bastiais ou des Bonifaciens, un effort qui paraît devoir être d’un moindre coût pour eux. Mais, seuls les Bonifaciens paraissent avoir répondu favorablement à cette invite, Bastiais et Cap Corsins recherchant surtout à protéger leur propre armement et leurs marchandises. D'ailleurs, les affrontements entre la course insulaire et la contre course seront, malgré de nombreuses patrouilles sur mer, peu nombreux. L’essentiel de la mission de bateaux comme celui de Stefano Berlingeri, jusqu'à la fin du conflit, consistera à vérifier les passeports des patrons de toute nationalité, comme on le voit dans le journal de bord du corsaire génois la Stella Ligure en 1760 ou dans un rapport du même Berlingeri, le 3 octobre 1767. D’autant que, comme le constate une lettre de dénonciation concernant un pinque armé par Berlingeri en 1763, les bateaux génois sont à la fois trop peu nombreux pour couvrir des zones considérables, mais aussi trop lourds. Et puis, entre les différents intervenants les intérêts divergent, comme on peut le voir par exemple du rapport de Pellegro Doria, commandant du scampavia appartenant à Natale Manucci : plusieurs navires qui essayaient d’intercepter une galiote barbaresque, dans un îlot au sud de Bonifacio, finissent par se gêner et le bateau leur échappera. De même, dans l’affaire de la course faite contre le felucone de Serpentini, Giambattista Arsciatore, le capitaine d’un des brigantins qui lui a donné la chasse, est mis aux arrêts puis transféré à Gênes pour y être interrogé. Contre les ordres donnés, il aurait repoussé son départ à cause du mauvais temps et refusé de laisser tirer sur le vaisseau corse, parce qu'il arborait le pavillon génois, ce qu'il fera jusqu'à l'entrée dans le port, où, passé sous la défense elbane, il abaissera le pavillon génois pour hisser le pavillon corse.

Mais, les problèmes créés par cette situation avec différentes puissances obligent la Sérénissime à demander à ses capitaines de faire désormais attention à la bannière des occupants des bateaux et à éviter un abordage trop rapide. Berlingeri reconnaît, dans le rapport précité, avoir été trompé par les occupants d’un navire près de l’îlot de Gargano, qui lui ont présenté de faux passeports livournais. Il a appris, en effet, peu après, d’un bateau français, venu de Livourne, que le document correspondait à un navire qui n’a pas quitté le port !

La gêne pour le commerce reste considérable. On pourrait citer bien des exemples. Ainsi, un leuto appelé la Santissima Annuntiata du patron toscan Nicolao Nicolai qui navigue en septembre 1767 pour prendre du blé à l’escale du Valinco est-il intercepté par deux bâtiments à voile latine après qu’il ait essayé d’atterrer, les supposant barbaresques. Son attitude le rend suspect ! Aussi, après qu’on lui ait pris son passeport toscan, est-il remorqué à Ajaccio, où il ne peut mettre pied à terre, puis à Gênes où il dépose une plainte auprès de son consul.

Mais, les navires génois servent aussi à monter des opérations combinées sur terre et sur mer. La demi galère génoise l'Astro, du lieutenant Pietro Maria Paciola, que nous pouvons suivre de juillet à décembre 1762 grâce à son journal est chargée de porter des troupes de Bastia vers les villages du Cap Corse, pendant que d’autres troupes arrivent par Bastia (opération des 22-23 août 1762 contre Erbalonga que l'on dit aux mains des Corses ce qui se révèlera faux).

 

Une petite flotte disparate.

L'importance de la flotte arborant le pavillon à tête de maure est difficile à déterminer. Selon l’historien du Cap Corse, Camille Piccioni, la flotte ne dépassa jamais le chiffre de quatorze unités. C'est un chiffre très vraisemblable. Mais, nous pensons qu’il y a là une confusion entre les bâtiments nationaux, qui longtemps ne furent que quatre, et dont le chiffre ne cessa pas d’évoluer, et les bâtiments armés par des particuliers, corses ou étrangers. De plus, certains patrons passeront d’un navire à un autre, lorsque certains autres navigueront toujours avec le même bateau. D’autre part, plusieurs armateurs seront associés sur le même bateau qu’ils dirigeront chacun à leur tour ou ils passeront du commandement, seuls, d’une petite unité à celui à plusieurs avec une hiérarchie établie de plus grosses unités, comme la demi galère.

Parmi les commandants des vaisseaux insulaires, on trouve en premier lieu des patrons corses des présides. C’est le cas des deux frères Giovan Maria appelé Ciba ou Gibba, habitant à Campoloro, et Antonio, fils de Silvestro, Oletta, de Bastia, des Ajacciens Giorgio Stefanopoli, Lazaro Costa et Antonio Maria Saguinè, qui recevra l'autorisation d'armer une felouque nommée la Stella, le 28 avril 1768, ou du Calvais Giorgio Rossi patron du scampavia San’Antonio di Padova.

L’autre groupe est constitué par des Cap Corsins : ainsi Teramo Terami de Rogliano commandant du felucone Santissima Concezzione, Sebastiano Piccioni de Pino, Simone Guglielmo Lorenzi de Nonza, dont nous reparlerons ou Domenico Antoni ou Antonij de Centuri, qui rentrant de Livourne avec de l'artillerie destinée aux bateaux paolistes en construction à Centuri, est obligé d'aborder à Capraia, près de la tour de Zenopito, après avoir démâté le 16 mai 1762. Les treize hommes qui se trouvaient à bord, dont un prêtre, seront capturés en vingt-quatre heures.

Ce découpage n’est d’ailleurs qu’une spéculation. D’abord parce que certains patrons bastiais sont des cap corsins ou y ont de la famille. D’autre part, parce que certaines familles ont donné plusieurs capitaines. Giovan Maria Oletta, qui sera capturé le 14 janvier 1762 avec treize marins - lors d’une campagne où il a effectué cinq prises, un bateau de Rapallo, deux de Capraia et deux de Bonifacio - en tentant d'échapper avec sa gondole à une tempête après avoir échoué sur la plage de l'Arranella près de Lavagna, est le frère du patron Antonio, qui sera tué lors de la prise de Capraia, mais aussi le beau-frère d’Anton Matteo Arena, qui mènera le chébec La Maria. Mais, celui-ci est, à son tour, parent du patron Giuseppe Arena et de Francesco Arena, que l’on voit acheter un bateau dans le port de Livourne.

Quelques bateaux étrangers enfin participeront à la course corse. Ils sont représentatifs d’itinéraires différents. On trouve parmi eux des Toscans et même un Maltais, un certain Giovanni Maltese que le podestat de Lerice dénonce aux autorités génoises dans une lettre du 10 août 1761. Il serait le patron d’une petite galiote et naviguerait avec un passeport de la duchesse de Massa bien qu’il pense désormais effectuer la course sous pavillon corse. On ne peut pourtant dire que Paoli ait eu beaucoup de succès avec sa proposition d’accepter des étrangers dans sa flotte ou armant sous son pavillon.

Le personnage le plus connu de la course insulaire échappe à notre typologie Jean-Baptiste Perez, aussi appelé Peres, Peri, Pery, delle Pere, etc., est le fils de François-Marie, colonel au service de la France. Il est né en 1724 à Cuttoli-Corticchiato, près d’Ajaccio. Il aurait servi à l'origine à Venise selon les autorités génoises, puis fut sous-lieutenant de grenadiers au Royal Italien. Insubordonné et très vif de caractère, il eut avec son colonel, M. de Belval, une querelle. Ayant défié celui-ci, Perez dégaîna et porta un coup de tranchant d'épée à la tête de son supérieur. M. de Belval ne mourut pas, mais cela obligea le comte à fuir et à "tenir le maquis" dans les gorges d'Ollioules. On ne put le saisir mais il fut condamné par contumace et brûlé en effigie. C’est en tout cas le récit qu’il donna de l’incident.

Il ne restait plus, après cet éclat qu'à rentrer dans l'île. Il fut reçu par Paoli qui constata ses qualités en matière navale. Il lui donna le commandement de la Galeotta. Il devint ensuite capitaine de la felouque nationale appelée Il Terrore et multiplia les prises. Néanmoins son commandement ne s'étendit pas, comme l'a écrit Boswell par exemple, à toute la flotte insulaire. Après 1765, on le retrouve chargé plus spécialement de l’équipement et du ravitaillement de cette flotte, ainsi que du recrutement des équipages. En 1768, nous le verrons, il se rallia aux troupes françaises.

Une chose est sûre : flotte " nationale " ou armement particulier, les navires sont employés communément par Paoli pour des opérations militaires ponctuelles. Ainsi fait-on état d’actions combinées liant forces maritimes et forces terrestres dans plusieurs opérations militaires de grande envergure. L'exemple le plus remarquable de cette utilisation se situe lors du siège de Saint-Florent d’août 1764. La flotte insulaire cherche alors à bloquer les navires génois à l’intérieur du golfe. S'ils n'y parviennent pas totalement du moins leur action est-elle d'un grand secours aux forces de terre. Il en est de même lors de l’attaque de la tour de la Padulella, où le patron Antonio Oletta, qui ne s’est pas encore déclaré comme corsaire, appuie l’action des forces terrestres en février 1761 sous couvert de venir charger des châtaignes sèches.

 

Navires, armements, équipages.

On le sait, l’objectif de la course est le butin. Il s’agit donc en évitant d’affronter tout navire de guerre, trop supérieurs et avec lesquels il n’y a rien à gagner, de capturer des navires marchands. L’opération nécessite un armement particulier. Il faut, en premier lieu, des navires légers et rapides. Ainsi, lors de la prise d’un pinque marchand, Paoli proposera à ses commandants de le revendre plutôt que de le conserver, le bateau se révélant trop lourd pour les manœuvres nécessaires à la course et d’acheter plusieurs feluconi. La flotte corsaire paoliste sera donc composée pour l’essentiel de barques ou de brigantins, plus rarement de chébecs et de felouques ou felucone, de gondoles et de scampavie (ou scappavie) .

Autre caractéristique, ces embarcations seront légèrement artillées. Le felucone qui fera bientôt la course jusque sur les côtes françaises, capturant en juillet 1768 le pinque du patron Stefano Manara, ne porte que deux canons de 8, l’un en bronze, l’autre en fer, quatre pierriers et douze espingoles. Les scampavie portent deux pierriers seulement. Nombre de barques n’ont que des armes à feu portables à bord. Même la demi galère du comte Perez a une artillerie des plus réduite : deux pièces de 12.

Enfin, par contre les équipages se doivent normalement d’être surabondants afin de bien amariner la prise. La demi galère devrait compter quatre-vingts hommes : elle arrivera le plus souvent à un chiffre variant de cinquante à soixante-dix et on aura beaucoup de mal en 1768 à trouver assez de gens pour pouvoir la mettre à la mer. Le felucone a douze rames de chaque côté soit vingt-quatre rameurs sur quarante-six à cinquante hommes. Les scampavie qui ont, eux, dix rames de chaque côté peuvent porter trente-quatre hommes. Mais, la plupart des barques ont un équipage des plus réduits : une quinzaine de personnes seulement dans l’embarcation d’Oletta qui échoue près de Lavagna, le même nombre dans celle de Domenico Antoni ou Antonij qui aborde à Capraia, vingt-deux dans le cas du vaisseau de Rossi pris à l’Algajola. Surtout, les navires sont très souvent en sous-effectif, faute de trouver des marins en nombre suffisant. D’abord parce que les Cap Corsins, sur qui Paoli avait fondé tant d’espoirs, se montrèrent très réticents lorsqu’il s’agit, soit d’armer leurs bateaux de commerce, soit de venir en aide aux corsaires nationaux. Cet état de fait fut dénoncé par le podestat d’Ersa qui écrivit à Paoli qu’il convenait de fusiller quelques Cap Corsins pour faire un exemple, tandis que le Général écrivait son célèbre " Les cap corsins sont véritablement de la canaille... " (i Capicorsini sono veramente canaglia...). Aussi prend-on le plus souvent qui on trouve. Les capitaines insulaires se plaignent amèrement auprès du Général de la mauvaise qualité de leurs équipages. Antonio Oletta écrit à Paoli qu’il lui faut sortir davantage en mer, car les gens qu’on lui a donné à diriger sont plutôt " des gens de terre que de mer " à qui il faut apprendre vite leur métier de crainte de devenir " la risée de leurs ennemis " (saremo la risa de nostri nemici).Quant à Giorgio Rossi, il se plaint lui aussi de la mauvaise tenue de ses marins qui lui ont fait perdre deux prises. Aussi réclame-t-il à Paoli de pouvoir lui-même effectuer à l’avenir ses recrutements car les marins dont il dispose " sont des hommes à faire perdre l’honneur à la nation ".

Mais, il convient aussi de dire que si la Corse avait une faible réputation maritime, les possibilités d’emplois à l’extérieur ne manquaient pas. Marien Martini a ainsi présenté le cas de corsaires nationaux Salvaglioli et Mariani qui préférèrent alors s’expatrier et s’installèrent à Livourne. Retrouvés et menacés de représailles par Francesco Arena, ils furent contraints de s’embarquer sur un navire effectuant un transport d’armes et de munitions pour Paoli, transport qui fut capturé par un navire génois et les deux hommes se retrouvèrent dans les cachots de Bastia !

La composition -quand elle est connue et détaillée- est des plus diverses. A bord du bateau capturé de Giovan Maria Oletta on trouve treize marins: deux sont originaires d'Ischia, deux de Naples, un de Villefranche, deux sont bastiais ; les autres paraissent être des Cap Corsins si l’on s’en tient à leurs noms de famille (Giuseppe q Giovan Antonio Dominici, Domenico q Giovanni Antonij, Lucca fils de Pasquale Marc'Antonij, Pietro q Giuseppe Ansaldi). Les trois marins qui ont réussi à s’enfuir sont deux Ligures de Rapallo et un marin du Cap Corse.

L’étude que l’on peut mener sur l’équipage de la demi galère et du felucone appelé l'Intraprendente s’avère très révélatrice de la situation que nous venons de décrire. L’Intraprendente est dirigé en 1767 par le capitaine Antonio Sabbatini, puis par le même et les capitaines Angelo Franceschi et Nicola Bargoni, enfin par Giovanni Orticoni et Giovanni Nobili. Les trois derniers nommés passeront en outre successivement en 1768 au commandement de la demi galère. Ce dernier bateau qui pouvait recevoir quatre-vingts marins ne devait finalement en porter que soixante-cinq tandis que l'Intraprendente se trouve en octobre 1768 dans l’impossibilité de bouger puisqu'il n'y reste plus que vingt-sept marins et trois officiers sous la direction d'Orticoni, les autres paraissant avoir été affectés à l’autre navire.

Cette pénurie est le grand problème, nous l’avons vu, de la flotte paoliste. D’autant que la flotte insulaire connaît des pertes importantes au vu de ses effectifs. Outre les deux bateaux obligés d’atterrer que nous avons rencontrés, la marine corse perd dans la nuit du 1er au 2 mars 1762 - soit deux mois seulement après sa mise à l’eau - un de ses plus gros éléments, une demi galère construite à Centuri entre juin et décembre 1761 et lancée le 10 janvier 1762. Paoli qui avait écrit à Salvini à l’occasion de ce lancement : " La demi galère sera lancée aujourd’hui. Tous conviennent que c’est un beau bâtiment à tenir en mer toute l’année... L’équipage ordinaire sera de quatre-vingts hommes. Elle porte trois canons de six, deux pierriers de bronze aussi et six pierriers de fer " écrit à Casabianca le 3 mars : " Un coup de vent imprévu renversa la demi galère. Son équipage était de soixante-huit hommes. Trente-cinq ont péri. Le coup est sensible mais il faut l’accepter comme une expérience à notre constance ". En outre, certains abordages sont meurtriers. Ainsi, lors de la prise de la felouque de Rossi à l'Algajola, trois membres de l'équipage sont tués et deux autres, des Cap Corsins, sont fait prisonniers.

Les équipages sont rarement totalement insulaires. A bord du felucone, on trouve quelques Cap Corsins (Giovanni Fantauzzi, Domenico Sisco, Giacomo Agostino Semidei, Angelo Rogliano, etc.) mais surtout beaucoup d’étrangers (Pavolo Romano, Giovanni Chiama, Bartolomeo Fascie, Giuseppe Sarzana, maestro Francese, Belsole Francese, Pietro Spagnuolo, Giacomo Veneziano, etc.). Une autre grande raison de la désaffection pour cet emploi apparaît clairement sur ces rôles levés pour le règlement de la solde : c’est l’irrégularité dans les paiements. Théoriquement la solde devrait être payée en cinq fois. Le plus souvent, il n'existe qu'une feuille de rôle pour deux mois de solde. Ainsi, fin février 1768, règle-t-on les mois de janvier et de février, soit 40 lires par marin. Et il existe beaucoup de retards.

En fait, si les prises les plus importantes auront lieu au cours des deux dernières années du généralat de Paoli, en 1768 et 1769, c’est semble-t-il entre 1764 et 1767 que la flotte paoliste paraît avoir connu son apogée. En mars 1764, le commissaire général de Bastia livre au Sénat un détail des navires corses mouillés à Centuri :

"La demi galère commandée par le comte Perez qui a abandonné son scampavia. Equipage : 130 hommes dont quelques étrangers. Longueur : 88 palmi. Largeur : 17 palmi. Dix-sept rames de chaque côté : de la poupe au grand mât, trois rameurs par rame. La poupe a les mêmes formes et proportions que celles des galères. Elle est peinte de couleurs variées. Voilure : grande voile, trinquet et artimon. L'éperon, la coursive et le château de proue : comme ceux des galères. Elle a deux canons de fer de douze livres de balles. Dans les deux scampavie, il y a au moins trente-quatre hommes ".

 

La création de chantiers navals.

Bien que le Manifeste du 20 mai 1760 ne fasse état que des navires armés pour la course par des particuliers, Paoli pensait cependant déjà à faire construire quelques bateaux, vraiment nationaux, aux frais de l'Etat et dans l'île même, avec les matériaux offerts en abondance dans le pays. Dans sa correspondance, il ne fait aucune distinction entre ces bateaux et ceux armés par des armateurs particuliers, que ceux-ci achètent en général à l’extérieur de l’île. Ce sera le cas, par exemple, de la galiote achetée par Francesco Arena à Livourne ou du felucone de Belletti, un navire de 70 palmi (c’est-à-dire une vingtaine de mètres) de long, qui sera commandé par le capitaine Serpentini. Un autre achat connu concerne le chébec acheté 10.000 lires en 1767 pour Domenico Tosi. Mais, il faut compter aussi sur les prises qui ont pu être transformées pour aller en course.

Centuri devient dès lors l'arsenal maritime dans lequel on arme les navires et où on les construit. Paoli, qui déclarera, non sans emphase, dans une lettre " le port de Centuri est devenu celui de Livourne. On fabrique à ne plus pouvoir armer de navires dans le Cap Corse ", a créé des intendants de la Marine chargés du recrutement des équipages et de l’équipement de la flotte nationale. C’est à Centuri que sortira à la fin de 1761 une demi galère construite par des maîtres charpentiers napolitains, charpentiers de réputation, venus en groupe visiblement. Là encore que sera mis à l'eau un chébec dans les derniers jours du mois de janvier de 1762. Les comptes de l'arsenal pour mars 1766 montrent qu'un grand nombre de maîtres généralement cap corsins ont travaillé sur différents navires. Ils auront vraisemblablement été formés par les Napolitains, manifestation supplémentaire du pragmatisme paoliste, prêt à faire venir des étrangers dans l’île à condition qu’ils forment à leur tour les insulaires, des apprentis le plus souvent à l’origine, avant que ceux-ci ne se substituent à ceux-là : si les responsables restent napolitains ou toscans, le personnel jusqu'à un certain niveau de compétence est insulaire. Il en a été de même dans d’autres domaines, la presse ou la fabrication de la monnaie.

Paoli affiche ainsi sa différence avec la politique génoise traditionnelle courante au cours de l’époque moderne où dans quasiment tous les secteurs artisanaux ou industriels nécessitant une main d’œuvre spécialisée (fabrication du fer, sciage, déboisage), on faisait appel à une main d’œuvre qualifiée étrangère, venue de Bergame, de Lucques et même de Barcelonette, sans qu’une formation soit donnée aux travailleurs locaux.

Autour de la cale de construction, ces chefs de chantier disposent d’un nombre variable d’exécutants, charpentiers de marine ou plus simplement charpentiers de maison reconvertis et dont l’adresse suffit pour dégrossir et rassembler les pièces.

Un autre centre de construction navale sera plus tard développé à Farinole, près de Saint-Florent. On y construira entre janvier et mars 1762 une demi-galère. Le felucone Il Terrore paraît aussi y avoir été construit à la fin de 1762. Afin de décourager toute tentative génoise, Paoli fera amener des canons supplémentaires à la tour de Farinole.

Enfin, de petites unités pourront être construites dans le principal port de la Plaine Orientale de la Corse, aux Prunete. Paoli y enverra même des Ajacciens ambassadeurs de leur cité auprès du commissaire génois à Bastia, capturés dans l’anse de Girolata, afin d’aider à la construction d’une galiote, destinée à une ancienne figure de la course maltaise, Simone Guglielmo Lorenzi de Nonza, qui courut le Levant sous tous les pavillons, même le moscovite, avant de finir fusillé dans les fossé de La Valette pour conspiration contre l'occupant français en 1799.

Il est vrai que la flottille insulaire est souvent en mauvais état. En 1762, Pascal Paoli fait inventorier ce qui manquait à ses bateaux et à l’arsenal dans une Nota di quello è mancato nell’Arcenale di Cinturi. Les trois bateaux alors au mouillage dans le port sont dans un état plutôt piteux : la demi galère n'a pas de trinquet, il lui manque six paires de rames et la moitié des éléments de la coursive ; sur le felucone, il manque tous les éléments de la coursive mais aussi une grande partie de l’équipement du navire, barils d'eau et de vin, des lampes de cuivre, une boussole et même de la vaisselle ; il en est pratiquement de même pour la Patriota. Le pire, si l'on peut dire, c'est que sur ces trois navires, il manque tout ou partie du gréement.

Une partie non négligeable du matériel nécessaire à la construction est importé. C’est particulièrement vrai des pièces métalliques et de l’artillerie. Ainsi, c’est lors d’un transport de pièces d’artillerie pour l’arsenal de Centuri que le patron Antoni ou Antonii fera naufrage à Capraia.

 

Les derniers feux.

Les Génois ne pouvaient voir se développer une marine adverse en face de leurs côtes. Il est certain que dans leur décision de se retirer de Corse le poids de la prise par Paoli de l’île de Capraia ne fut pas pour peu. Déjà, en mars 1762 le bruit avait couru que les Rebelles corses s’apprêtaient à faire une tentative contre cette île stratégique pour le commerce génois, située sur la route entre Gênes et Bastia. Une enquête avait été menée à ce sujet et l’artillerie de la place renforcée. Le nombre de soldats avait été en outre augmenté de trente unités, pris dans le régiment Savona, stationnant à Bastia. L’attaque réelle contre Capraia, en février 1767, surprit totalement les Génois. Malgré une tentative de blocus par des navires génois, Paoli put ravitailler ses soldats dans l’île et la garnison capitula au mois de mai. La situation, défavorable depuis la perte de Macinaggio, à la pointe du Cap Corse, où les Génois avaient pu longtemps s’accrocher, devenait vraiment délicate. D’autant que couraient des rumeurs de débarquement en Ligurie, dans des zones assez mal contrôlées par les Génois. Mais, cette situation n’est pas totalement nouvelle et l’on rencontre de nombreux actes, dès 1761, montrant l’intervention de la marine corse sur les Rivières.

L’offensive française contre les Nationaux de l’été fera évoluer les choses. Ceux-ci ne peuvent laisser une flotte corsaire sur les lignes portant leur ravitaillement. De plus, un des articles du Traité de Versailles signé le 15 mai 1768 montre assez la volonté génoise de réduire une fois pour toutes la gêne occasionnée à ses bases et à son commerce :

"Que jamais la Corse ne puisse devenir souveraine et indépendante ni posséder aucune place ou un établissement maritime, ni être en état de causer préjudice à la navigation".

La menace française se précisant - et comme il commence à recevoir des envoyés et des fonds anglais - Paoli accentue son effort dans le domaine maritime dès 1767. Ses bateaux s’en prennent même désormais aux bâtiments de pêche ligures. Dans le même temps, les navires corses n’hésitent plus à venir croiser au large des côtes ligures et même entre Toulon et Nice, et ce bien que le gouvernement corse aie toujours essayé d’éviter d’affronter directement des bâtiments de la Royale et n’aie pas envisagé au cours du mois de juillet 1768, au moment du premier assaut donné à ses positions dans le Nebbio par De Chauvelin, d’étendre les prises possibles à des embarcations marchandes françaises. Paoli pense alors que son salut peut passer par une intervention anglaise sur le plan maritime, qu’il appelle de ses vœux et qu’il évoque fréquemment dans ses discussions avec ses proches ; " Il y a de fortes espérances que les Français puissent retirer cette année leurs troupes, autrement, on verrait dans cette mer une flotte combinée " écrira-t-il encore à Giubega à la veille de l’ultime offensive française de 1769. Mais, s’il est vrai que ses contacts seront plus nombreux à mesure que les détails concernant le traité de Versailles, et particulièrement ses clauses secrètes, seront connues, il ne paraît pas que les émissaires anglais lui aient vraiment fait comprendre qu’une offensive anglaise dans ce coin de Méditerranée ait été prévue.

Durant cette période, donc, la pression s’accentue sur la marine marchande génoise. Si l’on ne peut reconstituer toutes les opérations, il convient de constater qu’elles deviennent jour après jour plus nombreuses et plus audacieuses, alors que les Génois se montrent incapables d’organiser une réponse efficace. Ainsi, la galère San Giorgio, envoyée pour couvrir la Rivière du Ponant à la fin du mois de juin 1768, apprend-elle par un navire de pêche la présence du felucone du côté de Villefranche. Une rapide enquête auprès de bâtiments génois à Bordighera donne une idée des dernières prises du corsaire corse : un pinque génois a été pris le 29 juin sur les côtes françaises ; un autre de Savone est pris peu après, le capitaine et ses onze marins sont obligés de s’installer dans une chaloupe. Mais, les rapports des officiers génois montrent assez l’ampleur de la tâche et donnent une image précise de la navigation tant du côté du Ponant, de petites et moyennes embarcations vers les côtes françaises et espagnoles, que du côté du Levant, en direction de la Toscane, de Rome, de Naples. En outre, les corsaires corses ne sont pas les seuls à être craints comme il appert assez de la documentation génoise.

Gênes réplique à cet effort en se plaçant à nouveau sur le plan diplomatique. Une intervention est effectuée auprès de la Cour de France, mais aussi auprès de celle de Turin. Il s’agit surtout d’empêcher toute opération d’envergure, toujours possible dans l’esprit des Génois sur les Rivières de Gênes, depuis les incursions réalisées lors de l’été 1761.

De fait, 1768 voit la multiplication des prises. Lazaro Costa, l'homme aux trente-huit blessures, fait subir aux Génois puis aux transports français des pertes estimées à deux millions de livres. Dans la première semaine de 1768, il s'empare de deux bateaux, l'un chargé de 334 barils de poudre et de 3.000 fusils, l'autre d'articles de prix et de 16.000 francs en numéraire. Mais, dans le même temps, d’autres chefs - à l’instar de ce que nous rencontrons dans l’armée paoliste et chez les notables insulaires - s’écartent de Paoli. Ainsi, Perez se rapproche-t-il de la France, poussé par Chauvelin. Celui-ci lui obtient des lettres de grâce pour son affaire passée et son pardon. Perez lève alors dans l'île un régiment de volontaires, dont il sera le lieutenant-colonel sous les ordres du colonel Sionville. Et, on le retrouvera plus tard colonel au Royal Italien.

De cette dernière période, le journal de bord d'Il Terrore de Giovanni Nobili permet de se rendre compte assez précisément. Nobili quitte l'Ile Rousse le 26 avril 1768. Le 1er mai, il rencontre un navire de Bonifacio dont le capitaine porte un sauf-conduit, pour lui et son équipage, signé de Pascal Paoli. Nobili lui laisse donc continuer sa route. Le 6 mai, au large de Capraia, il a un engagement avec un bateau génois. Le même jour, il fait une prise dans le canal de Piombino, et une autre le lendemain. Le 8 mai, il touche Macinaggio où il se rend auprès des magistrats de la Santé pour rendre compte des prises. Il reprend la mer peu de jours après. Il mouille le 15 mai à Centuri, où il débarque les prisonniers qu'il a capturés. Le 18 mai, le journal s'interrompt. Il est vraisemblable qu'il ait regagné l'Ile Rousse. Rien de bien exceptionnel, mais des prises plus nombreuses, marque des nouvelles conditions rencontrées par la flotte paoliste avec l’arrivée des troupes françaises en nombre dans l’île. Surtout, Nobili mène une course à court rayon, efficace et dommageable donc pour une puissance maritime placée au carrefour de routes maritimes importantes. A ceux qui ne voient dans Gênes qu’une puissance maritime déclinante, les correspondances des officiers chargés de la défense des Rivières montrent au contraire, sur les deux Rivières, une navigation effectuée par un nombre considérable d’embarcations petites et moyennes, impossibles à défendre contre un ennemi bien organisé. Sur ces routes le gouvernement génois intervient, pour essayer d’obtenir que se relâche la pression. En vain, ce qui explique pour une grande part le Traité de Versailles. En réalité, c’est la fin du gouvernement paoliste, et le départ de Pascal Paoli à bord d’un navire britannique, qui marque la fin réelle de la course contre Gênes. Chaque corsaire choisira alors son sort. Perez par Chauvelin, obtient ses lettres de grâce. Angelo Franceschi rentre dans l’imagerie insulaire échappant avec son vaisseau chargé de vivres et de munitions destinés à Capraia à trois bateaux français près de Capraia, alors que l'île retombe aux mains des Français, et réfugié à Livourne, repoussant les propositions et les offres d'argent de l'ennemi en ces termes : "La reine Liberté vaut mieux que le Roy de France". Quant à Simone Guglielmo Lorenzi, comme d’autres, il paraît s’être replié sur Malte, où il disparaîtra, à la suite d’une tentative contre les troupes françaises lorsque celles-ci conquérront l’île.

 

Cet épisode de la course insulaire est très représentatif de la confusion existant dans les esprits lorsqu’on parle du gouvernement paoliste. Si l’on observe bien, on a d’un côté un gouvernement possédant tous les attributs de la souveraineté et les principales caractéristiques d’un Etat moderne - une construction qui impressionna, on le sait, fortement les gazettes européennes - on a aussi un discours novateur sur les nécessités de développer industriellement et commercialement la Corse. Mais, on a aussi des réalités toutes différentes. Des faiblesses militaires, tout d’abord. En 1764, la République en choisissant d’installer les troupes françaises dans les présides littoraux renonce de facto à soumettre l’intérieur de l’île, mais jamais le gouvernement national ne pourra s’emparer d’une seule place, ni par les armes, ni par un blocus. Des faiblesses politiques ensuite. Tout l’édifice repose en fait sur Pascal Paoli lui-même, obligé constamment de se rendre sur les points chauds -et ils ne manquent pas- de l’île. Il lui manquera en fait le temps qui permet de dégager une génération d’agents d’exécution dévoués à l’Etat et compétents dans les affaires. Comme il l’avouera un jour à Salvini, le gouvernement n’a pas la liberté de choisir les meilleurs serviteurs, il lui faut s’accommoder des notables en place, avec leurs qualités, mais aussi leurs défauts, leur absence de civisme, leur esprit de brigue et de parti, leur indépendance par rapport au pouvoir central. Des faiblesses économiques, enfin, puisque l’île, malgré ses efforts, reste profondément sous-développée et qu’elle est amenée à acheter en quantité à l’extérieur. En réalité, on y manque de tout. Le choix de la guerre de course et son extension doit être jugé dans ce contexte. Si les marins du Cap ne sont guère chauds pour s’y adonner, c’est qu’ils commercent depuis des générations leur vin, commerce profitable et sûr et que la guerre de course, quel que soit le profit que l’on peut en tirer en période de guerre, reste une occupation dangereuse et une activité de gagne-petit le plus souvent. De même nous paraît-il contradictoire de vouloir à la fois faire la course sur mer et développer le commerce dans la même zone, d’affirmer la nécessité de construire des escales d’entrepôt et de tourner toute l’activité maritime sur le contrôle des bateaux ou leur abordage.

Paoli était persuadé que les Génois, confrontés à une guerre maritime, finiraient par se débarrasser d’une île qui non seulement leur coûtait, mais qui ne pouvait leur apporter que des désagréments. C’est l’idée que l’on trouve par exemple dans la " Lettera d’un Corso abitante in Corsica ad un altro dimorante in Venezia " publiée sur les presses paolistes à Campoloro en 1764, qui met en avant la présence maritime des Corses sur la mer parmi les raisons qui nécessairement obligeront les Génois à quitter l’île. "Nous retrouvons là, note Pierre Lamotte, un des traits principaux du caractère de Pascal Paoli, une ambition et un optimisme démesurés et la méconnaissance des réalités".

A la recherche d’un vaste consensus populaire, il devra s’appuyer constamment sur les notables, " philosophe " il est soutenu par le clergé et même par le Saint-Siège, " lecteur de Tite-Live, il paie des mercenaires ", mercantiliste convaincu et partisan d’une grande liberté sur les mers, il finit sous les traits d’un partisan d’une guerre anachronique ! Mais pouvait-il réellement avoir une autre politique dans ce XVIIIe siècle insulaire ambigu où les ambitions nationales étaient contrecarrées par le développement vigoureux d’un système clanique, " de plus en plus libéré des contrôles de la vie communautaire " ?