Les Gravures rupestres de l'Incrucichjata
De Forci à Santa Riparata di Moriani

Ghjiseppu Leoni

Adecec 1998

(Deuxième édition)

Plusieurs personnes, certains membres
de l'Adecec ont demandé s'il nous était
possible de faire une traduction française
de la publication des gravures rupestres
de l'Incrucichjata de Santa Riparata di
Moriani, imprimée il y a 20 ans en langue
corse et actuellement épuisée.
Voilà qui est fait.

 

Il y a une quinzaine d'années, à Forci, hameau de Santa Riparata di Moriani, feu Jean Sébastien ANGELI, alias Pittianu, nous indiquait un rocher gravé de signes cruciformes, connu sous le nom de "Petra incrucichjata", ou plus simplement l'"Incrucichjata".
Trop âgé, J.S.ANGELI ne pouvait nous accompagner sur place pour nous montrer.
En réalité, très peu de gens savent où se situe exactement ce rocher; la personne non avertie peut même passer ou s'asseoir dessus sans rien remarquer. En 1978 c'est Don Côme AGOSTINI qui eût l'amabilité de nous conduire sur les lieux.


SITUATION


Figure 1

"L'Incrucichjata" est un rocher situé sur le territoire de la commune de Santa Riparata di Moriani au sud-ouest du hameau de Forci, sur l'épi de l'Erbarellu qui part de la crête de Padulinca à l'endroit où se trouvent deux anciennes aires de battage, et qui descend en forte pente vers le ruisseau de l'Avviata (Figure 1); à une altitude d'environ 850 m, il est à la hauteur et à l'ouest de l'abrupt rocheux dit "Pentone di i corbi" - Projection Lambert: 230,25 - 586,65 (carte d'E.M. 1/25000ème CERVIONI 5 et 6).
Le rocher se trouve près d'un ancien sentier qui serpente sur l'épi jusqu'à la crête. Sans doute ce rocher fut autrefois très fréquenté comme en témoignent par endroits l'usure en creux du sol ainsi que la présence de vestiges de murettes de soutènements.
À signaler également que l'Incrucichjata se situe à environ 600 m au nord-ouest du Castellu d'Osari, forteresse principale d'un important site médiéval et préhistorique dont l'Adecec a publié les résultats d'une prospection en 1975.


CONFIGURATION

L'Incrucichjata est formée de deux grandes dalles couchées surmontant un petit massif de schistes cristallins à clivage presque vertical orienté comme la schistosité de la plupart des roches environnantes S.O-N.E.
La dalle principale, presque horizontale et la plus gravée, mesure environ 4 m x 1,50 m dans ses plus grandes dimensions. La seconde séparée de la première par une cassure ancienne s'incline d'environ 30° vers le S.E.


LES GRAVURES


Figure 2

La majeure partie des gravures (Figure 2), sont rassemblées sur une surface d'à peu près 1 m x 1 m et ressemblent à des croix latines. Certaines, gravées en V, sont les plus nettes et semblent avoir été obtenues par incision de la roche, d'autres gravées en U évasé, moins régulières et moins nettes relèvent plutôt d'une technique de piquetage.
La gravure (1) très nette, gravée en V a la forme d'une croix latine de 17 cm de longueur, 10 cm de largeur et 0,5 cm de profondeur. Tout près la gravure (2) également très nette est formée d'une incision droite de 16 cm de long, 1 cm de profondeur, et terminée par un crochet en angle aigu. La gravure cruciforme la plus grande, portant le n°25, est longue de 24 cm et large de 10 cm.
Les gravures les plus singulières, portant les n°9, 10, et 13 sont gravées en U évasé. Le fond de la croix latine (9) se termine par un sillon perpendiculaire qui communique par un appendice avec une cuvette (10) au contour quadrangulaire, de 10 de côté, profond de 2 cm et portant un motif cruciforme inscrit en diagonale (Figure 3).
La gravure (13) a vaguement la forme d'une croix latine aux terminaisons trèflées (Figure 4).


COMPARAISON


Figure 5

Pour leur aspect cruciforme les gravures de l'Incrucichjata peuvent être comparées à certaines gravures rupestres de Corse ou des Pyrénées Orientales, voire d'Italie ou de Suisse. On note une certaine ressemblance du dessin de la gravure (10) avec la croix gravée en diagonale dans le carré de la Petra Frisgiata de Cambia (Figure 5) et une ressemblance plus marquée encore des gravures (9) et (10) avec une gravure de la forêt de Tartagine (Figure 5).


DATATION

Il n'est pas aisé de donner un âge à une incision ancienne faite sur la roche surtout lorsque cette roche est exposée à l'action érosive du vent, de la pluie, du gel, des végétaux, des animaux...
Jusqu'à présent les habitants du village de Santa Riparata di Moriani pensaient que ces gravures n'étaient rien d'autre que des croix chrétiennes incisées en signe de dévotion. On a même pu penser que ces croix pouvaient avoir un rapport avec les victimes tombées lors de la destruction du hameau de Pinzu, attaqué par l'armée du Général Ambert en 1800 durant la guerre de répression dite "Francisata".
De nos jours, à cause de la ressemblance de ces gravures avec d'autres gravures rupestres de Corse et d'ailleurs, on peut penser que l'Incrucichjata fait partie des roches gravées qui remonteraient aux temps préhistoriques.
Selon l'avis de quelques archéologues, ces gravures dateraient de l'âge du bronze final, voire du fer en raison de leur proximité, pour la majeure partie d'entre elles, avec un site préhistorique de la fin du mégalithique. On relève leur présence sur les dolmens des Pyrénées Orientales. En Corse la Petra Frisgiata de Cambia est située à moins de 200 m du menhir de Santa Maria et précisément l'Incrucichjata se trouve à quelques 600 m en contrebas et au nord-ouest du Castellu d'Osari. Par ailleurs comme la plupart des roches gravées l'Incrucichjata est située en un lieu surélevé surplombant une vallée.


SIGNIFICATION

En ce qui nous concerne, il nous est impossible de donner une quelconque signification à ces gravures. Quelques spécialistes, comme le professeur Mario PASSOTTI, pensaient que les croix de ce genre seraient une représentation simplifiée de l'homme.
Selon Enzo BERNARDINI elles ne seraient que des signes de dévotion chrétienne datant du Moyen Âge.
Pour M.C. WEISS, la croix inscrite dans un cercle ou tout autre figure géométrique serait une marque archaïque; ce qui semble le cas de la gravure (10) de l'Incrucichjata (Figure 3).
Il faut espérer que d'autres découvertes permettront un jour de donner une datation et une signification à ces signes laissés par nos ancêtres.

 

BIBLIOGRAPHIE

M.C. WEISS, Corse Historique n°15 - 1964
Abbé J. ABELANET et R. GROSJEAN - Congrès historique de France - Paris 1966
M.C. WEISS - BSSHC. Fasc 602 - 1972 et Fasc 622 - 1977