U Spigu
II a surnagé dans tous les naufrages, il a volé au-dessus
de tous les orages. Certains, venant chez moi, s'étonnent que je
le garde, réduit à un tronçon sur lequel frémissent
pourtant encore quelques ailes, je devrais dire " nageoires"
plante-oiseau-poisson mutilée au-dessus du médaillon où
ma mère me pose l'éternelle question, jamais formulée.
Il
se rajeunit de l'enlacement di una Crucetta, don récent ? non:
" intemporel ". Ma mère me l'a envoyé de Calvi,
la semaine de Pâques, il y a trente ans. Sans l'analyser, dans son
intuition, elle apportait dans mon existence dévastée, la
pérennité de son amour, l'éternité de la Corse-mère,
LE RENOUVEAU. Toute palpitante de ses vibrisses, la plante-poisson : U
Spigu. Quelques jours avant les Rameaux, des mains ferventes ont coupé
au crépuscule, les palmes secrètes, les blanches ivoirées
à léger reflet vert. Posées
dans u bacile mi-rempli d'eau claire, elles se sont apprivoisées,
préparées à leur devenir symbolique. Dans la pénombre
de la salle voûtée di a Marina, a commencé le ballet
des ciseaux et des doigts. Partagées en petits troncs de quelques
centimètres, chacun est devenu arbre vibrant des lanières
longues et souples de part et d'autre. Et les doigts festonnent, entrelacent
de gauche à droite, cisèlent une broderie d'une délicatesse
extrême, chacun est devenu arbre vibrant des lanières longues
et souples de part et d'autre. Et les doigts festonnent, entrelacent de
gauche à droite, cisèlent une broderie d'une délicatesse
extrême. Chaque Spigu est unique dans sa sculpture "U Corpu
di Cristu" disait grand-mère Mattea. Poisson, emblème
des Chrétiens nous informait le prêtre. Enfant, j'y voyais
plutôt une langouste aux antennes frémissantes. Et c'était
cela le Renouveau, cette palpitation des feuilles laissées libres
au sommet et sur les côtés di U Spigu. Par groupes, nous
allions sur la colline di A Sana chercher l'olivier, u rosu marinu (plante
extraordinaire, synthèse terre mer) et nous mettions U Spigu dans
une nacelle embaumée. A l'église, au moment de la bénédiction,
nous les levions fièrement et à ce moment nous devenions
plante-poisson-oiseau : Vie. Quand la fille d'un notable, un jour a porté
un rameau pinzutu, fleuri de fruits confits et de jouets, aucune de nous
n'a eu de convoitise. Pas avec notre raison, mais dans toutes nos fibres,
nous explosions d'être TERRE CORSE.
Il a volé au dessus des orages, U Spigu. Ma mère est morte
quelques semaines après m'avoir donné
LE RENOUVEAU
MA TERRE
A JAMAIS.
Un travagliu da Petru-Ghjuvanni Bresciani
(Texte original de Cerisana, paru dans la revue d'information culturelle
A Lettera, 1994, A Stampata.)
(Ritratti di Anghjula Ghjiseppa Bresciani Paoli)
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